Virologie — Tropismes et sous-types viraux

Tropismes et sous-types viraux peuvent influencer les stratégies de prise en charge thérapeutique. Plusieurs publications récentes consacrées aux liens entre ces formes virales permettent de faire le point sur cette question.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°139.

La problématique du tropisme viral est redevenue d’actualité depuis l’arrivée des antagonistes du CCR5. Il est connu depuis longtemps que l’utilisation des corécepteurs viraux est associée à l’évolution du déficit immunitaire et par conséquent de l’infection : au début, les virus à tropisme macrophagique dit R5 utilisent le corécepteur CCR5, puis à un stade plus avancé, les virus présents à tropisme lymphocytaire deviennent X4 en utilisant le corécepteur CXCR4. La plupart des virus représentent à ce stade soit un mélange des virus R5 et X4, soit des virus à double tropisme R5/X4. Les virus R5 sont aussi plus fréquemment transmis que les virus X4.

En parallèle, la diversité virale présente dans le monde, aujourd’hui bien décrite en termes de différents sous-types et de recombinants entre sous-types viraux, pose la question du rôle de ces différentes formes virales sur la transmission et la progression de l’infection.

Sous-type D et pathogénicité

Différentes publications font le lien entre le tropisme viral et la diversité virale. Dans une large cohorte de 1045 personnes infectées et non traitées en Ouganda, la progression de l’infection s’est montrée plus rapide chez les personnes infectées par un sous-type D par rapport à celles infectées par un sous-type A, et même après ajustement sur le niveau des CD41Kaleebu et al., «Effect of human immunodeficiency virus type 1 envelope subtypes A and D on disease progression in a large cohort of HIV-1 positive persons in Uganda», J Infect Dis, 2002, 185, 1244-50. Les données obtenues également en Ouganda à partir de la cohorte Rakaï ou au Kenya, vont dans le même sens avec une diminution plus rapide des CD4 et un risque de progression de l’infection et de décès plus important chez les personnes infectées par un sous-type D ou par un recombinant avec le D par rapport aux sous-types A ou C2Kiwanuka N et al., «Effect of human immunodeficiency virus type 1 (HIV-1) subtype on disease progression in persons from Rakai, Uganda, with incident HIV-1 infection», J Infect Dis, 2008, 197,
707-13
,3Baeten JM et al., «HIV-1 subtype D infection is associated with faster disease progression than subtype A in spite of similar plasma HIV-1 loads», J Infect Dis, 2007, 195, 1177-80.

Dans une analyse récente menée chez 57 enfants ougandais infectés provenant de l’étude HIV NET, le tropisme viral analysé sur les prélèvements réalisés entre 6 et 14 semaines après l’accouchement montre qu’il s’agit majoritairement de virus R5 (52 enfants) et de virus X4 ou R5/X4 pour les 5 autres enfants. Les mères de ces 5 enfants présentent également des virus X4 ou à double tropisme. Chez les 20 enfants infectés par un sous-type D, il existe soit un tropisme X4 ou R5/X4 (n=4), soit un tropisme exclusivement R5 avec cependant un niveau d’infectivité des cellules CCR5 positives très élevé. Cette forte infectivité est associée de façon significative à une survie plus courte de ces enfants.

Populations différentes

L’analyse clonale des virus utilisant le CXCR4 (n=5) montre des populations très différentes en termes de tropisme (uniquement R5/X4, uniquement X4 ou mélanges de virus R5 avec des virus X4 ou des virus R5/X4). Le séquençage de la boucle V3 de l’ensemble de ces clones montre que dans certains cas, le tropisme peut être différent malgré la présence d’une séquence identique. Cela signifie que la détermination du tropisme ne provient pas exclusivement de la boucle V3 mais aussi de régions situées en dehors4Church JD et al., «HIV-1 tropism and survival in vertically infected ugandan infants», J Infect Dis, 2008, 197, 1382-8.

Cette observation sur la relation entre le sous-type D et une plus grande pathogénicité pourrait s’expliquer par l’utilisation plus fréquente du CXCR4 par le sous-type D (9/25, 36%) par rapport aux autres sous-types, notamment A et recombinants A/D (0/33).

Double tropisme et boucle V3

Cette étude porte sur les prélèvements provenant des 68 femmes enceintes ougandaises incluses dans l’essai HIVNET. L’analyse clonale montre comme dans l’étude précédente réalisée chez les enfants une grande hétérogénéité des populations virales en termes de tropisme (R5, X4 et R5/X4). Chez 5 des 6 échantillons à double tropisme (R5/X4), la séquence de la boucle V3 des clones R5/X4 est identique à celle des clones R5, suggérant encore une fois une détermination du tropisme en dehors de la boucle V3. Ces virus appelés «dual R» utilisent plus efficacement le corécepteur CCR5 que le CXCR4. A l’inverse, les «dual X», dont la séquence de la boucle V3 est identique aux clones X4, utilisent plus efficacement le corécepteur CXCR4 que le CCR5. Les déterminants situés en dehors de la boucle V3 pourraient intervenir dans l’évolution des souches initialement R5 vers des souches X4.

Les auteurs proposent le modèle suivant pour ces virus à double tropisme : les mutations dans la boucle V3 conférant un tropisme X4 diminuent la capacité réplicative des virus utilisant le corécepteur CCR5, donc la pression de sélection est au profit des virus utilisant le CXCR4. En revanche, l’acquisition de mutations en dehors de la boucle V3 entraîne une utilisation moins efficace du CXCR4 par rapport au CCR5. Des nouvelles mutations compensatrices dans la boucle V3 seraient alors nécessaires pour évoluer vers des virus utilisant préférentiellement le CXCR45Huang W et al., «Coreceptor tropism in human immuno­deficiency virus type 1 subtype D : high prevalence of CXCR4 tropism and heterogeneous composition of viral populations», J Virol, 2007, 81, 7885-93.

Virus X4 et sous-type C

Jusqu’à présent, la fréquence de virus X4 est apparue toujours très faible pour le sous-type C et aussi plus faible par rapport au sous-type B, même chez des patients à un stade avancé de l’infection6Cilliers T et al., «The CCR5 and CXCR4 coreceptors are both used by human immuno­deficiency virus type 1 primary isolates from subtype C», J Virol, 2003, 77, 4449-56.

Une publication récente fait état d’une augmentation notable de la prévalence des souches de sous-type C utilisant le CXCR47Connell BJ et al., «Emergence of X4 usage among HIV-1 subtype C : evidence for an evolving epidemic in South Africa», AIDS, 2008, 22, 896-9. Dans cette étude, le tropisme viral est déterminé par une double approche génotypique et phénotypique chez 20 patients sud-africains infectés par un sous-type C et non traités. Six patients (30%) présentent des virus X4, induisant un phénotype SI (inducteur de syncitia) en culture. L’analyse de la boucle V3 chez les 6 patients montre des modifications spécifiques au niveau des acides aminés 11 et 25 et aussi de la charge nette.

Si elle est confirmée, cette donnée est particulièrement importante quand on sait que le sous-type C est le sous-type majoritaire et qu’il représente plus de 56% des nouvelles infections dans le monde.

Evaluation avant traitement

Un antagoniste du CCR5 étant disponible, il est indispensable d’évaluer le tropisme viral avant l’initiation du traitement. La différence entre les sous-types dans la prévalence de virus à tropisme R5 ou X4 pourrait influencer la stratégie d’utilisation de ces nouveaux antirétroviraux. D’autre part, en cas de double tropisme, l’utilisation préférentielle d’un corécepteur par rapport à l’autre pourrait intervenir dans l’efficacité de la réponse à ces antirétroviraux.