Monkeypox : comment la flambée épidémique a été contenue

Le nombre de cas de variole du singe est en chute libre, et c’est une excellente nouvelle. La mobilisation des acteurs, parfois sous la pression de la communauté gay, a permis de faire face à cette épidémie hors de sa zone endémique.

L’été est passé, et avec lui, les craintes de voir l’épidémie de variole du singe dans les pays du Nord s’installer pour de bon chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et peut-être essaimer. Il est probable que la conjugaison de la large information, d’une adaptation des comportements et de l’adoption de la vaccination, très efficace, par les hommes et personnes les plus exposées, a conduit à ces résultats encourageants, également observés dans les autres pays occidentaux. 

Quelles sont les mesures et les mobilisations qui ont permis d’éviter le pire, à savoir une croissance exponentielle des cas et une endémisation de l’épidémie dans de nouveaux pays?

Une situation épidémiologique qui s’améliore fortement 

Au 17 octobre 2022 en France, au total, 125 534  doses de vaccin ont été administrées sur 170 912 environ livrées (premières et deuxièmes doses comprises). Sachant que la vaccination a commencé le 11 juillet et s’est accélérée en août, on est loin d’avoir vacciné même une première fois la population estimée éligible (de 150 000 à 250 000 selon les estimations).

Et pourtant, les chiffres sont encourageants: au 18 octobre 2022, 4084 cas confirmés d’infection par le virus Monkeypox ont été recensés en France. La semaine dernière, seuls 20 cas supplémentaires ont été à déplorer, en forte baisse (44 la semaine précédente). 

Figure : Cas confirmés biologiquement de variole du singe (n= 4 084 cas) par semaine de signalement,
France, mai-octobre 2022 (données au 18/10/2022 – 12h00). Source: SPF

Selon Santé publique France, le pic de contaminations a eu lieu fin juin/début juillet et le nombre de cas confirmés n’a cessé de diminuer depuis, des tendances similaires à celles observées aux urgences. Plusieurs autres pays d’Europe observent des tendances similaires au cours des trois derniers mois.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) constituent l’extrême majorité des personnes atteintes par cette flambée épidémique dans l’hémisphère Nord. Bien sûr, tout le monde peut être infecté par le monkeypox, mais la récente flambée s’est invitée au cœur des réseaux sexuels HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  Une modélisation sur des données britanniques a d’ailleurs mis en lumière un R0R0 Le taux reproduction de base d’un virus ou R0, estime combien de personnes en moyenne sont infectées par une personne infectée. Supérieur à 1, il indique qu’un malade va infecter plus d’une personne et donc que l’épidémie va progresser. Inférieur à 1, les malades infectent moins de personnes et l’épidémie peut régresser. un taux de reproduction de base d’un virus, supérieur à 1 dans un sous-groupe constitué de personnes avec un nombre de partenaires bien supérieur à la moyenne, expliquant à la fois le cantonnement de la flambée dans cette population et l’importance d’agir auprès de cette dernière.

Comment expliquer cette baisse? Ce succès repose a priori sur le recours à un vaccin plus efficace que prévu et à une modification des comportements sexuels chez les personnes exposées. 

Un vaccin très efficace

L’absence de données sur l’efficacité du vaccin chez l’être humain contre la variole du singe appelait à la prudence. Mais le vaccin anti-variolique, d’abord réservé aux partenaires en post-exposition, puis à l’ensemble des personnes exposées, s’est montré extrêmement efficace : Selon une étude américaine, parmi les hommes âgés de 18 à 49 ans éligibles à la vaccination, l’incidence du monkeypox était 14 fois plus élevée chez les hommes non vaccinés que chez ceux qui avaient reçu une seule dose de vaccin, 14 jours auparavant.

«Les personnes éligibles à la vaccination contre la variole du singe doivent se faire vacciner dès que possible». Source : CDC.

Dans cette étude, le rapport du taux d’incidence moyen au cours de la période d’étude a été calculé en divisant l’incidence moyenne pondérée chaque semaine chez les personnes non vaccinées par celle chez les personnes vaccinées. Entre le 31 juillet et le 3 septembre 2022, dans 32 États ayant rapporté chacun ayant entre 2 et 2186 cas soit 6471 cas de monkeypox, 83,5% d’entre eux (5402) ont été signalés chez des hommes âgés de 18 à 49 ans. Parmi ceux-ci, 4606 (85,3%) n’étaient pas vaccinés, 269 (5,0%) avaient constaté l’infection moins de 13 jours après avoir reçu leur première dose de vaccin, 77 (1,4%) avaient constaté l’infection au moins 14 jours après la réception de leur première dose de vaccin et 450 (8,3 %) concernaient des personnes dont la date de vaccination n’était pas connue. Aucune personne vaccinée avant 2022 n’a été identifiée. La couverture vaccinale de la population (une dose) est passée de 5,2% (31 juillet) à 29,9% (28 août) dans ces 32 juridictions. La couverture vaccinale avec les deux doses de vaccin est passée de 0,1% à 1,9%. Enfin, les données de cette étude ont été recueillies quand le vaccin était largement disponible, ce qui réduit la possibilité d’un biais éventuel lié à une accessibilité limitée du vaccin.

