À défaut d’ouverture des salles elles-mêmes, un débat sur les salles de consommation supervisée s’est ouvert dès l’essor de la réduction des risques au milieu des années 1990… Cependant, en France, pays où la réduction des risques est inscrite dans la loi de santé publique, les salles de consommation constituent encore un débat éthique, comme le précise Élisabeth Avril dans cette nouvelle livraison de Swaps et aussi un débat politique et sociétal.
Pourtant, l’impulsion politique existe réellement puisque la ministre de la Santé, Marisol Touraine, espérait, en octobre 2012, annoncer le lancement des expérimentations pour la fin 2012 puis «dans le courant de l’année 2013» et avait confié à la présidente de la Mildt, Danièle Jourdain-Menninger, une mission technique et de faisabilité. Plusieurs projets municipaux ont émergé, dont celui probablement le plus avancé et discuté dans ces colonnes dans le 10e arrondissement de Paris sur le site de la gare du Nord et aussi un projet sur Marseille, Bordeaux et Strasbourg.
Élisabeth Avril entend maintenir le débat dans l’espace éthique social où s’oppose, pour elle, l’acceptation de se préoccuper des straté- gies de réduction des risques, qui tiennent compte des pratiques des individus et des lieux d’injection ou d’inhalation, avec la position «d’abandon des « addictés » à la loi du marché». Il n’en demeure pas moins que ce débat devient de plus en plus politique, qu’il concerne à la fois les riverains, la municipalité, la région, voire la nation. Le calendrier politique, avec les municipales de 2014, pourrait venir polluer les aspects techniques et pratiques des salles de consommation comme outils de réduction des risques.
Cette livraison de Swaps rappelle d’ailleurs que la légitimité des salles de consommation doit beaucoup à la concentration et aux rassemblements d’usagers de drogues dans certains quartiers apparus dès la fin des années 1970, comme l’illustre l’article historique d’Alexandre Marchant sur l’îlot Chalon, archétype du ghetto parisien de la drogue du début des années 1980. Il suffit de se rapporter à l’expertise collective de l’Inserm sur la réduction des risques de 2010 pour connaître le nombre d’évaluations d’ex- périences étrangères en matière de salles de consommation, que ce soit en Suisse où de telles salles existent depuis 1986, en Allemagne, en Australie, en Espagne et au Canada, notamment à Vancouver avec le projet «Insite» présenté ici par Pierre Chappard. Situation particulièrement pionnière en matière d’éthique de santé publique et de droit puisque la Cour suprême canadienne avait, en septembre 2012, ordonné à l’unanimité au ministre de la Santé fédéral de maintenir ouvert le centre d’injection supervisée de Vancouver. Jugement innovateur pour l’ouverture possible d’autres centres au Canada ! D’où un engouement pour cette salle d’injection, aujourd’hui victime de son succès et contrainte à l’expansion dans un contexte économique de crise. Une décision éthique qui peut faire rêver de ce côté de l’Atlantique.
> Ce dossier a été publié dans le n°68 de Swaps.