Transmission mère-enfants — L’allaitement sous couverture antirétrovirale

De nouvelles études apportent des informations précieuses sur la stratégie de traitement «post-exposition» de l’enfant dans la prévention de la transmission post-natale par allaitement maternel. En attendant les résultats d’essais en cours sur l’effet protecteur de la prolongation du traitement de la mèredans cette indication.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°140.

La transmission du virus de la mère à l’enfant est désormais quasi-nulle dans les pays industrialisés, sous réserve que la mère soit correctement dépistée et qu’elle reçoive au cours de sa grossesse un traitement optimal. Les modalités de cette prévention ont été récemment mises à jour dans les recommandations françaises 20081Recommandations du groupe d’experts. Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Rapport Yéni 2008.

L’immense défi aujourd’hui est de mettre en place une stratégie de prévention aussi efficace là où l’essentiel des femmes infectées par le VIH vivent, c’est-à-dire dans les pays à faible ressource d’Afrique subsaharienne.

Très vite après les premiers résultats obtenus dans les pays du Nord, il a pu être démontré que des stratégies «simplifiées», adaptées aux conditions restreintes d’accès aux soins, pouvaient avoir des résultats remarquables sur la transmission périnatale. La zidovudine (avec ou sans lamivudine) durant quelques semaines associée à une dose unique de névirapine à l’accouchement réduit ainsi à moins de 3% la transmission peri-partum chez des femmes dont l’infection par le VIH ne justifie pas pour elle-même un traitement de type Haart2Tonwe-Gold B, Ekouevi DK, Viho I et al., «Antiretroviral treatment and prevention of peripartum and postnatal HIV transmission in West Africa : evaluation of a two-tiered approach», PLoS Med, 2007, 4, 8, e257.

Il est remarquable de constater que cette transmission peri-partum est très sensible à une intervention médicamenteuse aussi modeste. Cette prévention «simplifiée» ne reste toutefois justifiée que lorsqu’on ne peut pas faire autrement et chaque fois que possible une multithérapie similaire à celle employée dans les pays du Nord est recommandée, où que vive la femme3Antiretroviral drugs for treating pregnant women and preventing HIV infection in infants : towards universal access recommendations for a public health approach www.who.int/hiv/pub/guidelines/pmtct/en/index.html.

Deux obstacles majeurs

Les deux obstacles majeurs à la mise en place d’une prophylaxie efficace sont toutefois ailleurs. Le premier problème est celui du dépistage des femmes enceintes séropositives qui reste catastrophiquement déficient dans beaucoup d’endroits du monde : au terme d’une «cascade» de pertes de chances, le nombre de femmes enceintes, infectées par le VIH, dépistées et recevant réellement le traitement ne dépasse pas 30% à l’échelle de la planète, plafonnant parfois aux alentours de 10% dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. La proposition du test, sa réalisation effective, le rendu du résultat et la proposition du traitement quand le résultat est positif, la prise effective du traitement sont autant d’étapes où s’accumulent les opportunités perdues.

Le deuxième grand problème est celui de la contamination post-natale par l’allaitement maternel. Celle-ci est estimée entre 10% à 20% de transmissions supplémentaires à celles survenant en pré ou peripartum. Le niveau de réplication virale maternelle dans le plasma – et de façon assez parallèle dans le lait -, le taux de CD4 et la durée de l’allaitement sont les facteurs de risques principaux de cette transmission. Le risque n’est pas homogène dans le temps, plus important dans les premières semaines d’allaitement4Coutsoudis A, Coovadia HM, Wilfert CM, «HIV, infant feeding and more perils for poor people : new WHO guidelines encourage review of formula milk policies», Bull World Health Organ, 2008, 86, 210-4. Le problème a été aisément réglé dans les pays du Nord par la contre-indication à l’allaitement maternel et la proposition systématique d’un allaitement artificiel.

