Cet article fait partie du numéro 146 de la revue Transcriptases, qui doit être publié prochainement.
Très fréquente en population générale, l’insuffisance en vitamine D est reflétée par le taux circulant de 25hydroxy-vitamine D (25OHD). Au-delà des problèmes connus de minéralisation osseuse, elle a été récemment associée, dans des études épidémiologiques à un risque accru de survenue de multiples états pathologiques : infections (en particulier la tuberculose), cancers (surtout colique et mammaire), insulino-résistance et diabète, risque cardiovasculaire et maladie coronarienne, maladies auto-immunes, phénotype de vulnérabilité chez les personnes âgées, troubles neurocognitifs… Dans ces études, elle était également associée à la mortalité cardiovasculaire et de toute cause dans des populations fragilisées (sujets âgés, à haut risque cardiovasculaire, insuffisants rénaux, transplantés cardiaques, diabétiques de type 2). Ces effets pourraient en partie s’expliquer par le lien établi entre déficit en vitamine D et anomalies des fonctions immunes d’une part, présence d’un état inflammatoire et procoagulant d’autre part.
Cela a conduit plusieurs équipes à s’intéresser au statut vitaminique D des personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. On ne sait pas si l’insuffisance en vitamine D est plus fréquente chez elles qu »en population générale. On pense en revanche que certains facteurs spécifiques à l’infection ou à son traitement pourraient perturber son métabolisme. En particulier, les antirétroviraux (ARV) inducteurs ou inhibiteurs des cytochromes pourraient interférer avec les hydroxylations d’activation ou d’inactivation de la vitamine D. Quant au ténofovir, il pourrait, par le biais d’une fuite urinaire de phosphore, déréguler l’équilibre phosphocalcique où elle intervient.
Dans la plus importante étude transversale menée à ce jour, chez 3 085 patients, Clotilde Allavena et son équipe1Allavena C et al., Effects of ARV on Vitamin D Concentration in HIV-infected Patients: A Large Prospective Cohort Analysis, CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2011, Abstract # 826 ont analysé les facteurs associés à un déficit en vitamine D. Globalement, 55 % des patients avaient des taux de 25OHD insuffisants (entre 10 et 30 ng/ml) et 31 % des taux franchement déficitaires (< 10 ng/ml). Etre une femme, fumeur, avoir un indice de masse corporelle faible, avoir eu un compte de CD4 inférieur à 350/mm3 ou une complication classant sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. au moment du diagnostic de l’infection, avoir été prélevé en hiver favorisaient l’insuffisance en vitamine D. A l’inverse, n’avoir jamais reçu d’ARV et avoir été prélevé en été favorisaient des taux normaux.
Analyse détaillée de l’influence des ARV
Les auteurs ont procédé à une analyse très détaillée de l’influence des différents ARV. Recevoir de l’éfavirenz était associé, dans une analyse multivariée, à l’insuffisance en vitamine D, ce qui confirme des données (notamment longitudinales) déjà publiées. La prise de zidovudine y était également associée, comme dans l’essai MONET. Curieusement, la prise de ténofovir apparaissait protectrice, à tel point que la prise d’une combinaison à dose fixe de ténofovir, emtricitabine et éfavirenz apparaissait neutre en termes d’influence sur les taux de 25OHD, les effets du ténofovir et de l’éfavirenz se compensant probablement. Certes, les caractéristiques initiales et l’histoire, notamment thérapeutique, des patients ne sont sans doute pas sans lien avec le traitement reçu au moment de l’analyse et les conclusions sur la responsabilité individuelle des ARV ne sont probablement pas définitives. Mais par sa taille, cette étude fournit une photographie appréciable de la situation.
