Recommandations — Le dépistage sauf avis contraire

De nouvelles recommandationspour un dépistage VIH élargi dans les lieux de soins sont présentées par les CDC et en préparation à l’OMS. Quels en sont les arguments et en quels points sont-elles discutées ?

Cet article a été publié dans le Transcriptases n°131.

Après plusieurs années consacrées à la construction d’un argumentaire et d’une démonstration épidémiologique aux Etats-Unis sur la nécessité de revoir le dispositif de dépistage du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont publié le 22 septembre 2006 leurs dernières recommandations en la matière1Branson BM, Handsfield HH, Lampe MA, et al. »Revised recommendations for HIV testing of adults, adolescents, and pregnant women in health-care settings » MMWR Recomm Rep, 2006, 55(RR-14), 1-17.

Celles-ci visent à étendre radicalement la pratique de tests VIH, non plus seulement aux groupes à risque et dans les zones de forte prévalence du pays, mais à toute la population adulte lors d’un recours aux soins.
Ces nouvelles orientations impliquent une simplification du déroulement du test, ouvrant en particulier la possibilité de s’affranchir d’un recueil de consentement préalable (sur la base d’une stratégie opt out) (voir encadré) et du counseling pré-test, jugés trop contraignants dans les circonstances d’un bilan de routine.
L’objectif général de ces recommandations est d’augmenter le dépistage de la population au travers des structures de soins, pour détecter plus précocement et identifier les personnes ignorant leur séropositivité. La démonstration s’articule assez logiquement autour de travaux menés ces trois dernières années montrant les bénéfices individuels et sociétaux attendus pour justifier l’extension du dépistage et son intégration en routine.

Les arguments des CDC

Les critères justifiant un dépistage généralisé
L’infection à VIH présente les caractéristiques d’une maladie justifiant un dépistage généralisé : c’est une maladie grave, détectable facilement, avec un coût raisonnable en regard du bénéfice, et dont le diagnostic précoce améliore la survie (progression moins rapide, et mortalité réduite), grâce aux traitements.

Le poids des diagnostics non faits
Environ un quart des séropositifs aux Etats-Unis ignorent leur statut. Or des estimations basées sur les changements de comportements des personnes une fois détectées séropositives indiquent qu’au moins 54% des nouvelles infections sexuelles sont transmises par ce quart de personnes non dépistées, soit 3,5 fois plus de transmissions parmi ces dernières que parmi les séropositifs connaissant leur statut2Marks G, Crepaz N, Janssen RS « Estimating sexual transmission of HIV from persons aware and unaware that they are infected with the virus in the USA » AIDS, 2006, 20(10), 1447-50.

Le manque d’efficacité du dépistage ciblé
Depuis les années 1980, la démographie de l’épidémie a changé, et les stratégies de dépistage basées sur l’évaluation de risque pour détecter les séropositifs ne suffisent plus3Jenkins TC, Gardner EM, Thrun MW, et al. « Risk-based human immunodeficiency virus (HIV) testing fails to detect the majority of HIV-infected persons in medical care Settings » Sex Transm Dis, 2006, 33(5), 329-33.

Des opportunités manquées
Si l’on reconstitue le parcours de soins des séropositifs avant que leur diagnostic ne soit posé, on peut observer qu’il comprend des contacts avec les structures de soins qui n’ont pas conduit à un dépistage suffisamment tôt4Liddicoat RV, Horton NJ, Urban R, et al. « Assessing missed opportunities for HIV testing in medical settings » J Gen Intern Med, 2004, 19(4), 349-56 . Parallèlement, une série d’études menées dans des services d’urgences de zones urbaines proposant un test en routine montre des taux de prévalence entre 1 et 3% parmi des consultants venant pour d’autres motifs que le VIH5Voluntary HIV testing as part of routine medical care-Massachusetts, 2002 MMWR, 2004, 53(24), 523-6. Dans ce contexte, différentes stratégies de délivrance du test étaient évaluées, et les CDC concluent qu’il est difficile d’obtenir un consentement écrit et d’administrer un counseling pré-test tout en dépistant largement dans les services de soins aigus.

Deux exemples de dépistage systématique efficace
Les stratégies préventives intégrant un dépistage systématique ont été efficaces. C’est le cas pour les dons de sang, pour lesquels le risque associé à la transfusion a été considérablement réduit grâce au screening. C’est également vrai pour l’incidence des transmissions verticales mère-enfant qui ont été réduites depuis l’instauration d’un test systématique (et l’utilisation de la zidovudine). Ces succès contrastent donc avec la prévention de la transmission sexuelle.

