IAS 2017 — Traiter tout le monde : comment y arriver, et peut-on se le permettre ?

L’introduction de cette session de commnucation orale libre, réalisée par la directrice intérimaire du Fonds Mondial, Marijke Wijnroks, a été un peu chahutée par les activistes, qui souhaitaient interpeller l’assemblée sur le fait que le Fonds Mondial n’intervenait pas ou plus dans les pays à revenus intermédiaires, où les besoins sont également très importants, et notamment au Vénézuela (où la situation semble être critique, les activistes vénézuéliens ayant déjà perturbé la plénière du matin pour dénoncer la « catastrophe sanitaire annoncée » en matière de santé en général  et de Sida en particulier dans leur pays).

Sur ce, la directrice du Fonds Mondial a rappelé que même si l’on pouvait se féliciter d’avoir passé la barre des 53% de patients sous traitement AREV, il en restait encore 47% à prendre en charge… et que les besoins en financement du Fonds Mondial allaient rester importants (NDR : avis aux donateurs potentiels !)

Wide-ranging real-world impacts of a policy change on treatment eligibility on ART initiation and retention in care in Zambia
A. Mody, A. Zanolini, K. Sikombe, P. Somwe, I. Sikazwe, C. Bolton, C. Holmes, N. Padian, E. Geng – United States

La Zambie a adopté le traitement universel en décembre 2016, mais avait modifié ses recommandations en 2014. Les patients de > 15 ans, naïfs de traitement, inclus 7 mois avant et 7 mois après le changement de recommandations ont été inclus dans cette étude observationnelle menée dans 64 points de prise en charge en Zambie. Les critères de comparés entre les deux périodes étaient le fait d’être sous ARV 3 mois après la 1ère visite, toujours en soins à 6 mois, et un critère composite regroupant les deux précédents.
Trois sous-groupes sont distingués : les personnes toujours éligibles (SIDA, CD4<200 etc… qui étaient éligibles avant le changement de recommandations et le sont toujours après) , les nouvellement éligibles (3503, femmes enceintes pour l’option B+) et non-encore éligibles (CD4> 500/mm3, stades cliniques précoces).
L’analyse avant/après la publication des nouvelles recommandations ne montre pas vraiment de différence en pratique pour les initiations de traitement, ni dans la rétention dans les soins pour ceux qui sont « toujours éligibles », ce qui montre qu’augmenter le périmètre d’indication de traitement n’est pas nuisible à ceux qui en ont le plus besoin. Pour les « nouveaux éligibles », il y une forte augmentation de la mise sous traitement et de la rétention dans les soins, ce qui montre que les recommandations sont utiles et suivies… et pour les non encore-éligibles, il y a tout de même une augmentation des mises sous traitement, ce qui montre que les prestataires de service ont tendance à anticiper sur la phase suivante de recommandations, qui est le traitement universel sans conditions cliniques ni de CD4 !

Pre-ART peak and plateau: early lessons from Zimbabwe on operational impact of ‘pre-ART mop- up’ on ART initiation rates under Treat All
K. Webb, V. Chitiyo, P. Nesara, S. Page-Mtongwiza, J. Murungu, T. Maphosa, P. Mbetu, B. Engelsmann, Zimbabwe

La prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. au Zimbabwe est de 14.6%. La difficulté au moment de l’élargissement des recommandations de traitement était de faire revenir dans le système de soins ceux qui avaient été préalablement diagnostiqués VIH+ mais qui n’étaient pas suivi faute d’indication au traitement antiviral. L’objectif de l’étude est d’évaluer le nombre de patients réintégrés dans le soin et la mise sous traitement après la campagne « TREAT ALL » d’accès universel au traitement. Dans le mois suivant les nouvelles recommandations, parmi les patients nouvellement mis sous traitement, 55.2% sont des nouveaux diagnostics (auxquels on applique le principe du traitement le même jour que le dépistage afin d’éviter la multiplication des visites), et 44.8% sont des retours aux soins de personnes antérieurement dépistées. Parmi ces dernières, les femmes sont plus nombreuses, et les jeunes sont +/- absents… Pour obtenir ce résultat, il a été nécessaire de mener une intense campagne d’information, et l’on constate que le fait de rappeler les patients au téléphone est plus efficace que de leur envoyer des textos…

Evaluating the feasibility of implementing UNAIDS’ 90 90 90 strategy, achieving universal access to treatment and eliminating HIV in Malawi
S. Blower, L. Palk, United States

En colligeant les données de trois sources – enquête de prévalence, recensement et répartition de la population – une carte de la « densité d’infection » VIH au Malawi a été établie, avec une précision de 0.01 km2 : 85% des 16 millions d’habitants vivent en milieu rural, avec des densités de population très faibles, et 15% dans les zones urbaines. La carte de prévalence quant à elle montre une concentration épidémique allant jusqu’à 28% dans les zones urbaines, mais une très large surface dans laquelle la prévalence est < 1%. Dans les zones rurales, il y a plus d’enfants et de personnes âgés, et moins de représentation de la classe 15-49 ans. En superposant les cartes, on retrouve donc des zones ou la densité de séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. est > 1000/km2, et d’autres ou elle est inférieure à 2/km2 ! 80 % des séropositifs vivent en milieu rural, et 20% en milieu urbain (malgré la très forte densité en milieu urbain, on voit donc que la majorité vit en milieu rural…). Pour atteindre les objectifs 90/90/90, il faut aller dépister et traiter dans des zones où la densité de population est de 6/km2, et de 4/km2 pour l’objectif 95/95/95… Comme les densités de populations sont très différentes d’une région à l’autre, on constate que « le traitement pour tous » pourrait être coût-efficace au Sud et pas au Nord du Malawi, et que des choix économiques pourraient être fait au dépend de l’équité…