Des effets sur les cellules immunitaires
Au-delà du métabolisme osseux, l’intérêt qu’on porte à la vitamine D est notamment justifié par ses effets sur les cellules de l’immunité innée et acquise. Une étude a démontré son rôle dans l’induction de l’autophagie dans les macrophages2Campbell GR et Spector SA, Vitamin D3 inhibits HIV-1 and Mycobacterium tuberculosis infection in macrophages through the induction of autophagy, CROI 2011, Abstract #828. L’autophagie est un processus par lequel le cytoplasme cellulaire fait l’objet d’un processus de phagocytose par la cellule elle-même. Un phénomène finement régulé qui joue un rôle dans la défense anti-infectieuse – anti-virale en particulier – mais qui est inhibé par le VIH. L’étude montre que la vitamine D, sous sa forme active (1,25OH2D3) induit, d’une manière dépendante de la dose, l’autophagie dans des macrophages dérivés des monocytes (expression de la bécline-1, lipidation de LC3B-I en LC3B-II, formation des autophagosomes). Bien plus, et toujours avec une courbe dose-réponse, elle inhibe la réplication intra-cellulaire du VIH et du bacille tuberculeux (séparément ou en association) dans les macrophages. Cet effet est très fortement réduit par l’inactivation du gène de la bécline-1 (une protéine importante de l’autophagie) et par l’inhibition des fonctions lysosomiales (importantes elles aussi dans l’autophagie). Ainsi, la vitamine D pourrait jouer un rôle important dans les défenses anti-infectieuses de première ligne, y compris contre le VIH, en stimulant l’autophagie.
Quelle supplémentation?
Compte tenu des associations décrites, notamment le lien avec la progression clinique de l’infection par le VIH et la mortalité de toute cause, comme établi dans la cohorte EuroSIDA3Viard JP et al., Vitamin D and clinical disease progression in HIV infection : results from the EuroSIDA study, AIDS, sous presse , la question de la supplémentation se pose inévitablement. Dans la toute première étude de supplémentation4Longenecker CT et al., Vitamin D supplementation and endothelial function in vitamin D deficient HIV-infected persons: a randomized placebo-controlled trial, CROI 2011, Abstract #827, des patients ayant un déficit en vitamine D (25OHD<20 ng/ml, n=45) ont reçu 4000 UI/jour de vitamine D3 ou un placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) pendant 12 semaines (randomisation 2/1). Le critère de jugement principal était analyse fine de la fonction endothéliale. Aucune différence entre les 2 groupes n’a été observée, contrairement à ce que des études en population générale pouvaient laisser espérer.
Toutefois des différences statistiquement significatives ont été observées pour certains des critères de jugement secondaires : les patients ayant reçu la vitamine D ont vu leur cholestérol total et non-HDL baisser (respectivement de 0,09 et 0,07 g/l, p=0,009 et p=0,022) et, plutôt paradoxalement, leur insulinémie et leur index d’insulinorésistance HOMA augmenter (respectivement de 4 mU/l et de 0,8 unités, p=0,0007 et p<0,0001). Au cours du suivi, l’IL-6 a augmenté sous placebo mais est restée stable sous vitamine D, avec une différence significative entre les deux groupes (p=0,010). Donc, pour résumer : des effets assez contrastés ! Il faut noter cependant que la supplémentation en vitamine D n’était pas très « agressive » : 360 000 UI sur 12 semaines, soit à peu près l’équivalent d’une ampoule à 100 000 UI mensuelle. Surtout, l’efficacité de la supplémentation n’a pas été très bonne : le gain médian a été de 5 ng/ml (IQR : -0,9 – + 7,4), avec des médianes à J0 et à S12 respectivement à 9 ng/ml (IQR : 7,1 – 13,1) et 13,3 (IQR : 11,3 – 16,1). Il est probable que des valeurs cibles de 25OHD circulante de l’ordre de 20 ou 30 ng/ml devraient être atteintes pour juger réellement des effets « non classiques » (c’est-à-dire hors métabolisme phosphocalcique) d’une supplémentation en vitamine D. Affaire à suivre.