Epidémiologie et vulnérabilité des populations oubliées et autochtones.
S.Baral, Johns Hopkins School of Public Health, United States
Petit rappel épidémiologique en ce début de conférence : il y a 36,9 millions de personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. dont 1,8 million l’ont acquis en 2017; 21,7 million sous traitement dont 17 millions ont une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. (CV) indétectable. L’orateur a voulu s’attacher à quelques exemples montrant qu’il faut aujourd’hui avoir une approche micro-épidémiologique si l’on veut obtenir des résultats tangibles…
Les rapports transactionnels en Afrique australe: quand l’on s’intéresse aux données d’acquisitions du VIH, on est frappé, notamment en Afrique subsaharienne et tout particulièrement en Afrique du Sud, par la rapidité d’acquisition chez les très jeunes femmes, qui s’infectent massivement entre 10 en 20 ans…
Les déterminants de l’acquisition du VIH de ces jeunes femmes sont « classiques » et associés à l’alcool, les autres drogues, la non-utilisation du préservatif, la différences d’âge du partenaire masculin… mais l’une des particularités reste la question des rapports transactionnels, qui ressortent comme facteur de risque dans toutes les études.
Dans un programme récent de prévention en Tanzanie, le nombre de partenaires, le sexe transactionnel et l’âge des partenaires sortent comme facteurs de risques majeur d’acquisition du VIH.
Place des usagers de drogues dans la dynamique épidémique en Russie: une des questions est de savoir si nous sommes entré dans une phase de généralisation de l’épidémie en Russie, ou si l’on est toujours dans une épidémie de « groupes à risques »… la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. du VIH est très élevée chez les usagers de drogues des grandes villes, mais il y a actuellement une diffusion épidémique vers les partenaires sexuels des usagers de drogues, et chez les partenaires de ceux-ci… En fédération de Russie, en 2017, les usagers de drogues « actifs » ne représentent « que » 27% de la prévalence, contre 39% aux anciens usagers, 10% de SMS, 1% de prostituées… mais 23% de partenaires sexuels des populations clés?. Si l’n regarde l’incidence 2017, la part des « partenaires sexuels » des populations clés représente près d’un quart des 23% des nouvelles infections (l’usage actif de drogue injectable représentant toujours près de 40% de l’incidence).
Accès aux services pour les MSM en Afrique: on estime qu’en Afrique subsaharienne seulement 7,9% des MSM VIH+ ont une CV indétectable, en grande partie liée à l’absence de dépistage ou à l’absence de recours aux soins. C’est au Kenya que la part de MSM dans l’épidémie paraît la plus importante en Afrique, avec un peu plus de 15M% des cas. Au Sénégal, la part des MSM dans la « fraction attribuable » de l’épidémie augment de façon importante au cours des 20 dernières années, la diffusion de l’épidémie se faisant en partie à partir de ce réservoir qui a plutôt tendance à augmenter, par manque de programme de prvention ciblé et du fait de la stigmatisation persistante.
Les communautés indigènes sont particulièrement touchées à travers le monde : que ce soient les indiens du Saskatchewan ou les aborigènes d’Australie, les déterminants sociaux sont eu premier plan pour expliquer l’augmentation de l’incidence (désocialisation, alcoolisation, racisme, mise à l’écart des programmes de prévention…).
Chez les indiens d’Amériques du Sud, il existe des signes inquiétants de progression épidémiques; au Venezuala, ou la situation sanitaire est actuellement catastrophique, une étude de prévalence chez les indiens Warao retrouve un chiffre proche de 10%.
Chez les travailleuses du sexe en Afrique du Sud, la prévalence du VIH est de l’ordre de 30%, mais elle peut atteindre plus de 50% dans des pays comme le Malawi. La fraction attribuable des infections liés à la prostitution est importante, non pas tant par la prévalence chez les prostituées elle-même (mais qui sont peu nombreuses) mais par le modèle de diffusion dans la population générale à partir des clients des prostituées (Mishra et al. Annals of epidemiology 2016)
En conclusion, l’orateur suggère de sortir de la notion de « population générale » qui est peu adaptée dans le domaine du VIH, les dynamiques épidémiques étant très particulières
(NDR : dans des modèles « d’épidémies généralisée », il est étonnant de voir à quel point , quand on étudie les phénomènes épidémiques en profondeur et sur le long terme, le rôle du travail du sexe, des rapports transactionnels ou des MSM est essentiels, d’où l’importance de se consacrer aux « populations clés »).
Les innovations concernant le VIH et l’usage de produit
A.Deryabina, ICAP at Columbia University, Kazakhstan – O.Stryzhak, Positive Women, Ukraine
250 millions de personnes utilisent des drogues (hors alcool et tabac) dans le monde, 12-13 millions ont des pratiques d’injection (UDI), et 1,7 millions d’entre elles vivent avec le VIH. Lorsque l’on a des pratiques d’injections, le risque d’acquisition du VIH augmente d’un facteur 24. Les personnes infectées par le VIH et injecteurs de drogues sont également plus à risque d’immunosuppression (par un effet propre aux opioïdes)et dans la plupart des pays, ces pratiques sont associées à un moindre accès aux soins et à un faible taux de rétention. Ceci amène à constate des différences à tous les stades de la cascade de prise en charge (graphe).
Plus récemment, l’utilisation du chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. (Pakainathan et al. HIV Medecine 2018) est venue perturbé le paysage habituel des dogues injectables, avec des produits moins chers, plus addictifs et générateurs d’un grand nombre d’injections.