NDR : Dans la discussion apparaît le dilemme pour les gouvernements d’aller vers une équité en terme d’accès au traitement, ou une politique de coût-efficacité qui laisserait forcement les zones de plus faible densité à l’écart…

Generic treatments for HIV, HBV, HCV, TB could be mass produced for < $90 per patient
A. Hill, M. Barber, D. Gotham, J. Fortunak, A. Pozniak, United Kingdom

Prix cibles calculés, prix actuels et années d'expiration du brevet

Depuis de très nombreuses années, Andrew Hill et son équipe militent pour une connaissance large des vrais coûts de production des médicaments anti-infectieux essentiels. Pour calculer le coût d’un traitement, le modèle établi prend en compte : le coût de la matière première (NDR : prix au Kg, comme chez l’épicier !), le coût de fabrication des comprimés (de l’ordre de 0.01€ par cp), le packaging (0,35 €/mois) les taxes et les marges bénéficiaires (13% du prix si on regroupe ces deux dernières).

En appliquant la règle au Sofosbuvir, le calcul est le suivant pour 12 semaines de traitement : 1.050$ le kg (NDR : nettement plus cher que les petits pois tout de même), il faut 34 g pour 12 semaines de traitement (400 mg x 84 jours), soit 35 $ de matière première. A cela on ajoute 1$ de fabrication (arrondi de 0,01 $ x 84 j), 1$ de packaging (0,35 $ x3 mois) et 13% de profit et taxes: le coût réel de 12 semaines de sofosbuvir pour un patient est de 42$!

Ce modèle peut être appliqué à toutes les molécules dont le coût des matières premières est connu. Il est un peu limité par le fait qu’il ne prend pas en compte les coûts de transport, d’étude de bioéquivalence, d’enregistrement et de préqualification. Mais pour savoir si leur modèle était valable, les auteurs ont comparé leurs prix calculés aux prix disponibles sur le marché dans les pays où ils sont les moins chers, et on retrouve une très bonne corrélation entre les deux. On voit dans le tableau l’immensité du fossé entre les prix dans les pays les plus onéreux, les prix génériques existants et les prix calculés par le modèle.

Il faut donc militer pour un nouveau 90/90/90/90 : 90$ par personne et par an pour les traitements du VIH, du VHC, du VHB et de la tuberculose!

Comparative analysis of ARV costs before and after the Clinical Protocol and Therapeutic Guidelines for the management of adult HIV infection (PCDT) was adopted in 2013 in Brazil
M.C. Pimenta, L. Hasenclever, C.F. Rocha, G. Cunha, A. Ana Pati Pascom, M. Freitas, R. Girade Corrêa, G.F. Mendes Pereira, C.J. Braga Batista, J. Monteiro da Cruz, Brazil

Le but de cette étude est d’évaluer la différence de coût entre les régimes de traitement recommandés avant et après 2013 au Brésil (comparaison des périodes 2009-2013 et 2014-2015). Sont concernés 207.014 patients dans la 1ère période (prescription initiée entre septembre et décembre 2009, et 444.093 dans la 2nde période (prescription initiée entre septembre à décembre 2015).
La diminution des coûts des traitements entre les deux périodes (-40%) et la forte standardisation des prescriptions (en 2015, 73% des patients mis pour la 1ère fois sous traitement reçoivent le schéma « Tenofovir, Lamivudine, Efavirenz ») permettent de ne pas voir s’envoler le coût global de la prise en charge malgré l’augmentation du nombre de patients à traiter. Si les règles de standardisation et la maitrise des coûts des molécules (le Brésil est pionnier dans le domaine) n’avaient pas été appliquées, le coût de traitement de l’ensemble de la population aurait augmenté de près de 70%.

Index partner testing and targeted case finding in northern Haiti
V.A. Francois, Haiti

La prévalence du VIH en Haïti de 2.2% (elle est néanmoins deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes) et il existe une assez grande variation de la prévalence dans les différentes régions du pays. Le but de l’intervention rapportée ici est d’essayer d’améliorer le dépistage et le traitement des partenaires de personnes séropositives. Dans un premier temps, les équipes sanitaires ont été formées au conseil pour le dépistage du partenaire, et dans un second temps, la venue des partenaires des personnes testées positives a été évaluée. Le résultat n’est pas brillant, avec la cascade suivante : pour 593 personnes dépistées positives, 519 acceptent le conseil en rapport avec le dépistage du partenaire (88%). Seulement 22% de ces dernières (113 personnes) acceptent d’en parler à leur partenaire, un partenaire informé sur deux environ va venir se faire tester (51 personnes, soit 54% de ceux qui sont invités à se rendre au centre de dépistage par leur partenaire découvert séropositif) et la moitié des partenaires testés s’avère infectée par le VIH (30, soit 49% des testés)…

La conclusion est qu’il y a une quantité de travail phénoménale à faire si on veut faire tomber les barrières liées aux problèmes de genre, majeurs en Haïti et les barrières culturelles : une autre étude en Haïti a montré que 65% des perdus de vue avaient consulté un sorcier Vaudou et des travaux sont en cours pour essayer d’améliorer le niveau d’éducation à la santé des sorciers, afin qu’ils puissent collaborer avec les centres de prise en charge. Ce chemin sera long mais nécessaire si l’on veut atteindre les objectifs 90/90/90…

Ce compte-rendu a précédemment été publié par son auteur, dans sa version étendue, sur le site du COREVIH-Bretagne.