Salles de consommation — Bientôt une salle de consommation à moindre risque à Paris ?

Le projet de Salle de consommation à moindre risque à visée éducative (SCMRE) de Médecins du Monde et Gaïa-Paris pourrait voir le jour au printemps 2013. C’est un premier pas pour une relance de la politique de réduction des risques. Chiche !

Cet article a été publié dans Swaps n°68.

Deux ans pour libéraliser la vente de seringues en pharmacie, sept pour généraliser les traitements de substitution à l’héroïne, mais trois et demi pour obtenir le feu vert pour expérimenter les « Salles de consommation à moindre risque à visée éducative » (SCMRE) ? C’est ce qu’espèrent Médecins du Monde (MDM) et l’association Gaïa-Paris qui ont tout récemment rendu public1Le communiqué issu de cette conférence de presse du 9 octobre 2012 est signé par le Réseau français de réduction des risques, Sidaction, la Fédération Addiction, SOS Hépatites, Safe, Gaïa-Paris, Aides, l’ANPAA, Act Up Paris, l’Association française pour la réduction des risques (AFR), Médecins du Monde, le Collectif Hypertension, Elus santé publique & territoires, Elus locaux contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. le Syndicat de la magistrature, le Mouvement des jeunes socialistes, les Jeunes Verts. leur projet de SCMRE, salles d’injection et d’inhalation sous contrôle médical, après trois années d’élaboration de projets et polémiques.

Avec comme « design », celui de la salle de Vancouver, lieu convivial « qui ressemble plus à un salon de coiffure qu’à un centre d’accueil », expliquait le Dr Elisabeth Avril, la responsable du projet. Et l’objectif général, bien sûr et surtout, d’améliorer la santé des usagers (réduction des risques liés au virus de l’immunodéficience humaine [VIH], hépatites virales, overdoses, accès aux soins de base, etc.) et la sécurité des plus précaires, mais aussi, et de façon clairement affichée, d’améliorer la tranquillité et la sécurité des habitants des quartiers concernés. « Nous avons également pour objectifs spécifiques d’entrer en contact avec le maximum d’usagers de drogue afin de favoriser l’insertion sociale des plus marginalisés (et les orienter vers des Caarud et Csapa d’Ile-de-France), de promouvoir l’éducation aux risques liés à l’injection intraveineuse et à tout autre mode de consommation, de contribuer à la formation des professionnels et à la recherche dans le domaine de la réduction des risques », ajoutait-elle.

Bien au-delà d’une « salle de shoot »

La salle, qui pourrait être ouverte 7 jours sur 7 et 8 heures par jour, assurerait un accueil, anonyme et gratuit, quotidien, de 200 à 250 passages de consommateurs de drogues par voie intraveineuse et par inhalation (crack notamment). Les mineurs, les personnes en état d’ébriété, trop agitées ou déjà « sous produits », celles qui exigent d’utiliser leurs propres matériels et de pouvoir récupérer leurs « cotons », celles qui ont l’intention d’injecter dans des sites inappropriés (abcès, ulcères, parties génitales, etc.) seront refusés. « Les femmes enceintes, comme les couples d’injecteurs, feront l’objet d’une procédure d’inclusion et d’un suivi spécifiques dans le programme », précisait Elisabeth Avril.

Avant d’être admis dans le dispositif, chaque usager se soumettra à un entretien destiné à retracer son parcours de consommateur et recevra une carte d’accès lui permettant de consommer sur place la drogue qu’il aura lui même apportée, avec, impérativement, le matériel stérile fourni. Après, en arrivant dans la salle, il remet sa carte et attend qu’une place se libère pour accéder à un « poste de consommation ».

Le programme SCMRE permettra aussi aux usagers d’avoir accès à des traitements de substitution aux opiacés et au sevrage. La présence de médecins et d’infirmiers garantira la prise en charge des surdoses et malaises, avec un recours au Narcan® si nécessaire. Toute l’équipe d’accueil, comme les usagers, seront par ailleurs formés aux gestes de première urgence, et le dispositif a prévu la mise en place d’un protocole d’urgence avec les hôpitaux les plus proches. Tous les intervenants seront formés à l’approche éducative liée à la consommation de drogues. Des « usagers pairs » nettoieront chaque jour les environs de la salle et on mettra en place des réunions régulières de riverains, auxquels on remettra un numéro de téléphone spécifique. Pour finir, le dispositif a pour projet d’assurer des formations auprès des forces de l’ordre et de la « Suge » (sureté générale de la SNCF), et, bien sûr, d’accueillir les stagiaires et membres d’équipes d’autres structures.

