De nombreuses études de cohortes conduites aux Etats-Unis et en Europe ont mis en évidence une augmentation du risque de cancer du canal anal chez les personnes séropositives malgré la généralisation des traitements antirétroviraux dans les pays du Nord. Cette augmentation du risque touche principalement le groupe des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), mais aussi les autres groupes de transmission.
Dans une session consacrée aux tumeurs chez les personnes infectées par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et animée avec talent par Dominique Costagliola, Eric Engels a présenté une nouvelle étude de cohorte américaine sur la période 1991-2005 portant sur 399762 patients. Les résultats confirment la diminution de l’incidence des cancers classant sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et l’augmentation de l’incidence des cancers non classant sida pendant la même période et singulièrement de l’incidence du cancer du canal anal1Shiels M et al., «The burden of cancer among HIV-infected persons in the US population», WEAB0101. Comme le cancer du col utérin, celui du canal anal est précédé par des lésions néoplasiques intraépithéliales induites par une infection persistante à papillomavirus de haut risque oncogène.
De nombreuses études menées avant l’ère des traitements antirétroviraux combinés ont mis en évidence une prévalence et une incidence élevées d’infection à HPV du canal anal surtout chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. infectés par le VIH (90%) mais aussi, à un moindre degré, chez les autres patients séropositifs (20-50%). L’impact de la restauration immunitaire sous traitement antirétroviral combiné sur la prévalence et l’incidence des néoplasies intraépithéliales anales est encore mal connu. Les études disponibles suggèrent que la restauration immunitaire ne s’accompagne pas d’une réduction de la prévalence de l’infection à HPV et des néoplasies intraépithéliales anales.
La cohorte Valparaiso
Lors de cette même session, nous avons présenté les résultats préliminaires de la cohorte Valparaiso, dont l’objectif était d’étudier l’impact de la restauration immunitaire sous traitement antirétroviral sur l’incidence des infections à papillomavirus anales et des néoplasies intraépithéliales à 12 et 24 mois2Piketty C et al., «Lack of regression of anal squamous intraepithelial lesions and anal HPV infection despite immune restoration under cART», WEAB0103.
Quatre-vingt-quatorze HSH infectés par le VIH-1 ont été inclus dans la cohorte avant de débuter une première ligne de traitement antirétroviral combiné. Pour chaque patient, un examen proctologique a été réalisé à l’inclusion, à M12 et à M24 permettant de recueillir un prélèvement pour identifier les papillomavirus par PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. un prélèvement pour cytologie et une biopsie en cas de lésion visible à l’anuscopie. Les réponses CD4 et CD8 spécifiques des protéines E6 et E7 de l’HPV-16 ont été évaluées à l’inclusion et à M12 dans un sous-groupe de patients ayant une infection anale à HPV-16 détectée à l’inclusion.
La médiane de l’âge des patients était de 40 ans. La médiane des lymphocytes CD4 et de l’ARN plasmatique du VIH à l’inclusion était respectivement de 300/mm3 et 4,8 log copies/mL. A 12 mois de traitement antirétroviral, la médiane des lymphocytes CD4 était de 500/mm3 et 96% des patients avaient une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. < 50 copies.
Concernant l’infection à papillomavirus anale, il n’a pas été observé de variation significative entre l’inclusion et M12 : 97% des patients étaient infectés à HPV à l’inclusion, et 94% à M12. La médiane du nombre d’HPV isolés à l’inclusion et à M12 était de 5,0. La médiane du nombre d’HPV de haut risque isolés à l’inclusion et à M12 était de 3,0. L’HPV-16 a été retrouvé chez environ 50% des patients à l’inclusion. 54% des patients présentaient une néoplasie intraépithéliale à l’inclusion (bas grade : 32% ; haut grade : 8%). A M12, 58% des patients présentaient une néoplasie intraépithéliale (bas grade : 34% ; haut grade : 14%). Entre l’inclusion et M12, une progression des lésions ou une persistance a été observée chez 46% des patients alors qu’une régression de la sévérité des lésions a été observée chez 49% des patients. L’analyse des réponses spécifiques contre les protéines E6 et E7 d’HPV-16 montre qu’il n’existe pas de restauration significative des réponses prolifératives et des réponses Elispot CD8 à M12.
L’analyse des résultats à M24 est encore en cours. Les résultats à M12 suggèrent que la restauration immunitaire sous traitement antirétroviral combiné ne s’accompagne ni d’une réduction de l’infection à HPV anale, ni d’une régression significative des néoplasies intraépithéliales, ni d’une restauration de réponses CD4 et CD8 contre les protéines E6 et E7 de l’HPV-16. Ces résultats vont dans le sens des données précédemment publiées et sont également concordantes avec l’augmentation de l’incidence du cancer anal invasif malgré les traitements antirétroviraux combinés.
C’est dire l’importance de développer et d’évaluer des programmes de dépistage des lésions intraépithéliales anales en priorité chez les HSH infectés par le VIH.
Quelle place pour le vaccin contre le HPV ?
Une autre question importante abordée pendant la conférence était la place du vaccin HPV prophylactique chez les patients infectés par le VIH. L’équipe de J. Palefsky a présenté les résultats d’un essai évaluant l’efficacité du vaccin Gardasil quadrivalent 16, 18, 6, 11 chez des hommes âgés de 16 à 26 ans en l’absence d’infection à HPV détectée à l’inclusion et en l’absence d’infection par le VIH3Jessen H et al., «Quadrivalent HPV vaccine efficacy against HPV 6/11/16/18 infection and disease in men», THLBB101.
L’essai a inclus 4065 patients dont 2029 dans le bras vaccin et 2036 dans le bras placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) Un sous-groupe de 602 HSH a été inclus dans l’essai. En analyse per protocol, ne considérant que les patients ayant une sérologie HPV 6/11/16 /18 négative à l’inclusion et une PCR HPV 6/11/16 /18 négative jusqu’à la fin des injections vaccinales, l’efficacité du vaccin contre les lésions à HPV était de 90,4% (69,2-98,1). En considérant le sous-groupe de patient HSH, l’efficacité vaccinale contre les lésions anales induites par HPV 6/11/16 /18 était de 77,5% (39,6-93,3). Ces résultats, s’ils apportent des arguments pour élargir les indications de la vaccination aux garçons en population générale, posent aussi la question de la vaccination chez les personnes vivant avec le VIH et particulièrement chez les HSH. Reste à évaluer l’efficacité du vaccin chez des HSH infectés par le VIH qui n’auraient pas d’infection à HPV 16 décelable à l’inclusion.
>>> Vienne 2010
Toute l’actualité de Vienne 2010 est sur Vih.org. A l’occasion de la conférence, Vih.org s’associe à Libération.fr et Yagg.com. Les photos et l’ambiance de la conférence sont sur Vu, le regard de Vih.org.