Les prélèvements furent envoyés à Pasteur et, selon Christine Rouzioux, c’est Luc Montagnier lui-même qui les mit en culture. Il descendit ensuite au laboratoire de Françoise Barré-Sinoussi pour lui demander de mesurer l’activité Transcriptase Reverse, cette activité enzymatique qui signe la réplication d’un rétrovirus, dans la culture du ganglion de BRU. Ce qu’elle fit régulièrement.
L’activité fut perceptible dés le 7e jour (ou 14e selon les versions) de culture (activité mesurée en Coups par minute ou CPM): «D’après les notes de laboratoire rédigées au jour le jour par Françoise Barré-Sinoussi, relate Mirko Gremk dans son livre, elle remarqua le 25 janvier 1983 que les lymphocytes mis en culture produisaient de la transcriptase inverse. L’activité de cette enzyme était au départ très faible. Elle grandit jusqu’au 7 février puis commença à diminuer. C’était surprenant et même inquiétant, car le HTLV, le seul rétrovirus humain connu jusqu’alors, se comportait différemment: il incitait les lymphocytes à se multiplier et à augmenter de ce fait la production de la transcriptase inverse. Ce nouveau virus semblait agir autrement sur les lymphocytes: il les tuait. Selon Barré-Sinoussi, dès ce moment le soupçon était né que le virus en question ne ressemblait pas au HTLV de Gallo.»
Puis d’autres fragments furent mis en culture, d’abord de BRU puis d’autres malades. Dès le 4 février 1983, le pasteurien Charles Dauguet fit les photographies du nouveau virus au microscope électronique sur lesquelles les membres du sous-groupe du samedi matin s’émerveillèrent.
On imagine mal aujourd’hui, vingt-huit ans après, l’excitation de cette petite équipe! En fait le Pr Christine Rouzioux tempère aujourd’hui les sentiments initiaux du groupe en ce début d’année 1982: «On était convaincus que cela traduisait quelque chose mais quoi? On ne savait pas ce que signifiaient ces CPM, ce que cela voulait dire scientifiquement. Chez ces malades on isolait bien d’autres virus, et en grande quantité, comme le cytomégalovirus qui poussait très rapidement chez ces patients fortement immunodéprimés.» Mais le mérite de Luc Montagnier et François Barré-Sinoussi c’est aussi de n’avoir fermé aucune des hypothèses rétrovirales.
Cette affaire du ganglion porté par les virologues de Bichat à l’Institut Pasteur est déterminante, même si sur la chronologie des faits et la responsabilité des uns et des autres, il est difficile en 2011 de rapporter une seule et unique version. Comme si finalement les différents intervenants, cliniciens, virologues, pastoriens, n’avaient pas pris la mesure de l’événement qui allait s’inscrire dans l’histoire, personne n’a pris le soin de réécrire ce moment de la découverte du virus du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome.
Quelques mois plus tard, le 20 mai 1983, deux publications paraissent dans le même numéro de la prestigieuse revue Science. Elles sont signées des deux équipes concurrentes, celle de Luc Montagnier en France et celle de Robert Gallo aux Etats-Unis . Mais une seule découverte, un seul virus nouveau apparait, c’est le LAV français. Pour le virus américain, le HTLV III, qui s’avèrera après des années de polémiques et de conflit juridique (1983-1994) être le même, il faut attendre une autre publication en mai 1984, soit un an plus tard.
Le parcours du ganglion
Si tout le monde s’accorde pour dire que le ganglion est passé du cou de Monsieur BRU -bien que celui-ci ne souhaitait pas que la moitié de son patronyme passe à la postérité-, à l’Institut Pasteur, les versions de la découverte du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. sur ce prélèvement divergent. L’évènement est si important qu’on peut, par approches successives, donner une grande partie de la vérité :
1) D’abord la date: Pour incroyable que cela puisse paraître, plusieurs versions circulent : pour certains majoritaires, et non des moindres, tout s’est passé le lundi 3 janvier 1983, c’est le cas de la lecture devant le comité Nobel de Luc Montagnier, le 8 décembre 2008 de Jean-Claude Chermann dans plusieurs entretiens, de L’histoire du Sida de Mirco Gremek et aussi, page 50 du livre récit de Bernard Seytre. Mais que se passait-il d’autre le 3 janvier 1983? En dehors de ce qui figure ici, issu probablement de la tête féconde des différents intervenants Willy Rozenbaum, Françoise Brun-Vézinet, Christine Rouzioux et les pastoriens? Avaient-ils seulement conscience qu’ils allaient influencer l’histoire? Impossible de le vérifier aujourd’hui. Le 3 janvier 83, Time consacrait sa couverture à l’ordinateur, La France dotée d’une loi sur la protection de l’épargne et Sheila chantait Glori Gloria à l’Académie des 9! Dans la thèse de Christine Rouzioux sur laquelle nous reviendrons page 21, on lit «Nous avons apporté le 4 janvier 1983 le ganglion de Monsieur BRU…» Il est même fait état (Libération du 29 juillet 2011) d’un transfert de l’historique ganglion qui serait intervenu le 5 janvier 1983.
