Fondamentalement indépendant, il était toujours prêt à participer à des combats collectifs, à tout projet audacieux, pourvu qu’on lui laisse son espace de liberté, son indépendance. Il pouvait participer simultanément à plusieurs cercles sans jamais se laisser englober par aucun. Généreux, curieux, fidèle, attentif aux autres, il aimait partager sa passion des objets, des images, du passé. Recherchait-il sa propre histoire dans les vestiges des anciens? Jimmy avait une place unique à Swaps, son arrivée au comité de rédaction était toujours un événement, car à chaque fois il apportait des objets insolites, ses dernières trouvailles. Il apportait aussi des idées, des projets d’études, une vision originale des enjeux.
Il alliait une fraîcheur dans le choix des sujets comme dans la façon de les aborder, à une absence de complaisance ou d’illusion. Ses articles pour Swaps étaient le fruit d’un travail minutieux tant pour la réalisation de ses enquêtes de terrain que pour leur restitution.
Il est parti avec un courage hors du commun.
Il a regardé la mort en face, s’y est préparé, y a préparé les autres, avec une détermination lucide impressionnante. Chapeau Jimmy!
Didier Jayle
Je connais Jimmy depuis 1994 lorsqu’il a rejoint «Limiter la casse», vingt années de travail, de discussions, d’échanges, vingt années où il a traversé l’univers associatif comme il avait voyagé à travers le monde, curieux de tout connaître, tour à tour acteur de terrain et chef de projet, chercheur et journaliste, confrontant sa propre expérience à celle des autres, les idées et les discours aux réalités de terrain, soucieux avant tout de préserver sa liberté de pensée. S’il affichait volontiers son scepticisme, il ne se serait pas engagé avec autant de passion et de rigueur s’il n’avait pas eu avec les usagers engagés dans le mouvement associatif un sentiment d’appartenance, une façon commune de vivre l’usage de drogues, sans culpabilité, mais responsable de ses actes.
Il s’est reconnu dans la civilisation des drogues et c’est ce qui nous a liés. Il venait de loin, Jimmy, et avait déjà une longue expérience des êtres humains, aux travers d’expériences limites et de prises de risques qui font tomber les masques. Individualiste, il avait choisi de vivre sa vie en aventurier, et a priori, rien ne le destinait à devenir un militant associatif, mais il s’est engagé néanmoins, aux côtés de ses compagnons d’aventure, solidaire sans jamais le revendiquer —l’affichage des bons sentiments n’était pas sa tasse de thé!— et aussi, très certainement, parce qu’au travers des rencontres, des enquêtes et des lectures, il avançait dans la compréhension de sa propre histoire. Il a construit avec rigueur son domaine d’expertise, et c’est sans doute ce qui lui a permis de tenir le cap, malgré les aléas de l’engagement associatif. Sa toute dernière enquête, nous l’avons faite ensemble au mois de mai dernier, une semaine qu’il avait minutieusement organisée pour interviewer des témoins et des acteurs des années 1970 et 1980 vivant actuellement dans le sud de la France, et sa contribution à la recherche sur l’histoire de la diffusion de l’héroïne est précieuse. Il souffrait déjà, mais il ne savait pas que ses souffrances étaient dues à des métastases d’un cancer du foie. Lorsqu’il a compris la gravité de son état, il a choisi de vivre ses derniers moments avec courage et sérénité. Lucide, modeste, cet anti-héros a aussi fait preuve d’un sacré équilibre psychique, la tête pouvait être dans les étoiles, mais les deux pieds étaient solidement sur terre!
Jimmy fait étroitement partie de l’histoire française de la réduction des risques; outre la mémoire de rencontres nombreuses et souvent décisives, il laisse dernière lui des articles documentés qui attestent des recherches et débats qui ont jalonné cette histoire. Tu nous manques Jimmy.
C’est parce qu’il fait partie de notre histoire, qu’il nous appartient désormais de donner sa place à son travail, pour que vive l’expertise à laquelle il a consacré ses dernières forces.
Anne Coppel