L’inscription dans les recommandations du dépistage du père ou du co-parent peut sembler comme une évidence après plus de 15 ans d’injonction au dépistage universel induite par les professionnels de santé, mais elle ne date que de 2024 en France. Et ce sont les résultats de l’étude PARTAGE, réalisée au centre hospitalier André Grégoire de Montreuil, Seine Saint-Denis, qui ont permis cette inscription tant attendue.
L’étude PARTAGE
Cette étude observationnelle et monocentrique a été menée de janvier 2021 à avril 2022, dans cette maternité où 41% des accouchements concernent des femmes nées en Afrique subsaharienne, 11% des femmes nées en Asie et où 52% des femmes sont identifiées comme vulnérables.
Le père ou co-parent n’ayant pas d’existence sur la déclaration de grossesse, il faut que la future mère accepte de le nommer, au plus tôt dans la grossesse, qu’un contact soit pris avec lui, et qu’un moyen de l’inviter personnellement à une consultation prénatale existe, pour qu’il ou elle accepte et finalement vienne. Les dépistages s’insèrent dans une authentique consultation de prévention comportant une approche classique de premier contact avec un consultant, anamnèse et examen clinique, dépistages, administration des vaccinations manquantes ou en retard, orientation vers un travailleur social pour des droits non ouverts et vers un médecin si l’examen médical en donne l’indication.
C’est ce que présente le flow chart de l’étude: des 4205 femmes venues en consultation prénatale, 3808 étaient éligibles —principalement, femmes majeures avec un coparent masculin vivant dans la région—, 3269 ont été inclues, 3082 ont donné les informations pour contacter le père, 3038 ont été contactés ou rencontrés à l’occasion de la visite prénatale et 1347 sont venus en consultation prénatale paternelle, soit 44% des hommes contactés.
Les questionnaires auprès des femmes et des hommes permettent d’évaluer à qui va le bénéfice de ce programme. Les facteurs associés à l’acceptation de la consultation prénatale paternelle sont fortement liés entre eux, d’où l’intérêt de tenir compte des odds ratios ajustés: concernant les caractéristiques des hommes, être né en Afrique subsaharienne ou en Asie, avoir 30 ans ou plus, n’avoir été scolarisé qu’à l’école primaire mais aussi avoir un diplôme universitaire, être au chômage et avoir un premier enfant avec la femme actuellement enceinte augmente fortement l’acceptation ; lorsque l’analyse est réduite aux immigrés —hommes nés à l’étranger— s’ajoutent à ces facteurs: l’absence de titre de séjour, une arrivée en France dans les 7 dernières années et être en couple depuis moins de 4 ans.
Cette chaîne d’entretien, d’accords et de contacts est rendue possible par une implication et une activité intense des personnels de la maternité et des agents de l’étude.
La question du VIH, encore souvent un non-dit, même dans le couple
Il faut y mettre aussi ce que les femmes savent de leur propre historique de dépistage et ce qu’elles savent de celui du père de leur enfant: 72% pensaient avoir déjà été testées avant la grossesse dont 65% dans une grossesse précédente, 15% pour la première fois lors de la grossesse en cours et 13% pensaient qu’elles n’avaient jamais été testées (alors qu’en principe elles avaient été dépistées avant l’entretien d’enquête).
Plus marquant est le résultat concernant la connaissance des femmes de la situation du père: 41% savaient qu’ils avaient déjà été dépistés, 59% des femmes ne savaient pas si c’était le cas et 36% seulement déclaraient avoir déjà discuté du VIH entre eux. Ces chiffres soulignent à quel point encore chez des personnes jeunes, sexuellement actives et pour beaucoup particulièrement exposées, la question du VIH reste dans le non-dit pour une proportion significative d’entre elles, y compris dans les couples.
L’expérimentation met en valeur l’intérêt de la consultation prénatale du père. Ceux qui s’en sont saisis étaient bien ceux qui en avaient le plus besoin. Mais monocentrique dans l’environnement d’une population plutôt défavorisée et précaire, on ne peut en généraliser le bénéfice dans d’autres contextes démographiques et sociaux.
Sur le versant de la faisabilité, l’étude interventionnelle organisée par un alliage entre une maternité hospitalière et un CeGIDDCeGIDD Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) des infections par les virus de l'immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles. Ces centres remplacent les Centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) depuis le 1er janvier 2016. ne peut être reconduite en l’état. Inviter des pères ou coparents à une consultation médicale exige une logistique, des invitations et des rappels, des services suffisamment flexibles pour être disponibles le soir ou le samedi, des ressources pour réaliser une consultation utile. C’est à la recherche de cette faisabilité que se consacre dès aujourd’hui PARTAGE2, suite de cette étude, pour toutes les grossesses prises en charge à l’hôpital André Grégoire ou pour de futures mères habitant à Montreuil, les futurs pères ou coparents sont invités à la consultation prénatale de médecine générale, cette fois non plus en maternité, mais au centre municipal de santé ou au CeGIDD.