Des programmes ambitieux

Très logiquement, des programmes de mise en place d’allaitement artificiel dans les pays à faible ressource ont donc été mis en place dans les années 1990 devant la situation désespérante d’enfants ayant été protégés de la contamination périnatale (malgré tous les obstacles qui s’y opposaient) et s’infectant après la naissance. Des programmes très ambitieux ont donc tenté de passer outre le «dogme» de l’allaitement maternel en pays à faibles ressources pensant que le gain en matière d’infection par le VIH outrepasserait les risques infectieux et nutritionnels de l’allaitement artificiel. Plusieurs études ont ainsi démontré un certain niveau de faisabilité de cette approche, mais la plupart d’entre elles concernaient des femmes sans doute sélectionnées, motivées, vivant près d’un centre de santé ou ayant un accès aux soins relativement aisé. Indépendamment des risques intrinsèques, le coût élevé de ce type d’alimentation ainsi que la possible stigmatisation des femmes le pratiquant ont été mis en avant.

Dans ce contexte de forte controverse, l’épidémie de diarrhées infectieuses sévères observées au Botswana en 20055Shapiro RL, Lockman S, Kim S et al., «Infant morbidity, mortality, and breast milk immunologic profiles among breast-feeding HIV-infected and HIV-uninfected women in Botswana », J Infect Dis, 2007, 196, 562-9 a été certainement un élément important dans la prise de conscience que l’option de l’allaitement artificiel à vaste échelle était intenable et que celui-ci ne devait être proposé – selon les recommandations prudentes de l’OMS – que s’il apparaissait «acceptable, faisable, abordable, maintenable dans le temps et sans danger» («AFASS» selon l’acronyme de l’OMS pour «acceptable, feasable, afordable, sustainable and safe»)6Coutsoudis A, Coovadia HM, Wilfert CM, «HIV, infant feeding and more perils for poor people : new WHO guidelines encourage review of formula milk policies», Bull World Health Organ, 2008, 86, 210-4.

Un allaitement maternel «sécurisé»

Le mouvement de pensée d’un allaitement maternel «sécurisé» a alors pris de l’ampleur – parallèlement, d’ailleurs, à l’utilisation la plus large des antirétroviraux dans les pays à faible ressource. Trois approches sont envisageables pour diminuer le risque de transmission du virus durant l’allaitement : 1) s’assurer du caractère exclusif de l’allaitement7Coovadia HM, Rollins NC, Bland RM et al., «Mother-to-child transmission of HIV-1 infection during exclusive breast­feeding in the first 6 months of life : an intervention cohort study », Lancet, 2007, 369, 1107-16, 2) poursuivre le traitement antirétroviral de la mère durant l’allaitement, mais aussi 3) proposer à l’enfant une prophylaxie de type «post-exposition» où seul l’enfant est traité par antirétroviraux durant l’allaitement, en général par une monothérapie.

Le rôle protecteur du traitement maternel maintenu durant l’allaitement est actuellement évalué dans plusieurs études randomisées en cours qui apporteront prochainement des informations argumentées. Des études observationnelles non comparatives suggèrent déjà une efficacité remarquable de cette approche dont il faudra apprécier la faisabilité et la tolérance puisque les antirétroviraux passent dans le lait et seront donc ingérés plusieurs fois par jour par l’enfant.

La prophylaxie de «post-exposition»

