Grippe aviaire: surveiller et vacciner l’animal face à un risque émergent pour l’homme

L’épizootie d’influenza aviaire (H5N1) hautement pathogène (IAHP) de 2021-2022 a constitué en France une crise sans précédent, conduisant à l’abattage préventif de plus de 21 millions de volailles, relève un avis du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires publié le 12 juin. Le Covars, qui s’est autosaisi de la question, lance un plaidoyer en faveur de l’ouverture d’une campagne de vaccination des volailles et des hommes contre la grippe saisonnière pour éviter les recombinaisons.

Vingt et un millions de volailles abattues en France de manière préventive en 2021-2022, six millions en 2022-2023 pour près d’un milliard d’euros de pertes, 400 foyers détectés dans des élevages en France depuis le 1er août 2022 et 81 nouveaux foyers apparus dans des élevages du Sud-ouest depuis le mois de mai 2023… Le Covars juge la situation «préoccupante», à la suite de l’OMS et de la mort d’un enfant des suites du virus aviaire H5N1 au Cambodge en février dernier.

Répartition géographique des détections d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) chez les mammifères depuis 2016.
Source : ECDC.

Car, outre le fait que le virus concerne désormais près de 500 espèces d’oiseaux sauvages en France métropolitaine et qu’il passe la barrière des espèces en contaminant des mammifères (chats et renards en France et aux États-Unis, ferrets, lynx, visons, lions de mer au Pérou et au Chili…), le virus H5N1 a été détecté huit fois chez l’humain depuis 2022. Dont ce cas mortel au Cambodge et quatre cas graves (deux en Chine, un au Vietnam et un en Équateur) (voir encadré ci-dessous). Le 19 mars, un foyer en Ukraine, dans la région de Kherson, aurait causé dix-huit hospitalisations et deux décès.

Brigitte Autran, la présidente du Covars, l’affirme: «Dans ce contexte marqué par la persistance du virus HPAI dans l’environnement malgré les efforts conjoints des agences sanitaires et des acteurs de terrain, il apparaît nécessaire de renforcer le dispositif de veille et d’anticipation de la pandémie afin de limiter le risque de transmission à l’homme, en intégrant les aspects environnementaux et de santé animale et humaine.»

Surveillance humaine et animale à renforcer 

Le Covars note l’existence d’une surveillance passive (sur des dépouilles d’animaux) de l’avifaune sauvage orchestrée par le réseau SAGIR. La surveillance des élevages et la détection de cas conduit à des mesures de biosécurité et de gestion suivant les recommandations de l’ANSES, mais «ces mesures sont inégalement suivies par les éleveurs et génèrent pour certains des difficultés socio-économiques devant être prises en compte par les pouvoirs publics». 

La surveillance humaine est pour le moment focalisée uniquement sur les personnes présentant des symptômes, avec un protocole SAGA en cours d’élaboration par Santé publique France, le Centre national de référence des virus à infections respiratoires (CNR), le laboratoire national de référence et l’Anses pour mettre en place une surveillance active chez les professionnels exposés au risque de grippe aviaire (éleveurs, intervenants et vétérinaires). Le Covars recommande donc «d’étendre et renforcer les moyens humains et financiers de la surveillance animale et humaine, qui doit être homogénéisée au niveau national (notamment dans les territoires ultra-marins)». 

Le Covars attire l’attention sur l’intérêt de l’analyse de l’ADN environnemental, effectué sur des prélèvements de sédiments, d’eau, de fèces à l’instar d’un projet en cours de l’Office français de la biodiversité (OFB) en lien avec l’Anses. «Cette technique pourrait permettre un suivi actif sur des sites de rassemblement sans avoir à manipuler les oiseaux, et de répondre à la question de la présence du virus sur les sites analysés».

