Swaps 103

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Swaps se veut une publication résolument tournée vers l’avenir tout en sacrifiant au nécessaire retour rétros- pectif sur l’histoire des drogues et de la RdR, dont Alexandre Marchant est un de nos aiguillons (voir p. 11). Cette livraison de Swaps —un peu tardive pour cause de mobilisation éditoriale sur d’autres fronts qui, à défaut d’être excusable, sera compréhensible pour le lecteur— fait le point, mais ce n’est qu’une saison 1, sur le passé des «communautés thérapeutiques», dont le Patriarche de feu Lucien Engelmajer est une figure de proue. Le gourou décédé à Bélize, son lieu d’exil et de fuite, cette minuscule monarchie du Commonwealth en Amérique centrale, dont la devise prophétique est Sub umbra floreo (je fleuris à l’ombre) avait été, rappelons-le, condamné avec d’autres prévenus par le tribunal correctionnel de Toulouse à cinq ans de prison et 375000 euros d’amende en 2007 pour «abus de faiblesse», «abus de confiance», «recel», «blanchiment d’argent» et «abus de biens sociaux».

La MILDT a relancé en 2006, sous l’impulsion de Didier Jayle, notre directeur de la publication, l’ouverture de nouvelles communautés thérapeutiques, démocratiques, non sans faire face à l’opposition d’une partie des professionnels, réticents à la dimension collective du processus de mise à distance de l’addiction. Quelques années plus tard, un avis d’experts mené par l’OFDT, a permis de faire ressortir des consensus professionnels sur un possible retour de ces structures dans un cadre plus formalisé quant aux modalités d’admission, d’encadrement et d’accompagnement personnalisé jusqu’au-delà de la sortie. Avec comme objectif que ces «communautés thérapeutiques» cessent, par leurs dérives sectaires, d’alimenter le travail des services de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Toujours au registre de l’avenir visité avec un œil dans le rétroviseur, Michel Gandilhon (voir p. 5) s’est penché sur les suites des référendums de 2012 des États du Colorado et de Washington qui approuvaient la production et la commercialisation du cannabis non médical. Ces scrutins historiques, synonymes de légalisation, allaient lancer une onde de choc à l’échelle des États-Unis et du monde, ébranlant le paradigme prohibitionniste. Une onde de choc qui a récemment atteint l’Allemagne (voir p. 2), où le gouvernement fédéral s’est mis d’accord le 26 octobre autour d’un cadre de légalisation du cannabis à usage récréatif. Suite à un processus de consultation approfondi lancé en mai dernier, le projet de loi vise à placer la production et le commerce du produit sous «contrôle public».

Enfin, pour celles et ceux qui ne sont pas encore convaincus que la crise sanitaire, le contexte de tension politique internationale troublé par les conflits armés et les enjeux politiques nationaux accentuent la guerre à la drogue et invisibilisent les politiques de RdR, on se rapportera aux chiffres et à la loi des grands nombres (voir p. 26) avec le World Drug Report 2022 (WDR) qui présente un aperçu des tendances actuelles sur les marchés mondiaux des drogues. En y intégrant les dernières infos sur les usages, la production et le trafic. Selon le WDR, en 2020, environ 284 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans faisaient usage de drogues dans le monde, soit plus 26% par rapport à la décennie précédente. Globalement, on évalue à 11,2 millions les injecteurs, dont la moitié est porteuse du VHC, 1,4 million du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et 1,2 million des deux.

L’exemple type de l’impact d’un conflit sur la RdR et le soin des usagers est l’Ukraine. Avant la guerre, l’Ukraine était le deuxième pays le plus touché par l’épidémie de VIH/sida en Europe de l’Est et Asie centrale, après la Russie. Quelque 18000 personnes recevaient de la méthadone ou de la buprénorphine pour traiter une dépendance aux opiacés. Que sont-ils devenus? On se souviendra que le 25 février Vladimir Poutine décrivait ainsi les autorités ukrainiennes: «une clique de toxicomanes et de néonazis. En qualifiant les Ukrainiens de «Narkoman», Poutine était cohérent avec les positions russes en matière de drogue depuis deux décennies: drogue = mal = sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. = Occident. De ce point de vue, la guerre à l’Ukraine est aussi une guerre à la drogue. Et il est fort à craindre que l’Ukraine perde, après ces mois de guerre, vingt années de progrès portés par les fonds mondiaux et les associations communautaires.

Gilles Pialoux