Une série d’articles récents donnent des informations précieuses sur l’autre approche, celle de la prophylaxie dite de «post-exposition». Le principe est ici de traiter par antirétroviraux l’enfant non infecté tant qu’il est exposé au virus par le lait, par analogie avec les traitements post-exposition ponctuels après blessure avec une aiguille usagée ou rapport sexuel à risque. Les molécules utilisées jusqu’à présent dans ce type d’approche ont été la névirapine (qui n’est plus donnée cette fois en dose unique mais en continu), l’AZT, le 3TC ou l’association AZT+névirapine. Ces études apprécient à chaque fois le risque d’infection par le VIH par l’allaitement mais aussi la mortalité, notamment d’ordre infectieux8Thior I, Lockman S, Smeaton LM et al., «Breastfeeding plus infant zidovudine prophylaxis for 6 months vs formula feeding plus infant zidovudine for 1 month to reduce mother-to-child HIV transmission in Botswana : a randomized trial : the Mashi Study», JAMA, 2006, 296, 794-805,9Kilewo C, Karlsson K, Massawe A et al., «Prevention of mother-to-child transmission of HIV-1 through breast-feeding by treating infants prophylactically with lamivudine in Dar es Salaam, Tanzania : the Mitra Study», J Acquir Immune Defic Syndr, 2008, 48, 315-23,10Six Week Extended-Dose Nevirapine (SWEN) Study Team, «Extended-dose nevirapine to 6 weeks of age for infants to prevent HIV transmission via breastfeeding in Ethiopia, India, and Uganda : an analysis of three randomised controlled trials», Lancet, 2008, 372, 300-13,11Kumwenda NI, Hoover DR, Mofenson LM et al., Extended antiretroviral prophylaxis to reduce breast-milk HIV-1 transmission. N Engl J Med 2008, 359, 119-29.

L’étude publiée dans le New England Journal of Medicine en juillet 2008 est la plus structurée et la plus convaincante12Kumwenda NI, Hoover DR, Mofenson LM et al., Extended antiretroviral prophylaxis to reduce breast-milk HIV-1 transmission. N Engl J Med 2008, 359, 119-29. Elle a été menée au Malawi sur plus de 3000 enfants avec une randomisation en trois groupes :
– groupe I : traitement post-natal standard névirapine monodose, AZT une semaine ;
– groupe II : idem plus 14 semaines de névirapine ;
– groupe III : idem plus 14 semaines d’association AZT-névirapine.

A 9 mois, le risque de transmission est respectivement de 5,2% et 6,4% dans les groupes II et III contre 10,6% dans le groupe I contrôle (sans différence d’efficacité dans les deux groupes de traitement mais au contraire une plus grande toxicité sur l’incidence des neutropénies induites par l’AZT). L’analyse longitudinale du risque de transmission exprimée selon la méthode Kaplan-Meïer montre une différence importante du risque de contamination durant la période de prophylaxie (14 semaines) avec ensuite un risque de contamination qui évolue parallèlement lorsque l’allaitement est maintenu au-delà de 14 semaines.

Un risque de transmission fortement réduit 

Un autre essai similaire a été publié de façon presque simultanée dans le Lancet13Six Week Extended-Dose Nevirapine (SWEN) Study Team, «Extended-dose nevirapine to 6 weeks of age for infants to prevent HIV transmission via breastfeeding in Ethiopia, India, and Uganda : an analysis of three randomised controlled trials», Lancet, 2008, 372, 300-13. Il est basé sur le même principe et aboutit à peu près aux mêmes conclusions, mais sa structure (3 essais nationaux menés en parallèle et analysés collectivement) et surtout sa durée de prophylaxie, plus courte de 6 semaines, limitent la puissance des résultats.

Ces deux essais, en plus de deux études publiées précédemment (voir tableau), démontrent ainsi qu’un traitement simple par monothérapie (antirétrovirale) durant la période ­d’allaitement réduit fortement le risque de transmission post-natale.

Des questions en suspend

Plusieurs questions se posent. La première concerne la durée du traitement qui ne couvre dans ces études qu’une période relativement brève de l’allaitement, celui-ci étant poursuivi plusieurs mois après l’arrêt du traitement. Le choix de cette période courte était basé sur le sur-risque connu des premières semaines d’allaitement. Le rôle protecteur d’une prophylaxie prolongée durant toute la durée de l’allaitement reste à évaluer.