Les résultats obtenus sont cohérents avec les résultats d’autres études (comme celle-ci), même si les auteurs formulent quelques réserves. Tout d’abord, la temporalité de ces infections par le virus est encore mal connue, et certains participants peuvent avoir reçu le vaccin avant exposition, ou d’autres avoir été de nouveau exposés après la vaccination. De plus, l’incidence chez les personnes ayant reçu 2 doses de vaccin n’a pas pu être évaluée à cause de la faible couverture et donc de la rareté des données concernant la vaccination complète.

Rappelons que le schéma vaccinal complet comporte 2 doses et qu’une efficacité si élevée pour juste une simple prise n’était pas attendue. Il reste donc recommandé aux personnes éligibles à la vaccination contre la variole du singe de recevoir les deux injections pour une protection optimale.

Un vaccin très demandé

Même sans connaître encore cette efficacité, ce vaccin a été très bien accueilli par les populations ciblées. Malgré la prudence du gouvernement et les difficultés de mobilisation des doses, les associations ont poussé à ce que le vaccin soit accessible en prévention à toutes les personnes à risque et pas seulement aux partenaires des personnes atteintes en post-exposition. Une étude néerlandaise a étudié les réponses à un sondage en ligne sur le monkeypox auprès d’un panel d’HSH et de personnes transgenres (N= 1856). Plus de 85% des personnes éligibles au vaccin antivariolique étaient prêtes à se faire vacciner (et 90% pour la vaccination post-exposition). Chez la majorité des répondants, cette opinion était motivée par la possibilité de prévenir l’infection, même si certains exprimaient des réserves au sujet des effets indésirables. Les personnes moins susceptibles de vouloir se faire vacciner appartenaient à des sous-groupes moins urbains, éloignés d’un réseau communautaire gay ou LGBT, qui ne connaissaient pas de personnes s’étant fait vacciner, mais qui, aussi, déclaraient un nombre élevé de partenaires.

Face à ces résultats, les chercheurs ont souligné l’importance pour les messages de santé publique d’inclure des informations factuelles sur le monkeypox (risque d’exposition, modes de transmission, symptômes) ainsi que sur le vaccin (effets secondaires, degré de protection pour soi et la communauté, historique de développement). Ces informations doivent permettre aux personnes concernées d’évaluer elles-même leur risque d’exposition et de faire un choix éclairé face au vaccin, pour elles-mêmes et pour les autres.

Le rôle des comportements sexuels dans la dynamique de l’épidémie

La question du nombre de partenaires sexuels reste un sujet épineux, parce que susceptible de nourrir l’homophobie et d’être utilisé pour stigmatiser les HSH. Il est pourtant essentiel de s’y pencher: face à une infection se transmettant dans un contexte sexuel, se pose la question du nombre de partenaires. Plus encore, son rôle dans la transmission du monkeypox ou au contraire dans la prévention de cette transmission. Si les institutions de santé n’ont pas souhaité communiquer autour d’une diminution du nombre de partenaires, une modification des comportements sexuels des HSH, dans leur ensemble, a été rapportée. Aux États-Unis, une récente enquête auprès d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes rapporte qu’environ la moitié d’entre eux ont déclaré avoir réduit leur nombre de partenaires sexuels, de rencontres sexuelles ponctuelles et d’utilisation d’applications de rencontres à cause de l’épidémie de monkeypox.

Selon une étude du CDC état-unien, les partenariats sexuels ponctuels représentaient moins de 3% des partenariats sexuels quotidiens, et seulement 16% du nombre total de rapports sexuels entre hommes au cours d’une journée. Mais ces «coups d’un soir» représenteraient 50% de la transmission du monkeypox. Dans la modélisation présentée, une diminution de 40% du nombre de partenariats ponctuels a entraîné une réduction de 20% à 31% du pourcentage de HSH infectés et a permis un ralentissement non négligeable dans la propagation de l’épidémie. Enfin, la diminution ou le report de ces partenariats sexuels ponctuels a permis pendant ce temps d’augmenter la couverture vaccinale de la population exposée (un vaccin, comme vu ci-dessus, très efficace). 