Ne pas vendre la peau de l’ours, mais y croire…

Pour le moment, les promoteurs de la SCMRE se refusent à préciser le lieu d’implantation envisagé, arguant que sa réussite dépend aussi du travail fait en amont avec les riverains et les forces de police. Le budget en est encore « en maquette » et dépendra de la « voilure » du dispositif agréé, de son amplitude horaire d’ouverture, du local retenu… On parle de 12 à 13 équivalents temps plein, d’une permanence médicale… Mais pour l’heure, on attend surtout et avant tout le feu vert des pouvoirs publics. Presque gagné si l’on en juge par la déclaration, fin août, de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui avait affirmé que son ministère serait prêt « assez rapidement » à en lancer l’expérimentation ? Déjà, le Conseil de Paris avait voté en 2010 en faveur de cette initiative, et on sait que la région Ile-de-France a apporté son soutien depuis vingt bonnes années aux initiatives de réduction des risques. Le 27 septembre dernier, elle a même voté une subvention de 200000 €pour la mise en place de cette SCMRE. Plusieurs maires de Paris ont engagé des réflexions sur ce sujet…

Mais « presque », « assez rapidement » et « plusieurs », ce n’est pas « tout à fait », « très bientôt » et « la plupart »… Le projet, lancé en fait le 19 mai 2009, lorsque le Réseau français de réduction des risques avait installé une salle de consommation à moindre risque dans les locaux d’Asud à Paris, a déjà, sur son principe, plus de trois années de « vol ». Selon Elisabeth Avril, on pourrait tabler sur une ouverture au printemps prochain, si notre sport favori, la procrastination frileuse, ne lui impose pas un délai « de rab », plus ou moins élastique. Les salles de consommation existent dans près d’une dizaine de pays, dont la Suisse et l’Allemagne. Des villes comme Paris, Marseille, Bordeaux et Strasbourg sont prêtes à s’investir, mais « la fenêtre de tirs est réduite » en raison des municipales de 2014, pendant lesquelles il risque « d’être difficile de défendre ces dispositifs », a souligné Jean-François Corty, de MDM. Les tirs de barrage de l’UMP parisienne, eux, sont bien réels, si l’on en juge les déclarations de Jean-François Legaret, président du groupe UMP au Conseil de Paris, et de Philippe Goujon, président de la fédération UMP de Paris et membre de la mission interparlementaire d’information sur les toxicomanies, qui « ont toujours estimé que la priorité nationale dans ce domaine était de prévenir et réduire la consommation et non de l’encadrer ».

Pour leur part, MDM, Gaïa et plusieurs autres associations (Aides, Sidaction, Act Up, Syndicat de la magistrature, etc.) ont rappelé, dans un communiqué commun, la promesse de François Hollande de laisser Paris et Marseille expérimenter de telles salles, soulignant que l’Inserm a « validé scientifiquement » leur intérêt. Alors, y croire… Pour faire !

 

Pour soutenir le webdoc sur la RdR

Lors de cette conférence de presse, le Réseau français de réduction des risques a lancé un appel à collecte de fonds auprès des particuliers, associations, et sociétés, sur le site KissKissBankBank.com, pour réaliser un webdocumentaire sur la réduction des risques. Avec, en ligne de mire, la réunion, en 75 jours, à partir du 9 octobre, des 5000 euros qui manquent pour compléter le financement du projet, et, in fine, une mise en ligne début 2013.
L’objectif est de créer un documentaire multimédia incluant photos, textes, vidéos et sons sur les addictions, abordées sans tabous ni culpabilisation par une multitude d’acteurs concernés (personnes addictes et leurs proches, professionnels des addictions, etc.).
Le webdoc sera réalisé par l’agence de création audiovisuelle et multimédia So Bam, fondée par Marc Chiapello et Joss de Richoufftz, tous deux issus des milieux associatifs, multimédia et « électroniques ». Avec, dans l’équipe, Nelly Jones, jeune journaliste qui a travaillé sur la RdR à Vancouver, notamment pour Radio Canada.

Pour aider les promoteurs du projet, rendez-vous sur le site KissKissBankBank.com:
www.kisskissbankbank.com/a-consommer-avec-moderation