Deuxièmement, même durant la période d’allaitement sous traitement, il reste un risque de contamination (réduction du risque d’environ 60% à 14 semaines dans l’essai du Malawi). Cette contamination résiduelle est peut-être liée à une activité antivirale intrinsèque insuffisante de la molécule choisie ou à des problèmes d’observance. Il est décevant de ne pas observer d’effet protecteur additif d’une bithérapie. Un traitement avec une molécule ou une association de molécules antirétrovirales plus puissante entraînera-t-il un meilleur effet ou génèrera-t-il au contraire des problèmes de compliance plus importants ?

Troisièmement, on connaît la faible barrière génétique de la névirapine à la sélection de mutants résistants. Ce problème n’est pas analysé dans l’étude du Malawi mais l’a été dans un des sous-groupes de l’étude SWEN. Comme attendu, la plupart des enfants infectés malgré la prophylaxie ont un virus résistant à la névirapine. L’analyse bénéfice/risque devra tenir compte de cet élément qui ne ferme pas toutes les options thérapeutiques futures. L’idéal serait bien sûr de trouver une molécule ayant une puissance antivirale maximale, une très bonne tolérance et une forte barrière génétique à la résistance…

Enfin, cette approche gardera-t-elle un intérêt pour les femmes recevant après la grossesse un traitement pour elles-mêmes ? Pourra-t-on moduler cette prophylaxie selon le taux de CD4 des mères (qui reste, comme attendu, un fort critère prédictif de transmission dans l’étude de Malawi) ?

Il est clair que l’approche d’un allaitement maternel «sécurisé» par les antirétroviraux (soit donné pendant l’allaitement à la mère, soit à l’enfant) représente un réel espoir d’une diminution massive dans la proportion d’enfants infectés… sous réserve, encore une fois, que les femmes enceintes soient correctement dépistées !

 

Prophylaxies antirétrovirales administrées à l’enfant durant l’allaitement :
principales études disponibles

 

type d’étude

référence

principaux résultats

MASHI
Tanzanie

randomisation
lait maternel + AZT
vs lait artificiel 6 mois

Thior14Thior I, Lockman S, Smeaton LM et al., «Breastfeeding plus infant zidovudine prophylaxis for 6 months vs formula feeding plus infant zidovudine for 1 month to reduce mother-to-child HIV transmission in Botswana : a randomized trial : the Mashi Study», JAMA, 2006, 296, 794-805
JAMA
2006

risque de transmission plus élevé à 7 mois dans le groupe allaitement maternel + AZT (9% vs 5,6%) mais mortalité plus basse (49% vs 9,3%)

MITRA
Botswana

lait maternel + 3TC
jusqu’au sevrage
(maxi 6 mois)
comparaison historique

Kilewo15Kilewo C, Karlsson K, Massawe A et al., «Prevention of mother-to-child transmission of HIV-1 through breast-feeding by treating infants prophylactically with lamivudine in Dar es Salaam, Tanzania : the Mitra Study», J Acquir Immune Defic Syndr, 2008, 48, 315-23
J of AIDS
2008

proportion d’enfant infecté à 6 mois alors qu’il ne l’était pas à 6 semaines : 1,2% réduction globale à 6 mois par rapport au groupe historique : 50%

SWEN
Ethiopie,
Ouganda,
Inde

randomisation :
pas de prophylaxie
vs NVP durant
6 semaines

«SWEN»16Six Week Extended-Dose Nevirapine (SWEN) Study Team, «Extended-dose nevirapine to 6 weeks of age for infants to prevent HIV transmission via breastfeeding in Ethiopia, India, and Uganda : an analysis of three randomised controlled trials», Lancet, 2008, 372, 300-13
Lancet
2008

risque d’infection à 6 semaines : 2,5% vs 5,2% dans le groupe contrôle

PEPI
Malawi

randomisation : pas de
prophylaxie vs NVP ou
NVP + AZT 14 semaines

Kumwenda17Kumwenda NI, Hoover DR, Mofenson LM et al., Extended antiretroviral prophylaxis to reduce breast-milk HIV-1 transmission. N Engl J Med 2008, 359, 119-29
N Engl J Med
2008

67% réduction de transmission à 14 semaines
51% réduction de transmission à 9 mois