Dans sa dixième et dernière recommandation, elle précise ainsi la place des génériques d’antirétroviraux : « Mieux réguler les dépenses de médicaments en mettant en œuvre un plan ambitieux de baisse des prix des antirétroviraux sur la base d’une réévaluation d’ensemble de cette classe thérapeutique, et en augmentant la part des génériques dans les prescriptions d’antirétroviraux, par une sensibilisation des prescripteurs, des pharmaciens et des patients (DSS, DGS, CEPS, HAS, CNAM). »
Rappelons au passage que depuis plus de deux ans, le Rapport d’experts 2017 et 2018 (voir ci-dessous) préconise clairement l’utilisation des génériques d’antirétroviraux : « Le groupe d’experts recommande : 1) de favoriser, lors de la réflexion en vue d’un switch, la prescription des associations d’ARV les moins coûteuses, lorsqu’à l’issue d’un choix basé sur les critères d’efficacité, de tolérance et de facilité de prise, plusieurs options restent possibles ; 2) de proposer aux PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH dont la situation individuelle le permet, des switchs dans un objectif de réduction des coûts, sous réserve : a) d’expliciter clairement au patient la motivation du changement et les éventuelles contraintes de prise en résultant, b) de recueillir sa pleine adhésion à cette attitude. Et 3) de mettre en place des actions sensibilisant les différents acteurs (PVVIH, médecins, pharmaciens, soignants) au coût des traitements ARV et des études ayant pour objectif de démontrer la non-infériorité de traitements moins onéreux. »
Pour comprendre l’ampleur de cette logique d’économie, il faut expliquer la baisse de prix qu’impose directement la mise sur le marché des génériques et indirectement, par un effet mécanique, inscrit dans un accord cadre entre industriels et ministère, aux molécules princeps.
En effet, Le prix fabricant hors taxe des médicaments génériques (PFHT) est fixé à –60 % du prix du princeps. Ce prix du princeps est ensuite diminué, à la commercialisation du générique, de 20%. C’est le double système d’économie induit par les génériques.
À l’issue de dix-huit mois ou de vingt-quatre mois d’exploitation, le Comité économique des produits de santé (CEPS) décide :
- soit la mise sous tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) du groupe générique (princeps + génériques pour une DCI, un dosage et une forme galénique);
- soit la baisse du prix du princeps (–12,5%) et des génériques (–7%), selon la pénétration des génériques (TFR, si pénétration trop faible des génériques).
En gros, si le volume de prescription de génériques n’est pas suffisant, le Comité économique des produits de santé impose un prix à la baisse identique aux deux, princeps et génériques. Si non, il baisse plus le princeps (-12,5 %) que le générique (-7%).
Afin d’encourager la substitution, la marge officinale, pour les médicaments génériques hors TFR, est calculée sur la base du prix du princeps : en valeur absolue, le pharmacien gagne la même marge, qu’il vende le princeps ou le générique. La France a en effet mis en place depuis 2003 un système de régulation des prix par instauration d’un tarif forfaitaire de responsabilité qui fixe un prix maximum de remboursement pour les médicaments.
Lorsque la substitution est jugée trop faible (moins de 60%, 65%, 70% et 80% de substitution après respectivement 12, 18, 24 et 36 mois de commercialisation), le groupe générique (le médicament d’origine et ses génériques) est mis sous tarif forfaitaire de responsabilité (TFR). Le TFR est calculé à partir du prix des médicaments génériques les moins chers. Si le laboratoire commercialisant le médicament d’origine décide de ne pas s’aligner sur ce tarif, il est remboursé sur le prix du TFR, la différence de prix étant à la charge du patient. Au total, la mise sur le marché des médicaments génériques conduit à une baisse de dépenses des médicaments et donc des économies pour l’assurance maladie via deux canaux : une substitution partielle de la consommation du princeps par ses médicaments génériques dont le prix est plus bas (effet volume) et par une baisse de prix du princeps pour rester compétitif (effet prix).
En 5 ans (entre 2010 et 2014), une économie de 7 milliards d’euros a pu ainsi été faite par l’assurance maladie en France. Et le rapport rappelle cette mécanique comptable: «Le CEPS a, en particulier, conduit un plan de baisse, en 2016-2017, pour rétablir la cohérence des prix au sein de la classe thérapeutique des antirétroviraux, en comparant les prix des associations fixes de molécules et des associations libres. Il a tenu compte de l’arrivée des génériques dont le prix est, par construction, inférieur à celui du princeps, et appliqué l’article 21 de l’accord-cadre avec l’industrie pharmaceutique de transformation des remises consenties en baisses de prix (…)».
