Crack — Un nouvel outil à la disposition des usagers de drogues : l’auriculothérapie

L’auriculothérapie ou protocole NADA (National Acupuncture Detoxification Association) est une technique d’acupuncture mise au point en 1975 dans le Bronx pour aider les usagers de crack à gérer le craving. Après quelques expérimentations individuelles, comme celle du Dr Christine Gaston-Mabillat (Csapa Horizons), elle est introduite par l’association NADA France, fondée par l’équipe de la Fratrie (Csapa de Nanterre), qui assure la formation des équipes désireuses de se lancer dans cette nouvelle approche.

Cet article a été publié dans le Swaps n°70 qui propose un dossier spécial consacré au « Crack ».

L’auriculothérapie consiste à poser cinq aiguilles d’acupuncture au niveau de cinq points précis de l’oreille. Les effets attendus sont de diminuer le craving, de réduire l’anxiété et d’améliorer le sommeil.

Outre l’entretien préalable qui va poser l’indication de l’auriculothérapie et permettre d’informer l’usager, il s’agit d’une technique non verbale. Une fois les aiguilles posées, elles sont laissées en place entre vingt minutes et une heure, de préférence dans un lieu calme et non passant (mais cette condition n’est pas obligatoire). Il est conseillé de multiplier les séances afin d’obtenir une efficacité optimale.

A Gaïa

Deux médecins et quatre infirmières ont été formés en 2008. Les infirmières ont une délégation de prescription leur permettant de proposer l’auriculothérapie aux usagers sans consultation médicale, ce qui est particulièrement intéressant dans les unités mobiles Csapa et Caarud où il n’y a pas systématiquement de médecin.

Cette méthode progresse lentement à Gaïa, car il n’est pas simple de proposer régulièrement des séances aux usagers en raison de l’exiguïté des locaux, de la forte affluence aussi bien au lieu fixe que dans les unités mobiles. Le succès de l’auriculothérapie pendant le weekend des Solidays en 2009 relance l’intérêt pour cette technique, qui fera désormais partie intégrante de l’offre de soin de Gaïa.

Au Caarud

Le camion dispose d’un espace infirmier à l’arrière avec un lit d’examen. Bien que venant souvent dans l’urgence et peu disponibles, certains usagers se montrent très intéressés par l’auriculothérapie. Ils apprécient en particulier de bénéficier d’un lieu et d’un temps pour eux seuls, alors que l’affluence est souvent importante et qu’ils sont dans l’urgence inhérente à leur mode de vie.

Dans les unités mobiles : Csapa et bus méthadone

L’auriculothérapie est pratiquée uniquement sur les deux sites « plus calmes » de la Porte de la Chapelle et de Nation. Les usagers peuvent s’asseoir sur les deux sièges à l’avant ou sur la banquette de l’espace d’attente, s’il n’y a pas trop de monde. Cela démontre qu’un espace dédié n’est pas indispensable au bon déroulement des séances, même si, bien évidemment, un minimum de calme est important.

Les séances sont appréciées de certains usagers de crack pour diminuer le craving ou au moins retarder le moment de la prochaine consommation de crackCrack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant. mais aussi pour se reposer. Deux personnes ont demandé des séances quasi quotidiennes pendant plusieurs semaines avec des objectifs très précis de gérer leurs envies de consommer. L’une d’entre elles, très motivée, recevait son traitement hebdomadaire au lieu fixe et ne venait au bus que pour l’auriculothérapie.

Au Csapa Parmentier

Au lieu fixe, l’auriculothérapie est proposée par les soignants. Elle s’inscrit assez naturellement dans le fil de l’entretien en consultation lorsque l’usager est pressé d’arrêter les traitements de substitution aux opiacés (TSO), exprime une peur d’être dépendant aux médicaments alors qu’il souffre d’anxiété ou de trouble du sommeil.

En 2012, nous avons pratiqué environ 150 à 200 séances d’auriculothérapie sur une cinquantaine de patients. Dernièrement, une personne a été orientée par l’équipe du Caarud au lieu fixe pour essayer l’auriculothérapie. Après deux séances, cette dernière a formulé une demande de prise en charge de sa dépendance et a été incluse dans le programme de substitution.

Les intérêts de cette thérapie sont multiples et dépassent les objectifs recherchés. L’effet sur le craving existe, mais il est très variable d’une personne à l’autre. De plus, il est souvent difficilement envisageable pour certains usagers d’accepter l’idée de se poser, ne fût-ce que seulement vingt minutes. La diminution du craving s’observe surtout lorsque les séances se répètent et que l’usager s’est familiarisé avec cette technique.

