Élimination du VIH en Australie: Un consensus d’experts pour aller plus loin que les 3×95

En Australie, un processus Delphi a été utilisé pour identifier les mesures à prendre pour atteindre, mais aussi dépasser l’élimination «virtuelle» (quasi-totale) du VIH comme problème de santé publique, une fois que le pays aura atteint une baisse de 90% des diagnostics par rapport à 2010.

La méthode Delphi est une approche structurée et itérative utilisée pour recueillir les idées et les opinions d’un groupe d’experts afin de parvenir à un consensus sur un sujet spécifique. Développée par la RAND Corporation dans les années 1950, cette méthode a été largement adoptée dans divers domaines pour prévoir les tendances, prendre des décisions et développer des stratégies.

Dans une étude publiée dans le Lancet, des chercheurs australiens ont utilisé cette méthode afin d’identifier les mesures à prendre pour atteindre mais aussi dépasser l’élimination «virtuelle» du VIH comme problème de santé publique une fois que le pays aura atteint une baisse de 90% des diagnostics par rapport à 2010.

En 2022, au niveau national, la baisse des nouveaux diagnostics par rapport à 2013 était de 46%, mais déjà 70% chez les HSH qui ne représentaient plus à cette date que 30% de ces nouveaux cas. Mais malgré l’atteinte des 3×95 – 95% des personnes vivant avec le VIH (PvVIH) diagnostiquées, 95% sous traitement, 95% avec une charge virale à moins de 200 copies/mm3 –, l’Australie ne peut toujours pas se targuer d’avoir éliminé le virus.

Figure : Diagnostics VIH en Australie, réels (2010-2022) et projetés (à partir de 2023)
Projets pour la période A (atteindre l’élimination virtuelle de la transmission du VIH) et la période B (aller au-delà de l’élimination virtuelle de la transmission du VIH).
Source.

Méthodologie et processus

Le processus d’une méthodologie classique Delphi —ici sous le chapeau de Health Equity Matters, organisation de la société civile qui fédère les organisations VIH et LGBTQIA+— repose sur trois groupes, constitués pour mener le processus : un groupe investigateur (chercheurs et communautaires appuyés par des universitaires), un steering commitee (11 membres dont aucun représentant du champ gouvernemental) et un groupe d’experts (165 membres dont 106 ont participé).

À chaque niveau se retrouvent des communautaires, des cliniciens, des chercheurs avec une attention à la juste représentation des Aborigènes et Insulaires du détroit de Torres, qui composent actuellement la population la plus exposée au VIH, avec une incidence supérieure de 50% au reste de la population.

Le groupe investigateur a rédigé le «questionnaire» soumis au vote des experts, avec une seule itération après le premier round pour modifier certaines rédactions. La barre de 80% était définie comme marquant le consensus. Les 35 propositions étaient classées en 5 thèmes, prévention, traitement, lutte contre la stigmatisation, engagement communautaire, recherche et notés séparément pour atteindre l’élimination et pour dépasser cet objectif et aller à 0.

Les mesures proposées —classiques dans le paradigme de la prévention combinée, de la prévention des discriminations et de l’engagement de la société— atteignent de très haut niveau d’accord. On ne les rappellera pas ici dans le détail, mais quelques-unes, refusées ou proposées, méritent qu’on s’y attarde. Parmi les rejetées:

  • la dispensation de PrEP sans prescription dans les organisations communautaires, par les infirmières ou les pharmaciens, plutôt espérés par les associations communautaires pour une démédicalisation ;
  • les dépistages sans rendu des résultats aux personnes prélevées à des fins épidémiologiques, les tests plus classiques en opt out et l’épidémiologie moléculaire pour identifier les clusters.

D’autres, intéressantes à remarquer, vont plus loin que le consensus frileux actuel en France :

  • l’accès au traitement des étrangers sans visa;
  • offrir un environnement de soins culturellement «safe» et sans racisme;
  • promouvoir une éducation en santé sexuelle des étudiants étrangers.

Quelques propositions peuvent surprendre, voire choquer, parce qu’elles soulignent la persistance de certaines lois iniques en Australie : les panélistes demandent la suppression des lois qui font de l’infection VIH un obstacle aux visas de visite ou d’immigration et la suppression de la criminalisation de la transmission du VIH. 

Enfin, le processus souligne l’importance de l’engagement communautaire à l’appui de la stratégie qui se dégage, importance qui se traduit par des financements et leur participation à la co-définition des politiques et des interventions. Un exemple à suivre en France, puisque en 2023, la cascade approche de très près la cible des 3×95, sans que l’élimination du VIH soit près d’être considérée atteinte.

Bibliographie

Planning for the virtual elimination of HIV in Australia: a Delphi consensus 
Tiffany R Phillips, Habib Taouk, Phyllis M Lau, Reuben Kiggundu, Andrew E Grulich, Aaron Cogle, Scott Harlum, Dash-Heath Paynter, Darryl O’Donnell, Jason J Ong.