Il faut pouvoir proposer des méthodes modernes et adaptées pour dépister, traiter et améliorer la qualité de vie des personnes concernées : de nouveaux modèles de dépistage autour des cas index permettent de beaucoup mieux dépister les cas à risque; l’autotest est également une façon d’améliorer le dépistage précoce. Des programmes de passage d’infirmières à domicile chez les UDI en Asie centrale montrent de meilleurs résultats que chez des non UDI ne bénéficiant pas du programme. Les traitements de substitution sont également un pilier de la prise en charge et l’intégration des services VIH et substitution est essentielle pour obtenir une qualité de prise en charge maintenue sur le long terme (Springer et al. ann int med 2018).
La PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. pourrait être une solution intéressante chez les UID avec des résultats préliminaires intéressants (Choopanya et al. Lancet 2013), bien que l’observance puisse être un challenge.
La Russie, qui compte 1,9 millions d’UID et 40% de VIH parmi eux, n’a ni programme d’échange de seringues, ni programme de substitution…
Actuellement, plus de 100 milliard $ sont dépensés dans la lutte contre la drogue, alors que seulement 160 millions $ sont consacrés à la réduction de risque… Consacré 7,5% des ressources de la lutte contre la drogue à la réduction de risque permettrait de couvrir l’essentiel des besoins et de réduire l’incidence de plus de 90%. Les nouvelles substances psychoactives utilisées doivent amener à revoir en partie les programmes de réduction de risque : la substitution y est inefficace et le nombre de seringues nécessaire peut être très élevé du fait de la répétition des injections…
Intégrer la réalité scientifique concernant le VIH dans le système judiciaire : Changer des vies
A. Maleche, KELIN, Kenya; R.Suttle, The Sero Project, United States
La criminalisation du VIH peut se retrouver dans les textes directement ou indirectement; parmi les faits criminalisés, on retrouve le plus souvent la non-information des partenaires et la transmission. Il n’y a pas de bases scientifiques dans la mise en place de ces lois, mais seulement de la peur et du manque d’information. Dans la loi Kenyane, l’information du partenaire était obligatoire et reposait entièrement sur les épaules de la personne VIH+; le travail des militants des droits des personnes séropositives devant la cours constitutionnelle a permis un retrait de cette loi, jugée anticonstitutionnelle… De nombreux pays sont revenus sur leurs lois discriminatoires.
L’orateur a insisté sur l’importance des médias… l’Ouganda qui dispose d’une presse trash assez puissante, à l’image des tabloïds anglais, a monté en épingle une histoire de possible transmission du VIH par une infirmière VIH + et militante des PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH suite à une un accident d’injection à un enfant : elle a été condamnée pour tentative de meurtre (alors même que l’enfant n’avait pas été infecté, finalement reconverti en 5 mois ferme (ce qu’elle avait déjà fait lors du jugement en appel), mais sans remise en cause sur le fonds de l’accusation. De la même façon, un homme ayant mordu un policier au Kenya, testé contre son gré est en cours de jugement pour « tentative de meurtre sur un agent de la force publique » car la sérologieSérologie Étude des sérums pour déterminer la présence d’anticorps dirigés contre des antigènes. s’était avérée positive.
Le projet SERO (www.seroproject.com) est une ONG américaine d’aide aux personnes condamnées ou poursuivies du fait de leur séropositivité. Plusieurs américains (essentiellement noirs !) sont actuellement emprisonnés pour mise en danger de la vie d’autrui, y compris en l’absence de toute contamination prouvée, certains ayant été condamnés à des peines ≥ 30 ans. L’orateur a lui même été condamné à 6 mois de prison ferme dans le cadre d’une rupture un peu difficile ou son ex-partenaire l’a accusé de tentative d’agression via le VIH. Ce n’est pas tant la condamnation que le fait d’être ensuite inscrit au fichier des délinquants sexuels de Louisiane pour 15 ans qui entraine des difficultés sociales majeures : cela lui interdit la fréquentation des s écoles et les parcs, en cas de déménagement une annonce est faite dans les journaux et dans le voisinage pour annoncer l’arrivée d’un délinquant sexuel dans le quartier, les loueurs et employeurs ont accès à l’information… et c’est indiqué en gros sur le permis de conduire, qui sert de papier d’identité aux USA !!! La criminalisation entraine une stigmatisation sociale, une situation embarrassante dans les médias sociaux, rend les rencontres difficiles, soumet aux risques constant de poursuite a des effets sur la santé mentale.
L’orateur a rappelé la demande des ONG Etats-uniennes de lutte contre le VIH de déplacer la conférence 2020 ailleurs qu’aux USA, du fait des atteintes marquées aux droits des minorités et des personnes infectées par le VIH.
Elton John et le Duke of Sussex (Harry pour les intimes) ont profité de cette session pour annoncer le lancement de la coalition « MenStar », qui va essayer de cibler les hommes dans les campagnes d’information et de prévention en Afrique subsaharienne, notamment les plus jeunes par le biais de l’autotest (je me demandais bien pourquoi il y avait une trentaine de photographes assis devant moi avec d’immenses téléobjectifs depuis le début de la session…).
Le Dr Cédric Arvieux couvre la Conférence d’Amsterdam 2018 sur le site du Corevih-Bretagne. Nous reproduisons ce texte avec son aimable autorisation.