L’exemple de cette bascule vers une baisse de prix du princeps dès lors qu’il existe un générique est résumé par l’arrivée des génériques de Tenofovir/FTC (Truvada): «En juillet 2017, écrit le Rapport, le premier générique du Truvada® en traitement curatif est arrivé sur le marché. Conformément aux règles conventionnelles entre le CEPS et les laboratoires pharmaceutiques en cas d’introduction de générique, le prix du Truvada® a automatiquement baissé de 20 % (prix fabricant hors taxe), et le prix du générique a été fixé à 60 % du prix fabricant hors taxe du Truvada® après application de la décote de 20 %. Par ailleurs, le prix du Truvada® dans la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. a été fixé par le CEPS par application des principes de tarification pour les extensions d’indication, qui entraînent une décote de 15 % par rapport au prix de la spécialité. Ainsi, alors qu’en vertu des règles conventionnelles entre le CEPS et les laboratoires pharmaceutiques, il ne devrait pas y avoir de baisse de prix dans les 18 mois suivant une générication, le prix du Truvada® (et donc du générique, défini par référence à celui-ci) a diminué à nouveau de 15 % au 1er janvier 2018. Du fait de cette triple diminution, la boîte de générique revient à un peu plus de 160 € (contre plus de 400 € initialement pour le princeps).» Pour les magistrats, il convient de faire plus et mieux: «Il conviendrait donc de mettre en œuvre un plan ambitieux de baisse des prix des antirétroviraux sur la base d’une réévaluation d’ensemble de cette classe thérapeutique (toute spécialité et toute indication) pour tenir compte du développement des spécialités génériquées, des extensions d’indication et du portefeuille global des laboratoires concernés. Un objectif de baisse des prix sensiblement supérieur à celui, de l’ordre de 10 % par an, qui a été observé ces dernières années, devrait être recherché.»
Le débat sur l’ouverture plus importante des génériques, qui doit beaucoup à l’arrivée du Truvada et à la poussée de l’association AIDES, même si le TRT 5 avait dès 2014 sensibilisé ses membres à la question des génériques, s’est crispé sur la question des STR ou des combo, ces médicaments concentrant trois produits actifs en un seul comprimé. Cette crispation est liée à trois éléments : 1) le peu de prise en compte dans les plans d’économies des tutelles hospitalières et des quelques ayatollahs du tout-générique de l’avis des patients quant au retentissement sur leur qualité de vie, voire sur l’observance, de la proposition de casser individuellement les combos pour générer une économie nationale. Sur ce point, on se rapportera aux rares études récentes disponibles dont celle de Poitiers (Mélanie Catroux et al JNI 2018) où 53 % des patients interrogés (N=83) s’opposaient au passage du STR à plusieurs comprimés incluant des génériques ; 2) le peu d’études disponibles en vrai vie ; 3) l’incompréhension de la plupart des personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. sur la destination des économies ainsi générées.
Le rapport de la Cour des comptes se montre quelque peu naïf tout en rappelant le passif : « Cette générication pose aujourd’hui la question des conséquences sur les associations fixes de molécules. Ainsi, l’AP-HP a adopté, en 2018, après concertation avec le TRT 5, un plan d’actions relatif à la maîtrise des dépenses de médicaments et de dispositifs médicaux, qui comprend un volet sur les antirétroviraux. Trois leviers d’économie ont été identifiés : le recours accru aux génériques, la limitation des trithérapies fixes en un seul comprimé lorsqu’il existe des alternatives en deux comprimés comprenant au moins un générique, et la limitation de l’utilisation du Ténofovir alafénamide®. Sous les hypothèses d’un taux de substitution de 90 % pour les hospitalisations et de 50 % pour les rétrocessions, la réduction de la dépense attendue était de l’ordre de 8 M€ et les recettes supplémentaires de 2 M€. La réduction réelle des dépenses observée fin 2018 atteint 12 M€. Si cette substitution soulève des critiques de la part de la Société française de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. (SFLS) et de certaines associations de patients, elle est recommandée par le groupe d’experts qui précise que celle-ci n’aurait pas de conséquence sur l’observance». Et d’imaginer que la baisse des dépenses liée à la fois à la régulation des prix des antirétroviraux et à l’arrivée des génériques devrait permettre « de financer les besoins existants tant en matière de prévention que de dépistage»!
Le rapport par ailleurs plus précis du Sénat revient peu sur les questions des génériques et de leur place dans la lutte contre le VIH, en renvoyant au rapport de la Cour des comptes. Tout juste est-il mentionné par un des membres de la commission, M. François de la Guéronnière, président de section à la Cour des comptes, que : « Les ruptures d’approvisionnement sont encore limitées. Nous en avons recensé 18 de moins de 15 jours. Pour l’avenir, nous recommandons le développement des génériques, ce qui réduira le risque de rupture ».