Washington 2012 — «HIV Cure», prélude n°3

Ce n’est pas la première fois que le monde scientifique rêve de l’éradication du VIH. Est-ce que les avancées et la motivations compilées dans le dernier document de l’IAS, «Towards an HIV Cure, people focused science driven», peuvent nous permettre d’espérer sérieusement la guérison du VIH?

Ce document, prélude à la conférence de Washington, est une somme. Plus que de déclarations d’intention, il s’agit d’une liste de recommandations pour que la planète science aille dans le sens du «Cure» ! Le document est articulé en 7 parties : les mécanismes cellulaires et viraux de la persistance virale, l’analyse des modèles animaux et des modélisations pour comprendre cette persistance virale, le rôle de l’activation immune et de ses dysfonctionnements dans cette persistance virale, explorer les modèles SIH/HIV pour contrecarre cette latence virale, développer des marqueurs de latence virale, rechercher des molécules anti latence et pro-éradication, développer des modèles de stimulations immunes pour contrôler cette virémie résiduelle. Chacun des thèmes est traité en plusieurs parties : états des connaissances, challenge scientifique, recommandations. Il est même fait état (page 37) (Tableau ci-dessous) des essais qui de près ou de loin s’attaquent à la question de l’éradication dont :

– OPTIPRIM ANRS 147 (A Cheret) : 3 versus 5 antirétroviraux en traitement précoce;
ERAMUNE 01 ( C Katlama) : IL 7 + intensification par maraviroc et raltegravir;
ERAMUNE 02 ( B Murphy) : vaccination + intensification par maraviroc et raltegravir

Sans compter tous les essais avec les molécules anti-latence en cours : Disulfiram (S Deeks), Vorinostat ( (D Margolis et S Lewin ), Bryostatin (S Moreno), anticorps anti-Pd1 ( (H Hatano), etc.

> Tableau IAS

La cohorte Visconti

En France, le scénario de l’éradication possible s’appuie notamment sur les résultats d’une cohorte française, Visconti, conduite par Christine Rouzioux. Quinze patients traités au tout début de la primo-infectionPrimo-infection Premier contact d’un agent infectieux avec un organisme vivant. La primo-infection est un moment clé du diagnostic et de la prévention car les charges virales VIH observées durant cette période sont extrêmement élevées. C’est une période où la personne infectée par le VIH est très contaminante. Historiquement il a été démontré que ce qui a contribué, dans les années 80, à l’épidémie VIH dans certaines grandes villes américaines comme San Francisco, c’est non seulement les pratiques à risques mais aussi le fait que de nombreuses personnes se trouvaient au même moment au stade de primo-infection. (dans les 10 premières semaines après infection) et pendant une durée de 2 ans et 8 mois, ont pu ensuite, sans traitement, contrôler le virus sans recours aux médicaments. Même si, comme pour l’historique et anecdotique patient de Berlin, le recul et la prudence sont de mise.

C’est la troisième fois dans l’histoire des congrès «sida» que l’on nous fait le coup -et l’espoir- du traitement d’éradication de la maladie VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Cette fois, c’est sous la forme d’un programme de l’International Aids Society (IAS), porté par notre Prix Nobel, Françoise Barré-Sinoussi. Programme de recherche tous azimuts et ambitieux baptisé «Towards an HIV Cure»  (Voir Libération daté du 21 Juillet). Du lourd, donc. Mais autant l’écrire tout de go : le premier réflexe du clinicien confronté à un tel (re)effet d’annonce futuriste, c’est de savoir qu’en dire de crédible lors du face à face singulier des premières consultations du retour de Washington…. Quand l’envisager? Quelles molécules? A quel prix? Pour l’heure, impossible d’y voir au-delà des bases et de l’intention scientifique. En tout cas, pas avant le vol du retour?

