Kesakô ? «Non, bien sûr, nous ne sommes pas un automate de distribution de kits contre matériels usagés, sous pli, avec timbres, prévient d’emblée Catherine Duplessy, la directrice de SAFE. Notre programme est appelé “PES postal” car c’est la terminologie “PES” que comprennent les usagers. Dans les faits, nous mettons à leur disposition tous les matériels de consommation pour injecteurs, sniffeurs et fumeurs de crackCrack Le crack est inscrit sur la liste des stupéfiants et est la dénomination que l'on donne à la forme base libre de la cocaïne. Par ailleurs, ce dernier terme est en fait trompeur, car le mot cocaïne désigne en réalité le chlorhydrate de cocaïne. L'origine du mot 'crack' provient du craquement sonore qu'il produit en chauffant. tels qu’ils en expriment le besoin.»
Au départ, un constat : il existe une population d’usagers de drogues, vivant loin des lieux d’accueil et de soins, relativement bien insérée, plutôt plus féminine et plus jeune que celle rencontrée habituellement, qui appréhende de s’adresser aux pharmaciens d’officine dans de petites communes où tout risque de se savoir, parfois « tricarde » chez les médecins… Bref, un public différent de celui auquel SAFE a affaire dans son programme d’échange de seringues en Île-de-France, que ce soit celui rencontré dans la rue lors du remplissage des automates ou accueilli au local de l’association, avenue de la Porte-de-la-Plaine, près du Parc des Expositions de la
Porte de Versailles. Comment la faire bénéficier d’actions et de matériels de réduction des risques ?
Il fallait l’oser
Simple : aller au-devant d’elle… Par mail et par la poste ! Il fallait y penser, il fallait l’oser. Catherine l’a fait, avec conviction, passion même et surtout un grand professionnalisme, dans la « gestion » des contacts et des
stocks.
L’expérimentation a démarré sur fonds propres à la fin mai 2011 et a fonctionné sans subventions institutionnelles en 2011 et 2012. Elle a été rendue possible grâce à des dons de laboratoires et fournisseurs, ainsi qu’à ceux de kits de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, kits dont l’eau pour préparation injectable (PPI) seule était périmée, ce qui a permis de récupérer les nombreux autres outils de prévention en cours de validité. Elle a pu exister et se développer grâce à l’équipe de SAFE, super motivée, Catherine, Fabienne, chargée du développement des projets, Bienvenue, coordinateur de la logistique, Yves, Benoît et Julien, trois agents de prévention et techniciens, etc. Six personnes pour gérer à la fois les 61 automates de Paris et sa région, qui dispensent des trousses de prévention Kit+ contenant tout le matériel nécessaire pour réaliser deux injections contre un jeton, sept jours sur sept et 24 heures sur 24, le travail de rue et le PES postal. Au total, ils diffusent près de 500 000 seringues à l’année.
Et pour le PES postal, ce sont 140 usagers dans la file active à la fin mai, qui ont reçu, rien qu’entre janvier et mai 2013, 36 800 seringues (entre autres) dans 218 colissimos… En attendant des budgets de fonctionnement suffisants, il a fallu se contenter, pour se faire connaître, de radio tam-tam. En d’autres termes, du site de SAFE et des partenaires : PsychoActif, journal ASUD, Fédération Addiction, un certain nombre de Centres d’accueil
et d’accompagnement à la réduction des risques (Caarud), etc. Plusieurs d’entre eux participent d’ailleurs au comité de pilotage (voir ci-dessous) du projet.
Pas seulement une affaire de colissimo
Tout commence par l’accueil téléphonique ou par mail, étape essentielle du « parcours » de l’usager de drogues dans le PES postal. Il faut, au travers de l’écoute et de ce premier entretien, cerner les pratiques et les prises de
risques, identifier les attentes, les besoins en informations, matériels, voire orientation vers des structures classiques de réduction des risques ou de soins. Sans jamais imposer de solution, encore moins de jugement !
«Beaucoup d’usagers nous disent qu’ils préfèrent s’adresser à nous, par téléphone ou mail, pour ne pas avoir à répondre aux questions qu’on leur pose dans les Caarud». Au bout du fil, ou sur le fil virtuel, il est fréquent que le répondant identifie des pratiques à risques pas encore corrigées, ou cachées aux équipes des Caarud. «Par exemple, ils sous-évaluent systématiquement leurs besoins en matériel, comme ils le font face à une équipe de Caarud, et on comprend qu’ils ont l’habitude de réutiliser plusieurs fois leurs matériels. Alors, on corrige… à la hausse ! Ou, à l’inverse, ils les surévaluent parce qu’ils ont l’intention, manifestement, d’en faire profiter des copains. On en parle, pour bien adapter les outils… Il faut que nous les amenions à adopter pour chacun la règle d’un matériel égale une injection», explique Catherine. Ou autre exemple : derrière la demande d’aiguilles de 5 ml, de gros calibre, que l’usager ne peut pas facilement se procurer en pharmacie, il faut identifier l’injection de médicaments et parler des risques associés. Ainsi, 60% de la file active en 2012 injectaient au moins un médicament (incluant les traitements de substitution aux opiacés [TSO]) et 25%, au moins deux.
