Cet article a été publié dans Transcriptases n°139.
Le sujet du traitement antirétroviral (ARV) en Afrique subsaharienne occupe une place particulière. On en connaît bien les paramètres – prévalence du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. entre 10 et 20 fois supérieure à celle de la France, pour un PNB plus de 50 fois inférieur. On en connaît bien l’enjeu : sauver très vite, sous perfusion de fonds internationaux et avec la bonne volonté de bailleurs potentiellement versatiles, les millions de personnes qui attendent le traitement. On en souligne moins souvent la caractéristique majeure en termes de recherche : le nombre d’études consacrées à la prise en charge en Afrique est ridiculement faible, à la fois en proportion par rapport à ce qui se fait dans les pays industrialisés et en nombre absolu eut égard à la multiplicité des questions1Siegfried N, Clarke M, Volmink J, «Randomised controlled trials in Africa of HIV and AIDS : descriptive study and spatial distribution», BMJ, 2005, 331, 742.
Sous la double pression de l’importance de l’enjeu – convaincre et fidéliser les bailleurs occidentaux – et de la pénurie d’études, émerge une littérature médicale au ton très particulier. La principale caractéristique en est la mise en avant de messages principaux en forme de slogans, qu’il faut savoir contourner pour apprécier le reste. L’article de Mermin et coll. en est un bon exemple.
De fréquentes visites à domicile
Cet article compile les données de deux études prospectives menées en Ouganda entre 2001 et 2005 : une cohorte étudiant la mortalité avant et après introduction du cotrimoxazole en prophylaxie des infections opportunistes, et un essai randomisé comparant plusieurs types de «monitorage» (clinique seul, clinique et CD4, clinique, CD4 et charge virale) de personnes sous ARV.
Ces études ont trois caractéristiques originales : (i) elles sont faites en milieu rural ; (ii) les participants n’ont pas besoin de se déplacer : ils sont visités à domicile très fréquemment ; les remplissages de questionnaires, prélèvements et renouvellements de traitement sont faits au cours de ces visites ; (iii) l’inclusion dans l’étude est proposée à tous les membres de la maisonnée, et le devenir des membres séronégatifs – en particulier des enfants – fait partie des indicateurs recueillis.
Trois période de suivi
Dans cet article, les auteurs ont distingué trois périodes de suivi : «sans cotrimoxazole et sans ARV», «avec cotrimoxazole et sans ARV», «avec cotrimoxazole et avec ARV». Ces trois périodes sont comparées en termes de mortalité et fréquence des hospitalisations des adultes VIH+ suivis, et de mortalité de leurs enfants séronégatifs. Pour les adultes traités, les résultats sont sans surprise excellents : après ajustement sur le chiffre de CD4 en début de période, la mortalité «avec cotrimoxazole et avec ARV» a été réduite de 55% (3 premiers mois d’ARV) puis 92% (au delà de 3 mois sous ARV) par rapport à la période «avec cotrimoxazole sans ARV», et de 76% (3 premiers mois d’ARV) puis 95% (au delà de 3 mois sous ARV) par rapport à la période «sans cotrimoxazole et sans ARV».
Plus surprenant est le résultat pour les enfants de la maisonnée : lorsque leur parent VIH+ était «sous cotrimoxazole et sous ARV», les enfants séronégatifs de moins de 10 ans ont eu une réduction de 77% et 81% de leur mortalité, par comparaison respectivement à la période où le parent était «avec cotrimoxazole sans ARV» et «sans cotrimoxazole sans ARV».
Un «coup de pub» éditorial ?
En lecture trop rapide, que ces données soient publiées dans une revue de ce «calibre» ressemble à un «coup de pub» éditorial. Pour deux raisons : la première est que cette réduction de la mortalité des enfants non infectés quand leurs parents sont traités est spectaculaire. Ce résultat, habilement mis en avant dans le titre et le résumé, fait pourtant l’objet en tout et pour tout de 6 phrases courtes dans le chapitre «résultats» de l’article. Les données de l’adulte sont abondamment décortiquées, ajustées, et présentées dans les tableaux. Les analyses chez l’enfant ne font l’objet d’aucune exposition des méthodes statistiques, d’aucun ajustement, et d’aucun détail. Ce type de résultats, porteur d’espoir mais «à confirmer», donne habituellement plus matière à une lettre qu’à un article majeur.
La deuxième raison est que les résultats chez l’adulte semblent orientés vers une préoccupation politique : démonter que les ARV «marchent». Or l’efficacité des ARV n’est plus à démontrer depuis longtemps. En Afrique, la question n’a jamais été de savoir si les ARV faisaient mieux que le cotrimoxazole. Vouloir y répondre dans une grande revue peut même donner de l’eau au moulin de ceux qui faisaient semblant de la poser, et en poseront d’autres du même type demain.
La question de la mortalité précoce
En lecture approfondie, cet article contient pourtant beaucoup de données originales pour ceux qui s’intéressent de près soit aux expériences de décentralisation des soins, soit aux spécificités de la mortalité liée au VIH en Afrique.
Pour les premiers, l’expérience de traitements à domicile développée par cette équipe et déjà exposée dans des articles précédents 2Mermin J, Lule J, Ekwaru JP et al., «Effect of co-trimoxazole prophylaxis on morbidity, mortality, CD4-cell count, and viral load in HIV infection in rural Uganda», Lancet, 2004, 364, 1428-34,3Weidle PJ,Wamai N, Solberg P et al., «Adherence to antiretroviral therapy in a home-based AIDS care programme in rural Uganda», Lancet, 2006, 368, 1587-94 mérite une grande attention. La déconcentration des structures de soins surchargées, l’accès aux médicaments en milieu rural, la supervision du traitement sont des sujets d’actualité. Dans ce programme pilote ougandais où les ARV sont délivrés chaque semaine à domicile, les bons résultats invitent à se poser la question de la faisabilité et du rapport coût-efficacité de ce type de pratique dans d’autres milieux et à grande échelle.
Mortalité précoce élevée
Pour les seconds, les articles de l’équipe de J. Mermin sont une source de données sur la mortalité précoce des adultes VIH+ en Afrique subsaharienne. En écho à une étude précédente de la même équipe, on retrouve dans cet article des incidences de mortalité chez les personnes sans ARV ayant plus de 200 CD4 de l’ordre de dix pour cent personne-années4Mermin J, Lule J, Ekwaru JP et al., «Effect of co-trimoxazole prophylaxis on morbidity, mortality, CD4-cell count, and viral load in HIV infection in rural Uganda», Lancet, 2004, 364, 1428-34
Proportionnellement très inférieure à la mortalité chez les personnes ayant moins de 200 CD4, cette mortalité précoce attire peu l’attention alors qu’elle est dans l’absolu très élevée. Il n’est pas si fréquent de disposer de tels chiffres sur une cohorte de grande taille avec – du fait du suivi à domicile – peu ou pas de perdus de vue. Les bonnes données sont têtues. Celles de cette équipe invitent à poser la question suivante : avec de telles incidences, quel pourcentage de la population adulte VIH+ en Afrique meurt-elle avant d’atteindre le seuil de 200 CD4 ?