Le fait qu’il s’agisse d’une technique non verbale et, de façon plus large, d’une thérapie sans enjeu et sans contrainte, est très apprécié. En effet, il n’y a pas d’obligation à consulter un médecin, à renouveler les séances à intervalles réguliers, même si cela est recommandé. L’usager choisit le moment des séances, leur fréquence, leur durée. Il n’y a pas d’obligation de résultat, pas de lien avec un éventuel traitement de substitution ou l’abstinence. Les usagers apprécient également la parenthèse que constitue ce temps de détente. Dans les unités mobiles, où la consigne en général est de ne pas stationner, l’auriculothérapie est parfois un prétexte pour rester dormir dans le camion.

Nous constatons par ailleurs deux effets particulièrement intéressants. Le premier est que l’auriculothérapie permet à la personne de se recentrer sur elle-même et de se couper pour un temps du monde extérieur, d’être plus attentive à soi. Le second est que l’usager peut atteindre un certain niveau de relaxation, indépendamment de toute prise de produit ou de médicament.

Les limites du NADA

Si l’auriculothérapie est une thérapie sans contrainte et sans enjeu pour l’usager, elle implique une réelle remise en question de nos pratiques professionnelles. En effet, nous devons gérer un paradoxe : comment intégrer, dans une structure qui fonctionne souvent dans l’urgence (activité intense, grand volume de consultations sans rendez-vous, locaux exigus), une technique qui se rapproche d’un exercice de relaxation ? Cela nécessite qu’il y ait des personnes formées pour répondre aux demandes spontanées. De même, l’implication de toute l’équipe, en particulier des accueillants, est un atout important pour diffuser l’information et répondre aux interrogations des usagers. Au lieu fixe, l’auriculothérapie peut être proposée pendant le temps d’attente, souvent long.

Pour toutes ces raisons, et aussi parce que nous avons affaire à un public très précaire, nous éprouvons des difficultés à instaurer une régularité dans cette offre de soin. De plus, il ne s’agit pas d’un traitement miraculeux. La difficulté à lâcher prise est source d’échec pour certains. Pour d’autres, se recentrer sur soi et se sentir mieux émotionnellement est insupportable et source d’angoisse.

L’auriculothérapie présente un réel intérêt dans les centres qui accueillent des usagers de drogues et vient élargir la diversité des outils proposés, ce qui permet une prise en charge plus adaptée aux besoins et aux craintes des patients. Cette technique leur offre un moment de pause et de relaxation qu’ils choisissent en toute liberté. Ils décident du moment et de la durée. Cette approche est en rupture avec les pratiques habituelles, c’est un espace sans paroles et sans médicaments qui leur permet parfois de se retrouver à leur rythme. Cela pourrait aussi se dire d’autres techniques de relaxation non médicamenteuses, qui, comme l’auriculothérapie, présentent l’avantage de dissocier les ressentis aussi bien physiques que psychiques de la prise de produits ou de traitements psychotropes.

Un autre aspect non négligeable est l’impact sur la relation thérapeutique soignant-soigné. Sur le soignant, cette technique présente l’avantage de donner l’initiative, aussi bien à l’usager qu’aux professionnels non médecins, en particulier les infirmiers formés à cette pratique. De plus, par le toucher, par les positionnements des corps (à la même hauteur, pas de séparation par une table ou un comptoir), il s’établit une certaine égalité entre les personnes. Le fait d’être dans une thérapie sans contrainte est également extrêmement gratifiant pour les professionnels, et cela n’est pas négligeable dans notre travail de terrain.

De notre expérience, nous pouvons tirer quelques constats cliniques qui mériteraient une évaluation scientifique que nous n’avons pas les moyens de mettre en place actuellement :

– amélioration du sommeil : de nombreux usagers dorment dès les aiguilles posées et disent se sentir tout à fait reposés au réveil ;

– sentiment de détente : c’est l’effet le plus souvent constaté ;

– aide à la gestion du craving sur le moment qui se poursuit pendant quelques heures, en particulier chez les consommateurs de crack ;

– libération de la parole chez certains, même si cette technique est non verbale ;

– bénéfices secondaires : possibilité de rester dans le camion, d’être à l’écart, de dormi ;

– les usagers sont généralement satisfaits.

Conclusion

Nous soutenons l’intérêt d’introduire des techniques de relaxation non médicamenteuses dans la relation thérapeutique afin de dissocier le soin des produits ; l’auriculothérapie peut être proposée en association avec des techniques de respiration ou d’autres techniques de relaxation. La diversité des outils proposés permet une prise en charge plus adaptée aux besoins et aux craintes des personnes reçues, dans des contextes parfois difficiles et particuliers comme la rue ou des espaces mobiles.

Nous soulignons l’impact de l’auriculothérapie sur la relation soignant-soigné : le contact direct entre les protagonistes, le positionnement « intime » des corps dans l’espace (différent du face-à-face, séparé par un bureau ou un comptoir, le fait de tourner autour de la personne, de l’envelopper), l’absence d’enjeu concernant l’abstinence, de rôle à jouer, l’affirmation du rôle essentiel de l’infirmier(e) dans la relation thérapeutique dans nos espaces de soins, tous ces éléments contribuent à rendre la prise en charge des usagers plus humaine et plus apaisée.