Slam — L’expérience d’un centre de santé sexuelle parisien

Depuis environ trois ans, les consommations de méphédrone et de ses dérivés sont en pleine expansion. Elles semblent particulièrement importantes dans la communauté homosexuelle masculine où l’on parle de «slam» quand ces produits psychoactifs sont utilisés par voie injectable. L’expérience clinique dans un centre de dépistage et de suivi de patients infectés par le VIH, le 190, en soins de suite infectieux et dans un centre d’addictologie a permis de rencontrer ces usagers et de mesurer la potentielle gravité des conséquences de telles pratiques. Il paraît alors urgent de réfléchir à la prise en charge de ces patients.

Cet article a été publié dans le n°67 de Swaps (PDF, 1,88Mo).

La méphédrone se présente sous forme d’une poudre blanche cristalline qui se consomme par voie injectable, orale ou nasale. Produit dérivé de l’éphédrone, elle fait partie de la famille des cathinones. On trouve diverses appellations qui évoluent avec le temps sous des noms chimiques (méphédrone, méthylène-dioxy-pyrovalerone (MDPV), Energy-1, méthédrone, fléphédrone, buphédrone…) et «?noms de rue?» (MMC, meowmeow, M-Cat, méph, miaou miaou, bubbles…). 

La méphédrone est classée comme stupéfiant de classe B en France depuis juin 2010. Pour contourner ces barrières légales, le marché évolue rapidement en changeant légèrement les structures chimiques des produits tout en conservant leurs effets. Ainsi ils restent très facilement accessibles aux consommateurs qui les trouvent en vente libre sur Internet sous forme d’engrais ou de sels de bain avec la mention «?non consommables par l’homme?», et à un faible coût (10 euros environ le gramme)1OFDT, «?Méphédrone et autres nouveaux stimulants de synthèse de circulation?», note d’information Sintes, 2010, actualisée en janvier 2011.

Les usagers rencontrés ont, au départ, pour la majorité consulté de façon répétée au Centre 190 (Paris XXe) pour des dépistages d’infections sexuellement transmissibles. Les entretiens autour des conduites sexuelles à risque ont permis aux cliniciens d’identifier ces consommations et d’orienter les patients vers la consultation addictologie de la structure. Cela a permis de faire le point sur ces comportements et les problématiques fréquemment associées, qu’elles soient addictives (alcool et addiction sexuelle) ou psychiatriques (dépression notamment). 

Après quelques entretiens, l’objectif est d’orienter les patients qui le souhaitent vers un centre d’addictologie tel que l’Utama (Unité de traitement ambulatoire des maladies addictives) de l’hôpital Beaujon afin de leur permettre de bénéficier d’une prise en charge plus globale sur le plan addictologique. Une consultation spécifique vient d’ouvrir dans cette structure le lundi matin. Les réticences de certains patients vis-à-vis de cette orientation dévoilent leur ambivalence quant à l’arrêt de ces consommations qu’ils souhaiteraient, pour la plupart, pouvoir «?contrôler?». 

Plus récemment, quelques patients ont été adressé au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) Nova Dona, qui accueille habituellement des patients dépendants aux opiacés. Cela confronte ces patients à ceux qu’ils associent à une identité stigmatisante de toxicomane et, de leur point de vue, bien éloignés d’eux… 

Des parcours similiaires

De façon générale, les patients rencontrés dans ces différentes structures présentent des parcours étonnamment similaires?: population jeune (en majorité moins de 40?ans), sexualité «à risque», infection VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. contrôlée et bien suivie, pratiques de consommations ponctuelles de drogues dites «?récréatives?» (poppers, GHB, ecstasy…). Leurs parcours semblent les amener presque «?par hasard?» à essayer un produit dérivé de la méphédrone par voie intraveineuse, pratique que la plupart d’entre eux découvrent à cette occasion. La pratique du «?slam?» semble elle aussi assez stéréotypée?: plusieurs hommes se retrouvent chez l’un deux après s’être contactés via des sites internet de rencontre gay (avec «?chem?» triage, c’est-à-dire qu’on choisit son partenaire en fonction des produits qu’on souhaite consommer) avec injections mutuelles des produits. L’objectif initial est d’augmenter l’excitation sexuelle.