Ensuite, il faut gérer les bons de commande, stocks, envois de colissimos. Toute une logistique qui se « tricote » dans un sous-sol qui ressemble à celui d’une pharmacie classique. Sur des étagères, les cartons contenant les différents matériels et dispositifs disponibles : seringues, serties ou non, 1 ml, 2 ml, 5 ml, aiguilles G23, G25, G26, G27, G30, filtres toupies, tampons désinfectants, doses d’eau stérile, d’acide ascorbique, de sérum physiologique, cups, kits, champs de soin, lingettes de chlorhexidine contre le virus de l’hépatite C (VHC) ou classiques, préservatifs masculins et Fémidon, doses de gel intime, carnets « roule ta paille », etc. D’autres cartons contiennent les flyers, brochures d’infos diverses sur le VHC, le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. la réduction des risques, etc.
Dans un coin, un petit bureau, on trie et traite les bons de commande « usagers », jamais numérisés, chacun doté d’un « identifiant », anonyme, communs à la « remise de matériel » au « local », dans la « rue », par « PES postal ». On prépare la commande de l’usager, pour un mois, pour économiser les frais d’envoi d’un paquet en colissimo (7 €, en moyenne) avec un contenu pour un coût moyen de 75 €(soit 175 seringues, soit trois injections par jour et autres matériels pour deux personnes). Au premier étage, on s’occupe du suivi administratif du programme et de son évaluation, des liens avec les établissements médico-sociaux du territoire des bénéficiaires du PES, et –uniquement avec l’accord des usagers– de leur mise en contact avec des professionnels (Caarud, Csapa, médecins, etc.). Il faut savoir qu’un tiers de la file active est suivi « en double ». «Nous prenons par exemple le relais de leur Caarud pendant des périodes de congés ou de fermeture. De notre côté, nous sommes amenés à orienter des usagers vers l’une de ces structures dont ils ignoraient l’existence. Nous avons d’ailleurs de bonnes relations avec les Caarud.»
Tout « baigne » ? Non, pas vraiment: Aujourd’hui, l’inquiétude sur la pérennité du programme est à l’ordre du jour, car les budgets pour le financer ne sont pas (encore !) au rendez-vous.
Que ceux qui n’ont pas le même souci, par les temps qui courent, nous écrivent! Il y a fort à parier que la rédaction ne va pas crouler sous les courriers et courriels de ses lecteurs!
Comité de pilotage
Association SAFE
11 avenue de la Porte-de-la-Plaine, 75015 Paris
tél. : 01 40 09 04 45
catherine.duplessy@safe.asso.fr
www.safe.asso.fr
Fédération Addiction
9 rue des Bluets, 75011 Paris
tél. : 01 43 43 72 38, fax : 01 43 66 28 38
infos@federationaddiction.fr
www.federationaddiction.fr
PsychoACTIF, organisation d’auto-support,
forum d’entraide, d’info, de partage
d’expériences, pour les usagers de drogues
tél. : 06 63 55 65 54
Pierre Chappard: modos@psychoactif.fr
Twitter : @Psychoactif
Facebook : www.facebook.com/Psychoactif.fr
La file active du PES postal
- Les demandes sont venues de 17 régions (sur 22) et de 51 départements. La moitié habite dans des communes rurales de moins de 10000 habitants et, pour une grande majorité d’entre eux, de moins de 5000 habitants.
- La première cause de fréquentation du programme : l’éloignement géographique et le temps de déplacement pour se rendre sur les lieux d’accueil spécialisés, puis la difficulté pour obtenir, au Caarud le plus proche, le matériel désiré (pas certains matériels en stock ou, pas en quantités suffisantes pour diverses raisons, horaires d’ouverture incompatibles), enfin, peur d’être identifié comme usager de drogues à la pharmacie ou devant l’automate.
- Le programme accueille des personnes de 20 à 50 ans (âge moyen : 33 ans), 36% de femmes et 64% d’hommes. Parmi eux, 84% ont un logement stable, 8% un logement mobile (type caravane) dans un contexte de vie choisi. Seuls 4% vivent en squat et 4% sont hébergés sans certitude de durée de cet hébergement. Plus de la moitié travaillent.
- Près d’un tiers des usagers du PES sont sous TSO prescrits. Ils déclarent (chiffres de 2012) injecter le Skénan® (38%), la buprénorphine haut dosage (BHD) (23%), la méthadone (11%), et d’autres médicaments (14%), l’héroïne (29%), la cocaïne (19%), des produits de synthèse (4%).