Cette modification comportementale, conjuguée à la vaccination, a donc eu un impact non négligeable sur l’épidémie. Et cet impact, concluent les chercheurs, est encore plus grand s’il est combiné avec l’accélération de la prise en charge, soit une réduction du délai entre l’apparition des symptômes, le dépistage et le traitement.

Reste que pour Vittoria Colizza, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm, il faut rester prudent face à ces modélisations: «À ce stade, les modèles ne sont pas vraiment calibrés sur les trajectoires observées, car [les chercheurs] auraient besoin de plus d’informations qu’on n’a pas encore estimé, comme par exemple les formes asymptomatiques, la possible transmission pré-symptomatique, mais aussi simplement la durée de la période d’infection.»

«Contact tracing» et vaccination

Très rapidement, en France, il s’est montré difficile de mettre en place une notification des partenaires des personnes infectées, en raison d’une résistance ancienne et générale à la démarche, perçue attentatoire à la vie privée. Réalisée dans le but de comprendre la transmission et documenter la nouvelle maladie, d’accélérer le diagnostic et l’auto-isolement des personnes atteintes, et de proposer une vaccination post-exposition parmi leurs contacts dans les premières semaines de l’épidémie, elle a été quasiment abandonnée quand la vaccination a été élargie à toutes les personnes exposées.

Une étude belge suggère pourtant que la recherche des contacts est efficace pour réduire l’épidémie, et ce, même si seulement 10% des contacts cessent leur activité sexuelle après avoir été prévenus. Cette étude confirme néanmoins, avec prudence, l’efficacité de la vaccination d’une proportion aléatoire d’individus les plus exposés plutôt que de se concentrer sur la vaccination post-exposition des partenaires. 

Et maintenant?

La campagne de vaccination n’est pas finie, et elle doit se poursuivre si on veut se débarrasser du monkeypox. Santé publique France appelle à la prudence, car l’amélioration des connaissances sur la maladie peut diminuer le recours aux soins des populations les mieux informées. 

Cette pandémie a aussi révélé, comme celles d’avant, les effets gravement nocifs de la pénalisation et de la stigmatisation de certaines populations, comme les travailleurs et travailleuses du sexe, et elle demande une réponse basée sur la protection des droits des personnes et la réduction des risques.

Enfin, si l’éradication du monkeypox semble se dessiner dans les pays du Nord, le virus n’a pas disparu pour autant. Il continue à sévir en zone endémique, en Asie et en Afrique, avec un taux de mortalité bien plus élevé. On observe des cas dans des pays africains où on ne voyait pas la maladie. Selon le CDC Afrique, nous ne disposons pour l’instant d’aucune preuve de changement lié à l’épidémie au sein de la population HSH. 

En août 2022, lors d’une conférence de presse de l’Organisation mondiale de la Santé, Otim Patrick Ramadan, responsable des urgences sanitaires à l’OMS, avait déclaré que 60% des 350 cas africains confirmés concernaient des hommes et 40% des femmes. La transmission semble se faire quasi exclusivement par contact avec des animaux. A ce sujet, en Europe, le seul cas de transmission rapporté concernait un chien et il reste à confirmer.

Au 22 septembre 2022, le CDC Afrique rapportait 568 cas confirmés (4659  suspectés) et 137 morts depuis le début de l’année. 

Cas confirmés de monkeypox par semaine par État membre de l’Union Africaine depuis janvier 2022. Source : CDC Afrique.

Le monkeypox, comme le CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. avant lui, a exposé nos faiblesses en termes de réponse à la survenue d’un agent pathogène. Mais on peut aussi se servir de cette expérience pour répondre aux prochaines épidémies, qui ne manqueront pas de survenir. L’Unicef appelle, à ce sujet, à en tirer les leçons en termes d’identification des ressources (vaccins), d’investissement en recherche et développement et de mise en place de ces tactiques appropriées contre ces priorités mondiales.

Changer de nom de la maladie et du virus
On le sait, la variole du singe porte très mal son nom et n’a pas grand chose à voir avec les singes (les rongeurs constitueraient le réservoir naturel de la maladie). L’OMS a déclaré depuis juin que le nom de la maladie n’aidait pas à réduire la stigmatisation des personnes atteintes et déclarait chercher une alternative plus adaptée à la réalité de la maladie. Aucune proposition satisfaisante ne semble pour l’instant avoir émergé, même si «orthopoxvirus simien» est parfois utilisé. En attendant, un groupe d’experts mondiaux convoqués par l’OMS a déjà convenu de nouveaux noms pour les variants, à base de chiffres romains.