La durée d’action de ces produits est de 2 à 5 heures, avec un retour à la normale très variable d’un individu à l’autre. En effet, la phase de descente dure en moyenne 48 heures, marquée par une grande fatigue, des troubles de la concentration, des palpitations, des maux de tête et de l’anxiété. Certains décrivent des phases pouvant durer plusieurs jours, avec angoisse massive, paranoïa et maux de tête de type décharge électrique. Cependant, en général, les premières expériences sont globalement ressenties comme positives avec une augmentation importante de la libido et des effets qui se rapprochent à la fois de ceux de l’amphétamine et de l’ecstasy, en moins puissant (euphorie, augmentation de l’estime de soi, amélioration subjective de la communication, empathie, désinhibition, diminution de la perception de la fatigue, majoration des sensations tactiles). 

Les consommations suivantes sont espacées puis se rapprochent avec l’apparition des premiers effets «?indésirables?». Il y a un phénomène de tolérance (nécessité d’augmenter les doses pour avoir le même effet) et un émoussement assez rapide des effets positifs en particulier sur le désir sexuel si bien que, rapidement, les consommations ne sont plus accompagnées de sexualité, et se font seul. Le phénomène de «?craving?» (envie irrépressible de consommer), bien connu avec la cocaïne, se retrouve avec la méphédrone et ses dérivés. Il n’existe pas de dépendance physique, ce qui permet un sevrage assez simple même si certains symptômes ont été décrits en cas d’arrêt brutal?: tremblements, frissons, baisse de la température et sentiment de paranoïa2Karila L, Petit A, Cottencin O et al., «Drogues de synthèse?: le nouveau cadre low-cost des drogues?», Revue du Praticien, 2012, 62, 664-66.

Sur le plan psychiatrique, certains usagers décrivent des hallucinations, des idées paranoïaques, des troubles cognitifs, et assez fréquemment un syndrome dépressif avec anxiété, troubles du sommeil et idées suicidaires. Sur le plan somatique, ces produits sont connus pour entraîner fatigue, tachycardie, palpitations, hypertension artérielle, nausées et vomissements, sueurs, mydriase, trismus, épistaxis, diminution de sécrétions salivaires, disparition des sensations de faim et de soif3Karila L, Petit A, Cottencin O et al., «Drogues de synthèse?: le nouveau cadre low-cost des drogues?», Revue du Praticien, 2012, 62, 664-66.

S’y ajoutent les classiques complications des injecteurs de produits, renforcées par le peu d’expérience de ces usagers?: infections cutanées locales (abcès) ou disséminées (septicémies, endocardites…), transmission d’infections virales (hépatites B et C, VIH). Ces dernières peuvent évidemment aussi être acquises lors des rapports sexuels à risque associés à ces pratiques avec le lot d’infections sexuellement transmissibles possibles. Enfin, on retrouve des difficultés d’observance aux traitements antirétroviraux avec oublis ou rupture de traitement chez des patients jusque-là observants. 

Le risque mortel semble exister, comme en témoignent différents cas médiatisés au Royaume-Uni (25 décès en avril 2010 attribués à la méphédrone, mais non confirmés) (lire page 9) et en Suède (une overdose confirmée à l’autopsie)4Debruyne D, Courne MA, Le Bopisselier R et al., «?La méphédrone?: une designer drug d’usage récent en France?», Thérapie, 2010, 65, 519-24.

Enfin, sur le plan social, de nombreux usagers jusque-là bien insérés décrivent un isolement amical de plus en plus restreint aux autres consommateurs, ainsi que des difficultés professionnelles (absences itératives, pertes de performance, voire perte d’emploi).

Très peu de données bibliographiques

Il y a encore très peu de données bibliographiques sur cette problématique spécifique. Une étude australienne de 2011 retrouvait 4% d’utilisateurs parmi 572 personnes homosexuelles interrogées, mais ces consommations étaient uniquement nasales ou orales5Lea T, Reynolds R, De Wit J, “Mephedrone use among same-sex attracted young people in Sydney, Australia”, Drug Alcohol Rev, 2011, 30, 438-40. D’autres études sont donc nécessaires pour préciser les modes de consommation et leurs effets, et ainsi développer la prise en charge de ces patients. L’association Aides mène en ce moment une étude sur le «?slam?» dans la population gay, à la fois auprès des consommateurs et des professionnels, pour mieux identifier les problématiques et les éventuels besoins. 

L’usage de méphédrone et de ses dérivés par voie intraveineuse dans la population gay VIH est donc en pleine expansion, avec des conséquences graves, qui nécessitent de définir de façon urgente une prise en charge spécifique. En effet, il n’est pas aisé pour ces patients de savoir où s’adresser et les «?médecins VIH?», souvent leurs principaux interlocuteurs médicaux, sont souvent démunis sur cette question. Enfin, il semble primordial d’interroger de façon systématique les populations à risque afin de dépister ces comportements à un stade précoce et de les informer sur les risques de telles consommations.