1996

La première fois c’était en 1996. A la Conférence américaine sur le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. (dite CROI) sous la verve d’un certain David Ho, vedette internationale de l’époque et alors élu « homme de l’année » aux Etats-Unis, plein portrait à la une du Time, pour ces déclarations sur l’impact décisif que devait avoir sur l’épidémie l’avènement des multi-thérapies anti-vih… Las ! Si l’impact a bien été énorme en termes de baisse de mortalité et de morbidité, David Ho n’est quasiment plus là, et le vih, lui, est toujours bien présent. Soit tapi et inactif, à l’intérieur des cellules de la personnes vivant avec le vih et malgré les traitements actifs, soit au sein des réservoirs viraux dont l’organisme humain recèle (ganglions, tube digestif , système nerveux, sperme aussi…. Un virus sous formes pro-virales qui n’attend qu’un arrêt du traitement ou une baisse de l’observance pour se répliquer et induire des résistances là où les traitements sont disponibles. Soit épidémiologiquement insolent, et menaçant, dans les pays, les populations, les groupes, les individus qui n’ont que peu ou prou accès aux antirétroviraux.

1999

Le deuxième feu follet est sorti en 1999 des prévisions mathématiques de l’OMS qui modélisaient en un monde «idéal» où le dépistage du VIH et la mise sous traitement antirétroviral concerneraient quasiment 100%, voire même 75 %, de la population mondiale. Modèles mathématiques d’éradication qui voyait le Sida -à l’image de la variole sous le poids de la vaccination- disparaître à l’aune des années 2030-2040. Aussi brillant que…faux. Car depuis ces modèles ont été très largement démontés, impensables techniquement, économiquement et sanitairement absconds. Les principales critiques déjà abordées dans vih.org était qu’il s’agissait seulement d’un «exercice théorique»! Aujourd’hui, plus encore qu’en 1999, les conditions ne sont pas réunies pour mettre en œuvre le dépistage universel suivi d’une mise sous traitement immédiate des personnes dépistées. Toutefois, même si l’ensemble de la population n’est pas dépisté et si la mise sous traitement n’est pas immédiate, l’extension du dépistage et la diffusion massive des antirétroviraux devraient entraîner une réduction considérable de la morbidité et de la transmission du VIH.

> Granich RM et al. Lancet 2009;373:48-57 ; 2. Girard F et al. Science 2010;329:147-9.

Une autre envergure

La troisième et actuelle intrusion du «Cure» dans le champ du sida est d’une toute autre envergure. En atteste les regrets de Françoise Barré Sinoussi que la communauté scientifique «n’ait jamais réellement essayé jusque-là» cette hypothèse. Ni modélisation abstraite, ni déclaration ad nominem. Cette fois, tout tourne autour d’un retour aux basic sciences avec en figure de proue, la quête de «molécules de l’éradication». Le point de départ de l’histoire tient entièrement dans la compréhension de ce que l’on appelle la «virémie résiduelle». Ce qui reste de virus quand malades, industriels et prescripteurs pensent qu’il n’y en en plus dès lors qu’on ne détecte plus de virus dans le sang. Ce qui est le cas de plus de 90% de personnes traitées et observantes.

Mais cela est sans compter avec la perversion du VIH qui associe à la fois une latence virale persistante dans des compartiments, notamment les CD4 dit mémoire, dont le nom résume la fonction, avec une longue vie et une faible réplication imperceptible en surface. Le VIH se maintenant en un état non réplicatif et/ou cantoné aux réservoirs viraux. Cette réplication virale résiduelle s’explique, par exemple, du fait que certains sites anatomique sont bien protégés (comme peut l’être le système nerveux), et que certains antirétroviraux ne l’atteignent pas. Soit qu’il subsiste de véritables réservoirs viraux, à commencer par l’os, le système nerveux la muqueuse digestive et… les compartiments génitaux où l’impact sur la prévention est évidemment évident. Prédire la taille et l’importance du réservoir est un casse-tête qui sera extrêmement débattu lors de la Conférence de Washington. Certains sites sont particulièrement ciblés pour remplir toutes les conditions inflammatoires cellulaires et comportementales, à l’image de la muqueuse rectale pour assurer la survie infraliminale du vih.

