La scène que je décris s’est déroulée le 30 janvier 2021. Alors qu’elle rentrait de son pays d’origine, la Colombie, Ivonne, qui réside en France depuis huit ans et possède un passeport français, subit un étrange interrogatoire de la part d’un agent de la PAF (police aux frontières) à Roissy. Voyant sur son passeport français qu’elle est née en Colombie, il lui demande son passeport colombien. Il s’étonne qu’il y ait «autant» de visites dans son pays d’origine (un ou deux voyages par an), lui demande ce qu’elle est allée faire, quel est son travail. Ivonne répond qu’elle était en train de s’occuper des affaires liées au décès de sa mère, qu’elle est au chômage à l’heure actuelle. Est-ce son origine colombienne, ou est-ce cette réponse qui suscite la suspicion du policier? Il poursuit son interrogatoire, la somme de dire ce qu’elle a à déclarer dans ses valises. Ivonne est mal à l’aise devant son attitude. Elle se rappelle qu’elle a acheté de la tisane de coca, ainsi qu’une pommade de coca lors de son voyage. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle apprécie cette tisane riche en fer et en autres minéraux, ainsi que les vertus de la pommade. Elle soutient, avec cet achat, les coopératives indiennes de la région du Cauca en Colombie, qui produisent, tout à fait légalement tisanes, pommades, boissons et autres dérivés de la feuille de coca (Coca Nasa).
Aussi, dit-elle au fonctionnaire, «j’ai apporté de la tisane de coca, et une pommade». Grand mal lui en prit, car dès lors, elle est objet d’une fouille exhaustive. Ses valises grand ouvertes, elle doit expliquer que ces sacs qu’elle a rapportés ne sont pas de la contrebande, mais les sacs hérités de sa défunte mère. Elle doit subir une fouille au corps où elle est mise à nu, ainsi qu’à un test d’urine pour vérifier si elle sous l’emprise de stupéfiants. Au bout de trois heures et demi, elle peut enfin poursuivre sa route vers Grenoble, où elle réside. Avec, dans son sac, un procès-verbal et une amende pour «importation sans déclaration de marchandises prohibées», la saisie de la tisane et de la pommade de coca.
Si les policiers se sont acharnés contre elle, c’est fort possiblement en raison de sa nationalité. Tous les Colombiens —et j’en suis— ont des anecdotes sur les remarques dont ils sont l’objet dans les aéroports du monde entier. Cette fois-ci, les agents de la police ont pu
trouver une marchandise qui n’est suspecte à leurs yeux qu’en raison d’une législation impérialiste et complète- ment désuète. En France, en effet, les feuilles de coca et les préparations à base de coca sont considérées comme des stupéfiants. Assimiler la feuille de coca à la cocaïne, c’est comme confondre une grappe de raisin avec une bouteille d’alcool.
Cette législation ridicule cache une longue histoire: elle est la conséquence d’une politique prohibitionniste portée par les États-Unis et dont la clé de voûte est la convention de l’ONU qui date de 1961. Cette convention avait la prétention d’éradiquer les plants de coca (culture ancestrale des Indiens en Amérique du sud) pour, d’un côté lutter contre le narcotrafic, et d’autre part, ôter un élément culturel important à la population indienne qui s’en servait. Il y avait une seule exception dans cette convention de l’ONU: elle autorisait l’importation et l’utilisation des feuilles de coca uniquement si elles étaient utilisées dans la confection de «boisson aromatique». Il est facile de deviner qu’il s’agissait de protéger une compagnie privée qui avait besoin des feuilles de coca pour son produit: Coca-cola.
Aujourd’hui, plusieurs législations mondiales sont inspirées de cette convention, pourtant contestée par les pays où la coca est une culture traditionnelle. Et de nombreuses lois nationales continuent à confondre la feuille de coca et la cocaïne. C’est une aberration, à proprement parler, de confondre feuilles de coca et cocaïne. Pour produire un gramme de cocaïne, il faut environ 300 grammes de feuilles de coca, et surtout un très long et complexe processus chimique.
Dans leur procès-verbal, les fonctionnaires ont estimé à 7000 euros la marchandise saisie (selon leurs estimations, 60 grammes de tisane de coca coûtent 3 000 euros, et 80 grammes de pommade à base de coca coûtent 4000 euros!). On peut penser qu’ils profitent de cette législation pour faire monter leurs chiffres de saisies de drogues. Surtout, ce genre de lois pénalise les nombreux Latino-américains et touristes qui rentrent en France avec quelques sachets de tisane, et donnent lieu à des interrogatoires abusifs et à des fouilles humiliantes dans les aéroports. Il est fort temps de changer ces lois d’une autre époque.