2) Qui a porté le ganglion? Tous les éléments convergent pour penser que c’est Françoise Brun-Vézinet qui a porté, en taxi, de la Pitié, le ganglion vers l’Institut Pasteur.
3) Qui réceptionne le ganglion? Sur ce point, toutes les versions convergent: c’est Luc Montagnier, probablement en l’absence de Jean-Claude Chermann au… «Café». Les versions divergent aussi sur ce qu’il y consommait. Le dernier en convenant dans les interviews: «Luc Montagnier a dissocié le ganglion, l’a mis en culture et l’a transmis à notre laboratoire», interview de Jean-Claude Scherman dans Le Figaro du 19 juillet 1992 cité par Bernard Seytre.
4) A quelle heure le ganglion est-il arrivé à l’Institut Pasteur? Probablement tard dans la soirée si l’on en croit les différents récits, y compris celui de Luc Montagnier dans ses entretiens avec Pierre Bourget. Il semble aussi que la mise en culture de ce ganglion ait obéit à des procédures écrites déjà routinières dans ce laboratoire qui travaillait sur les rétrovirus même si d’aucuns considéraient qu’il était à l’ombre du grand Laboratoire américain de Bob Gallo.
5) Qui était le patient « BRU »? Et qu’elle maladie présentait-il ? BRU était selon Jean-Claude Chermann (op.cit) un «styliste homosexuel, qui avait un grand nombre de partenaires, et faisait de nombreux séjours à New-York (…) il s’était réveillé un matin avec un énorme ganglion à la base du cou». Quant au stade de la maladie, probablement majeur dans la découverte? On disait à l’époque LAS ou lymphabénopathy syndrome puis plus tard pré-sida. Dans la demande de brevet européen numéro 84401834.1 déposée le 14 septembre 1984 par l’Institut Pasteur devant l’office européen des brevets, on apprend que BRU avait un antécédent de plusieurs épisodes de gonorrhée et avait été traité pour la syphilis en septembre 1982 et qu’il avait indiqué qu’il aurait eu «plus 50 partenaires sexuels par an et qu’il a voyagé dans de nombreux pays».
6) Quand l’activité antirétrovirale apparaît-elle sur les cultures du ganglion de BRU? Quand le virus serait-il réellement isolé à l’Institut Pasteur? Pour Jean-Claude Chermann1in www.enquetesdesante.com daté octobre 2010, le récit est assez clair: «Nous avons pris des mesures tous les 3 jours (…) absolument rien jusqu’au 15e jour où une trace de transcriptase réverse est enfin révélée. Au 20e jour (ndr: ce qui fait un isolement officiel du VIH probablement entre le 20 et le 23 janvier 1983), nous avons observé un pic, certes faible mais présent. Mais au 24e jour les cellules ont commencé à disparaitre. Et oui le virus était un tueur!» Thèse que nous ont confirmée Christine Rouzioux et Françoise Barré-Sinoussi. Dans cette même demande de brevet qui était l’objet de bien des analyses rétrospectives: «Après 15 jours de culture, on a détecté une activité de réverse transcriptases dans le liquide sur l’agent de la culture.» Ce en utilisant pour l’histoire des techniques mises et au point et publiées par Robert Gallo pour le HTLV1.
Source
Ce texte est extrait de Sida 2.0, regards croisés sur 30 ans d’une pandémie, par Didier Lestrade et Gilles Pialoux, éditions Fleuve Noir 2012.