Protéger les animaux et les hommes

Surtout, le Covars appelle à «mener dès que possible une stratégie de vaccination des volailles (…), accompagnée d’une communication ciblée auprès des éleveurs». Une stratégie de vaccination des élevages contre l’IAHP a été autorisée et recommandée en 2022 au niveau européen et devrait permettre de débuter la vaccination préventive des élevages commerciaux de canards à l’automne 2023, note le Covars. Si toutes les conditions sont réunies, soit: «confirmation de l’efficacité vaccinale des vaccins candidats, autorisation (AMM ou ATU), validation par le ministère de la stratégie vaccinale et des conditions de son déploiement, confirmation de la capacité des acteurs de l’industrie pharmaceutique à produire le(s) vaccin(s)…»

La vaccination contre la grippe saisonnière des éleveurs et professionnels des filières avicoles, voire des chasseurs ou des membres de l’OFB, est recommandée, afin de limiter le risque de recombinaison entre virus aviaires et humains. Le Covars note que des vaccins pandémiques et pré-pandémiques sont en cours de développement et que la France devrait «composer des stocks stratégiques de vaccins prépandémiques» et «constituer et diversifier des stocks d’antiviraux efficaces et adaptés aux situations d’urgence de grippe aviaire».

Il recommande ainsi d’accélérer les conditions réglementaires d’accès aux nouveaux antiviraux actifs sur les divers virus influenza, comme le baloxavir marboxil (Xofluza*, Roche) en monodose, approuvé en Europe depuis 2021 mais non disponible en France, qui présente «des avantages importants en cas de pandémie». Ce produit devrait pouvoir être utilisé «hors crise» afin de «développer l’expérience de la prescription et de la pharmacovigilance».

Enfin, le comité insiste sur la nécessaire coopération entre médecine vétérinaire et humaine et le «financement des recherches de long terme en santé animale et humaine». Notamment avec un axe One health: «recherche sur l’endémisation du virus et les causes de la disparition de la saisonnalité de l’influenza aviaire, les interactions hôte-virus et la barrière d’espèce, la taxonomie des espèces réservoir, dont les mammifères, le pathogène lui-même et les modes de contamination à l’homme, et notamment la contamination aéroportée».

IAHP : zones à risque particulier (ZRP) et à risque de diffusion (ZRD) en France

Le constat alarmant de l’ECDC

Cet avis du Covars fait suite au tableau récemment établi par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Entre le 3 décembre 2022 et le 1er mars 2023, le virus de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) A(H5N1), cladeClade Variants. 2.3.4.4b, a été signalé en Europe chez des oiseaux domestiques (522) et sauvages (1 138) dans 24 pays. Un nombre inattendu de détections du virus IAHP chez des oiseaux marins a été observé, principalement chez des espèces de goélands et en particulier chez des mouettes rieuses (avec d’importants événements de mortalité observés en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie). L’étroite relation génétique entre les virus collectés chez les mouettes rieuses suggère une propagation du virus vers le sud. 

En outre, les analyses génétiques indiquent que le virus a persisté en Europe dans les oiseaux sauvages résidentiels pendant et après les mois d’été. Bien que le virus ait conservé une liaison préférentielle avec les récepteurs de type aviaire, plusieurs mutations associées à un potentiel zoonotique accru ont été détectées. Au niveau mondial, le virus IAHP A(H5N1) a continué à se propager vers le sud des Amériques, du Mexique au sud du Chili. Au Pérou, une mortalité massive d’otaries a été observée en janvier et février 2023. Depuis octobre 2022, six détections de A (H5N1) chez l’homme ont été signalées au Cambodge (un groupe familial de 2 personnes, clade 2.3.2.1c), en Chine (2, clade 2.3.4.4b), en Équateur (1, clade 2.3.4.4b) et au Vietnam (1, clade non spécifié), ainsi que deux infections humaines à A(H5N6) en Chine. Le risque d’infection par les virus de l’influenza aviaire H5 du clade 2.3.4.4b actuellement en circulation en Europe est jugé faible pour la population générale de l’UE/EEE et faible à modéré pour les personnes exposées professionnellement ou d’une autre manière.
Gilles Pialoux