[asset|aid=70|format=image|formatter=asset|title=He didn’t crack a smile, par Bright Tal.|width=450|height=348|resizable=true|align=center]
En novembre dernier, la Fédération internationale du planning familial (IPPF) publiait un rapport qui montrait que de plus de plus en plus de pays font de la transmission du VIH un crime. Selon l’IPPF, 58 pays dans le monde se sont déjà dotés de lois qui criminalisent le VIH ou utilisent des législations existantes pour poursuivre les personnes se rendant coupables d’une transmission du virus. Déjà lors de la Conférence internationale sur le sida de Mexico, en août 2008, la crimininalisation du VIH avait été au centre de plusieurs ateliers et, à l’occasion de la session de clôture, le juge de la cour suprême sud-africaine, Edwin Cameron, avait prononcé un plaidoyer vibrant contre la crimininalisation1Edwin Cameron, « HIV is a virus, not a crime : criminal statutes and criminal prosecutions ».
L’Europe n’est pas en reste
Peu de pays échappent à des législations pénalisant tel ou tel comportement. À Mexico, la présentation de Julian Hows portait sur un état des lieux de la question en Europe et en Asie centrale, mené par l’association anglaise Terrence Higgins Trust. La situation dans 53 pays a été analysée, du Portugal à la Russie et de l’Islande au Tadjikistan. L’objectif est de dénombrer les poursuites, les peines et les lois utilisées dans le cadre de la criminalisation, ainsi que de comparer l’évolution de la situation depuis 2004, afin de faciliter le travail de plaidoyer. Le bilan de cette première enquête est édifiant. Au palmarès des pays avec le plus grand nombre de poursuites, on trouve la Suède (plus de 55 affaires), la Suisse (plus de 50) et l’Autriche. Plus de la moitié des pays étudiés ont connu des procès, notamment la France, l’Allemagne, la Russie, la Roumanie.
Alors même que le législateur affirme que ces lois qui punissent la transmission vise à protéger les plus vulnérables, parmi lesquelles les femmes sont souvent comptées, le résultat est tout autre selon le Dr Alice Wellbourn, de l’International Community of Women Living with HIV/AIDS, qui a reconnu que les femmes étaient particulièrement visées, avec la pénalisation de la transmission verticale de la mère à son enfant en cours dans de nombreux pays africains.
Des alternatives à la criminalisation
« Y-a-t-il des alternatives à la criminalisation ? », s’était interrogée, toujours à Mexico, Susan Timberlake2Susan Timberlake, « Crime and Punishment: Alternatives to Criminalisation of HIV Transmission », conseillère sur les droits humains et la législation auprès d’Onusida. Pour Timberlake, la loi doit en premier lieu soutenir les personnes qui veulent se protéger du VIH. Les lois nécessaires sont celles qui permettent à tous d’accéder aux programmes de prévention : femmes, jeunes, HSH (Hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes), usagers de drogues, travailleurs du sexe, migrants, touristes ; celles qui protègent de la discriminalisation ou qui décriminalisent certaines pratiques ; celles enfin qui garantissent l’information et l’éducation à la sexualité pour les jeunes. La loi doit aussi permettre aux personnes atteintes de ne pas infecter leurs partenaires, en leur permettant d’avoir accès aux programmes de prévention et de traitement.
Le premier procès d’assises français
En France, Act Up-Paris avait choisi comme mot d’ordre pour sa traditionnelle manifestation du 1er décembre : « Prévenir, ne pas punir. » La semaine précédente, l’association, dans plusieurs communiqués de presse, expliquait pourquoi la pénalisation de la transmission n’était pas une réponse adaptée à l’épidémie3http://www.actupparis.org/. Elle organise sur le sujet une RéPi, une réunion publique d’information le 17 décembre 2008. (lire ici http://www.actupparis.org/article3570.html).
Le 1er décembre, c’est également la date symbolique qui avait été choisie par les juges de la cour d’assises pour entamer le procès d’une femme accusée par son mari de lui avoir transmis le VIH. Premier procès en assises, lourde peine demandée, et au final, une condamnation à 5 ans de prison avec sursis. Aussitôt le juriste Daniel Borillo a réagi en publiant une tribune sur Mediapart. Il conclut son analyse ainsi : « Le choix répressif de la gestion du sida, produit un changement radical dans le traitement juridique de l’épidémie. L’abandon du principe de responsabilisation partagée provoque la stigmatisation des personnes séropositives, considérées comme potentiellement dangereuses. De même, la décision de la Cour d’assise crée un climat de suspicion généralisé qui inciterait les personnes à ne pas se faire dépister car l’ignorance de l’état sérologique permettrait d’échapper aux poursuites pénales. Enfin, l’efficacité de la criminalisation n’a pas été prouvée, au contraire, non seulement cette pénalisation risque de marginaliser les personnes les plus fragilisées mais de surcroît déresponsabilise la population en général. »
Le monde est donc sur une pente dangereuse, entre tentation sécuritaire et désignation des séropositifs comme coupables dans la propagation de l’épidémie. C’est d’autant plus troublant lorsque l’on sait que le contrôle de l’épidémie est à notre portée, avec les trois armes que sont la prévention, le dépistage et la mise sous traitement précoce. Cela nécessite des moyens financiers importants. Il semble qu’aujourd’hui, il est plus facile de faire croire qu’on agit en punissant plutôt qu’en agissant avec les moyens de la science.
[Photo : He didn’t crack a smile, by Bright Tal. CC]