L’évaluation coût-efficacité
Une étude de Sanders et al. en 2005 (voir Transcriptases n° 120) montre que le rapport coût-efficacité d’un dépistage de routine dans les structures de soins, même quand la prévalence est faible, est acceptable – la prévalence étant dans l’étude la proportion d’infections à VIH non diagnostiquées dans la population. Le grand bénéfice attendu est dû au gain en termes de survie du dépistage précoce, et pourrait être encore majoré s’il incluait le gain en termes de transmissions secondaires évitées6Sanders GD, Bayoumi AM, Sundaram V, et al. « Cost-effectiveness of screening for HIV in the era of highly active antiretroviral therapy » N Engl J Med, 2005, 352(6), 570-85.

L’efficacité du counseling pré-test n’est pas totalement établie
Une méta-analyse de 27 études examinant les effets du counseling VIH accompagnant le dépistage a montré que les participants séropositifs réduisaient significativement leur pratique de rapports non protégés et augmentaient leur usage du préservatif. En revanche, les changements mesurés chez les participants testés négatifs étaient peu différents de ceux des personnes qui ne sont pas testées du tout7Weinhardt LS, Carey MP, Johnson BT, et al. « Effects of HIV counselling and testing on sexual risk behavior : a meta-analytic review of published research, 1985-1997 » Am J Public Health, 1999, 89(9), 1397-405.

Où le débat se situe ?

Au vu des recommandations des CDC, il semble y avoir consensus sur la nécessité d’élargir l’accès au dépistage, et l’on trouve peu d’opposition à considérer que la visite médicale ou le recours aux soins représente une opportunité pour réaliser plus de dépistages. En revanche le débat demeure sur les composantes de l’offre de dépistage et comment procéder : l’obtention du consentement (opt in, ou opt out sans consentement écrit), et le degré d’information ou counseling pré-test.

Le débat porte également sur la question de déterminer si les soignants doivent réaliser des tests dans des contextes où la prise en charge et les traitements antirétroviraux ne sont pas entièrement disponibles. En effets, dans le même mouvement de renouvellement des politiques de dépistage, l’OMS a émis récemment des propositions de recommandations concernant les soignants, ces propositions étant pour le moment en cours de consultation publique8WHO/UNAIDS Guidance on provider-initiated HIV testing and counselling in health facilities – Draft for public comment WHO/UNAIDS, 2006.

Le document de l’OMS diffère logiquement de celui des CDC par l’adaptation des recommandations aux différents contextes épidémiques (épidémie généralisée, concentrée ou faible). Mais il diffère surtout par l’attention portée aux conditions éthiques, au respect des droits des individus, et aux contextes de disponibilité des services de prévention, des traitements et des soins du VIH. Cependant, l’accès au traitement antirétroviral n’y est pas posé comme un préalable absolu à la mise en œuvre du dépistage et du conseil à l’initiative des soignants.

Le consentement n’est pas écrit

Dans les recommandations CDC, le recueil d’un consentement écrit est clairement abandonné. Le texte ne spécifie pas de quelle manière le consentement doit être recueilli, ni la façon dont les individus seront informés que le test leur sera prescrit. Aux yeux des opposants à ces recommandations, ceci laisse à penser que le consentement pourrait être seulement implicite9Grover A, Stegling C, Heywood M « Le test de routine pour le VIH : trois points de vue » Revue VIH/sida, droit et politiques, 2006, 11(2-3), 75-80 ; bien que les CDC mentionnent l’importance de respecter la volonté des personnes, certains craignent que ces recommandations conduisent à tester les patients sans leur consentement10Gostin LO « HIV screening in health care settings : public health and civil liberties in conflict ? » JAMA, 2006, 296(16), 2023-5 .

A l’inverse, parmi les promoteurs de cette stratégie, Bayer et Fairchild vont assez loin pour dire que « rendre plus difficile la possibilité de refuser [un test VIH] peut être justifié par des considérations de santé publique, notablement par les infections opportunistes évitables et la transmission aux partenaires sexuels ou d’usage de drogues injectables »11Bayer R, Fairchild AL « Changing the paradigm for HIV testing – the end of exceptionalism » N Engl J Med, 2006, 355(7), 647-9 .

Toutefois, en retournant l’argument qui veut que les soignants n’ont pas le temps de recueillir un consentement et d’administrer un counseling adéquat, certains auteurs mettent en doute la capacité de ces soignants à véritablement prendre en considération le droit de s’opposer du patient et les possibles conséquences négatives qu’il peut craindre à recevoir un résultat positif12Rennie S, Behets F »Desperately seeking targets : the ethics of routine HIV testing in low-income countries » . Or c’est précisément la garantie qui pourrait être réclamée à la stratégie opt out : que le patient ait un jugement éclairé et un véritable libre arbitre pour consentir comme pour s’opposer au test.

Fisher et al. soulignent le paradoxe qu’il peut y avoir à vouloir s’affranchir du consentement préalable : « Dans un contexte où la plupart des patients ont une multitude de formulaires à remplir lors de tout contact avec des soins de santé, il est ironique que le formulaire qui protège leur autonomie soit celui que des fournisseurs de soins de santé trouvent apparemment encombrant… »13Fisher AH, Hanssens C, Schulman DI « Les recommandations des CDC sur le test de routine pour le VIH : légalement, pas si routinières » Revue VIH/sida, droit et politiques, 2006, 11(2-3), 19-23 .

