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Numéro spécial Washington 2012 — « A la progression déconcertante de l’épidémie, il nous faut opposer le qui-vive, la capacité de réorienter sans cesse nos réponses, nos stratégies* ». Jamais cette ligne directrice, qui est celle des numéros spéciaux Transcriptases/ANRS n’a été plus réaliste que lors de la conférence de Washington. En atteste le message vidéo du président Hollande, livré en séance plénière et qui interpelle ainsi la communauté internationale : « Arrêter l’épidémie de sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. dans le monde c’est possible. D’abord, en faisant travailler ensemble les milieux de santé, les organisations internationales, les associations de lutte contre le sida et les organisations non gouvernementales. (…) Dans un contexte, je le sais difficile, a conclu le président de la République, sur le plan économique, sur le plan financier, l’engagement des Etats et des donateurs est indispensable. Mais c’est avec la jeunesse que nous gagnerons la bataille. C’est elle qui est la première victime de la maladie. C’est donc avec elle que nous cultivons l’espoir de la faire reculer. »
Ces numéros spéciaux nous ont fait voyager, tant géographiquement, et ce, depuis 1994 (Yokohama, Vancouver, Genève, Durban, Barcelone, Bangkok, Toronto, Mexico et Vienne) que dans les concepts jusqu’au « turning the tide together » [« Inverser le cours de l’épidémie, tous ensemble »], leitmotiv accroché au fronton de cette 19e Conférence internationale sur le sida, sise en terre nord-américaine. Ce nouveau numéro bicéphale est disponible en format papier, mais aussi en ligne (www.VIH.org et www.anrs.fr) et vient compléter, avec la distance – et le… temps – nécessaire à l’analyse critique et à la mise en perspectives, les informations distillées lors de la Conférence sur ces deux sites.
Le présent numéro reflète combien la Conférence a pris en compte tous les acteurs : personnes atteintes, milieux associatifs, acteurs de santé, scientifiques et politiques auxquels se réfère, précisément, le « together ». Comme le souligne Bruno Spire (page 56), c’est bien cette approche multidisciplaire, omniprésente à la conférence de Washington, qui doit mobiliser les politiques et qui a aussi caractérisé le discours de Françoise Barré-Sinoussi, nouvelle présidente de l’Interna-tional Aids Society (IAS). En atteste son rappel non exhaustif à l’inacceptable en matière de sida : « En 2012, il est inacceptable que plus de 300 000 bébés naissent infectés par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. alors que nous avons, depuis les années 1990, les moyens de prévenir la transmission mère-enfant. Il est inacceptable que les stratégies de réduction des risques, y compris les programmes d’échange de seringues, ne soient pas appliquées partout, quand on sait qu’elles sont parmi les interventions les plus efficaces et les plus valables scientifiquement pour prévenir l’infection VIH chez les consommateurs de drogues injectables. Il est inacceptable que les droits de propriété intellectuelle entravent l’accès aux médicaments abordables de haute qualité et aux outils de diagnostic dans les pays à ressources limitées. »
Avant la conférence proprement dite, il y eut l’initiative « Cure » de l’IAS, avec la signature à Washington d’un accord ANRS/NIH marqué par la forte participation européenne et particulièrement française. Un document résume les « Towards an HIV Cure, people focused science driven » en sept parties : les mécanismes cellulaires et viraux de la persistance virale, l’analyse des modèles animaux et des modélisations pour comprendre cette persistance virale, le rôle de l’activation immune et de ses dysfonctionnements dans cette persistance virale, explorer les modèles SIV/HIV pour contrecarrer cette latence virale, développer des marqueurs de latence virale, rechercher des molécules antilatence et proéradication, développer des modèles de stimulation immune pour contrôler cette virémie résiduelle. Un engouement qui a cependant trouvé sa modération scientifique dans les sessions dédiées de la Conférence puisque – déjà – on ne parle plus uniquement d’un modèle de « cure » mais de deux : celui de « l’éradication » pure et dure, sans rétroplanning fixable et celui, plus modeste, de la « rémission » ou de la « guérison fonctionnelle », comme les patients controleurs du VIH ou ceux de la cohorte ANRS Visconti.
La conférence de l’IAS, Aids 2012, s’est quant à elle ouverte – et refermée – sur un double constat : l’Amérique, organisatrice de la Conférence de Washington, est avant tout une Amérique qui communique et publie. Beaucoup. Mais aussi une Amérique à la traine pour la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (PLWA (pour Person Living With Aids)) avec une « cascade » de soins parmi les moins efficientes du monde avec 28 % seulement de personnes vivant avec le VIH avec une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. contrôlée, contre 58 % en France dans le travail de Virginie Supervie (FHDH) (lire l’article de Gilles Pialoux page 30). Et, second constat, cette conférence s’est avérée très politique. Pas seulement parce que les Etats-Unis étaient privés depuis plus de vingt ans de la possibilité d’organiser la Conférence mondiale, en raison des lois restrictives (« ban ») sur l’entrée des personnes séropositives sur le territoire américain. Sans un mot d’excuses politiques des organisateurs à adresser aux millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde. Mais surtout, parce que le politique est désormais l’invité obligé de ces réunions transdisciplinaires. A fortiori par ces temps de débats sur la couverture antirétrovirale Nord-Sud, sur l’éradication, le « test and treat », les politiques de dépistage et leur coût-efficacité, ou les nouveaux outils de prévention… C’était donc un signal fort de la France que deux ministres aient fait le voyage : Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé et Geneviève Fioraso, ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Deux ministres qui ont pu dialoguer avec les associations sur de nombreux thèmes liés au dépistage, à la prévention et à la prise en charge globale et rencontrer cliniciens et chercheurs à la soirée ANRS-Esther à l’Ambassade de France. Ce fut une conférence d’espoir mais aussi de progrés tangibles que nous avons pu mesurer tant dans les communications scientifiques que dans les déclarations politiques.
Jean-François Delfraissy, ANRS – Didier Jayle, Gilles Pialoux, Vih.org
* Extrait de l’éditorial du numéro spécial Yokohama (1994)