Des arguments scientifiques

S’il est devenu depuis quelques mois possible de croire à l’éradication c’est qu’il y a plusieurs arguments scientifiques qui sont venus s’opposer à cette complexité de latence virale et de réservoir :

1) Faire sortir le virus de sa latence est désormais possible avec des molécules développées dans ce sens comme le Vorinostat;
2) A partir du moment où le virus ou le provirus est sorti de sa latence, on peut trouver les molécules bloquant sa réplication et éliminant les cellules infectées;
3) On peut augmenter la réponse immunitaire pour parfaire le travail;
4) On peut créer des cellules devenues «résistantes» au VIH.

D’autres initiatives se sont annoncées, soit avant, soit dans le sillage de l’IAS, outre les études françaises ERAMUNE déjà citées et financées par la fondation Bettencourt, à l’instar de l’initiative de CHAIT (Swiss Vaccine Research Institute (SVRI) et Vaccine Research Institute (VRI) de Yves Levy en France), partenariat entre le secteur public et le secteur privé, et se concentrant sur le développement de l’intervention thérapeutique immunologique nouvelle pour réaliser «un remède fonctionnel de VIH» avec l’objectif ultime de l’éradication de VIH. Les objectifs de CHAIT comprennent: 1) pour développer des élans immunologiques nouveaux visant les réservoirs latents de VIH; 2) pour déterminer un principal programme de translation accélérant le développement de la recherche de banc au développement clinique; 3) pour déterminer une plate-forme immunologique et virologique robuste de surveillance; et 4) pour engager des dialogues pertinents avec des autorités de régulation définir des critères neufs pour la réaction au traitement.

Faire sortir le VIH de sa tanière

Plusieurs molécules sont affichées à Washington comme étant capable de faire sortir le virus de sa tanière, outre le Vorinostat, comme l’acide Valproïque, des cytoquines comme l’IL7 et l’IL15, des agents développés dans une toute autre indication (lutte contre l’alcoolisme) comme le Disulfuram, la Prostatine, etc… Mais la Conférence de Washington, comme celle qui l’a précèdée, en est déjà à l’étape d’après sur la thématique du «Cure»: Une fois sortie de leur latence, ces cellules trouveront-elles le gourdin antirétroviral suffisant avec des multithérapies hautement actives qui puissent avoir un impact définitif sur ce réservoir, un bénéfice pour le patient et bien sûr une absence de toxicité? On sait par exemple que le Vorinostate est compétent à réactiver des virus latents mais incompétent à tuer la cellule infectée. On sait aussi que le combat sera âpre. Comme il l’a été avec dans l’histoire des antirétroviraux ? Des stratégies combinées seront nécessaires utilisant à la fois des molécules antilatences, des molécules antirétrovirales, des molécules cytotoxiques ou vaccinales telles que l’anti-PD-1… Un nouveau challenge pour une pandémie de 30 ans d’âge. Comme le souligne parfaitement le franco-canadien Jean-Pierre Routy, apôtre de l’éradication et membre du comité d’éradication du VIH de la Société internationale du sida: «D’ici dix ans, on pense sérieusement pouvoir traiter et éliminer ces virus cachés en combinant les thérapies, explique-t-il. Il y a un tournant évolutif dans le VIH-sida, il y a des changements positifs dans les trithérapies alors qu’on a atteint un traitement quasiment optimal. Il faut continuer parce que je ne me vois pas dire à mes jeunes patients qu’ils auront à prendre une trithérapie pendant 60 ans ! Il faut trouver quelque chose pour éliminer le virus et guérir la maladie.» De fait, d’aucuns se prennent à rêver que le «Cure » va remplacer le «vivre avec». Mais quand?

>>> Washington 2012

Toute l’actualité de Washington 2012 est sur Vih.org. A l’occasion de la conférence, Vih.org participe à l’Agence de presse francophone mise en place par Sidaction.
Les photos et l’ambiance de la conférence sont sur Vu.vih.org.