Les précisions de l’OMS

En se référant notamment à l’initiative du Botswana qui a mis en place au début 2004 une politique de dépistage de routine par les soignants14Steen TW, Seipone K, Gomez FD, et al. « Two and a Half Years of Routine HIV Testing in Botswana » JAIDS, 2007, l’OMS juge que la stratégie opt out augmente logiquement la couverture du dépistage et ne fait pas apparaître de problèmes majeurs en terme d’acceptabilité, de stigmatisation, de discrimination ou de violence8, mais souligne aussi qu’elle ne devient éthiquement acceptable qu’à certaines conditions. Dans un chapitre intitulé « Création d’un cadre favorable », les recommandations de l’OMS mettent en avant la considération d’une politique de soutien et un cadre juridique favorable comme préalables à la mise en place d’un dépistage de routine, visant notamment des recommandations pour obtenir un consentement éclairé, préserver la confidentialité et éviter la stigmatisation et la discrimination.

Pour donner encore un sens au libre arbitre dans une relation soignants-soignés, déséquilibrée par le statut social du médecin, la tendance à obéir à l’autorité et l’aspect normatif que donne cette stratégie opt out, l’OMS insiste sur la nécessité d’informer les patients que le refus n’impliquera pas de traitement défavorable ou différentiel de la part des soignants.

Counseling pré-test

Une autre question débattue est celle de l’abandon du counseling pré-test. Comme le soulignait Gilles Raguin dans ces colonnes, « le conseil et son bénéfice, indéniable, risquent de disparaître au profit d’un dépistage de masse, peu accompagné, peu pédagogique »15Raguin G « Politique VIH : changer de paradigme » Transcriptases, 2006, 125, 21-4 . D’autant que les recommandations des CDC n’incluent pas de procédure pour le counseling post-test et la prise en charge. Or en l’absence de counseling pré-test, dont l’une des fonctions est de préparer les personnes à un résultat positif, l’importance d’assurer un conseil adapté en cas de séropositivité est d’autant plus cruciale. Ainsi en pratique, par exemple, comment un service d’urgences pourra-t-il assurer un rendu de résultat et un counseling post-test adapté à des patients à qui il n’y a pas beaucoup de temps à consacrer, et qui ne sont habituellement pas suivis ? Cela passe peut-être par une plus grande utilisation des tests rapides qui permettent un rendu sur le champ des résultats16Spielberg F, Branson BM, Goldbaum GM, et al. « Overcoming barriers to HIV testing : preferences for new strategies among clients of a needle exchange, a sexually transmitted disease clinic, and sex venues for men who have sex with men » AIDS, 2003, 32(3), 318-27.

En pratique

Il reste à présent à voir comment ces recommandations vont être appliquées en pratique, et quels seront les premiers résultats produits. Plusieurs questions se posent au pays du Sud comme au pays du Nord.

Quel sera l’impact d’un dépistage de masse sur les besoins en termes de traitement et de prise en charge, et les moyens correspondants peuvent-ils être engagés17Richter M « Different models of HIV-testing – What are the considerations in South Africa ? » Johannesburg, AIDS Law Project, 2006 ? L’engagement des soignants pourra-t-il conduire à un problème de judiciarisation ? Des professionnels de santé ne proposant pas de test à une personne qui découvrira tard sa séropositivité avec les conséquences sur sa survie et la possibilité de transmission, peuvent-ils être mis en accusation ?

Enfin, on ne sait pas si les comportements d’un séropositif peuvent être influencés positivement lorsque celui-ci a été testé sans réelle volonté de l’être. Or, ce changement de comportements est un fondement du bénéfice du dépistage systématique dans la démonstration des CDC.

Le modèle du dépistage uniquement basé sur la responsabilisation, l’autonomie du patient et le counseling a bel et bien vécu. Et sa mise en cause est assez logique, compte tenu des résultats insuffisants que cette politique à elle seule a montrés, et de la plus grande disponibilité des traitements. Les arguments épidémiologiques sont assez forts pour considérer qu’il est urgent de dépister plus largement et efficacement. Pour autant, il est difficile d’affirmer que la volonté des individus est aussi bien garantie dans un dispositif où, pour exprimer leur choix, ils doivent s’opposer à la décision médicale. La question se pose tout particulièrement quand les conditions de protections légales et les garanties éthiques ne sont pas présentes, comme cela peut être le cas dans certains pays. Dans cette volonté de sortir de l’exceptionnalisme du VIH/sida, qui représente pour certains un frein à une gestion raisonnée de l’épidémie, une autre étape devrait être franchie par les recommandations concernant la notification au partenaire que les CDC s’apprêtent à publier dans les mois qui viennent.