Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool

Une expertise collective de l’Inserm portant sur la «réduction des dommages associés à la consommation d’alcool» est parue en juin 2021. Swaps peut se réjouir d’obtenir une réponse à une question posée dans son no 62, en 2011, lorsque l’Inserm avait réalisé son travail sur la RdR et avait semblé oublier la RdR alcool. Extraits résumés et commentaires par Pierre Polomeni, qui a participé à cette expertise.

Une expertise collective consiste à missionner environ douze experts pendant un à deux ans afin de réaliser un travail d’analyse bibliographique (3 600 documents identifiés en 2020) et une synthèse. Ce même type de travail, en 2010, portant sur les risques infectieux chez les usagers de drogues, avait largement contribué à la création des salles de consommations à moindre risque.

Dans le cadre de la stratégie gouvernementale de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, la Mildeca et le ministère en charge de la Santé ont sollicité l’Inserm pour la réalisation de cette expertise qui permet d’actualiser les connaissances scientifiques sur l’alcool, ses effets sur la santé, les niveaux et modalités d’usages associés à sa consommation en France ainsi que les stratégies de prévention efficaces1«Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool», InsermInserm Institut national de la recherche médicale. mai 2021. Un temps important s’est déroulé entre la commande et le rendu de la synthèse. Bien sûr, les conditions sanitaires ont ralenti le travail. Par ailleurs, on peut comprendre une difficile recherche d’équilibre entre les différents aspects couverts par la commande. En effet, en écho à des rapports européens récents ou à l’article du Lancet du 23 août 20182Alcohol use and burden for 195 countries and territories, 1990-2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016, The Lancet., le cœur de cible semblait devoir être un renforcement des recommandations de Santé publique France, et une défense de la loi Évin, largement attaquée ces dernières années. Au-delà de cette démarche politique et de santé publique, plusieurs autres aspects ont dû trouver leur place: une vision très large de la prévention, une analyse implacable du marketing des alcooliers, un expertise des interventions (dans le champ périnatal par exemple) et enfin des réflexions autour d’une RDRD3réduction des risques et des dommages «clinique», quotidienne, adaptée aux différentes personnes rencontrées… Ces aspects centrés sur l’usager, tel que son accompagnement «inconditionnel» sont traités de façon moins satisfaisante, du fait en particulier de l’écart entre les constats d’actions menées ici ou là, et les preuves d’efficacité de ces actions…

Notons que pour mieux organiser les interventions et évaluer leur efficacité, à partir de «l’Alcohol Use Disorder» du DSM-5, l’expertise a défini trois groupes : les consommateurs à faible risque, les consommateurs à risques, et les personnes dépendantes, chaque groupe relevant d’objectifs et d’actions spécifiques. Cette distinction est incontournable pour explorer les actions de RDRD.

En effet, on compte actuellement en France 42,8 millions de consommateurs d’alcool présentant des profils de consommation différents. Les niveaux de consommation en population générale et notamment chez les jeunes sont élevés, leurs conséquences sanitaires et sociales restent ainsi une préoccupation de premier plan pour les pouvoirs publics: mortalité et morbidité sont importantes, pour un coût social estimé à 120 milliards d’euros.

Le «French paradox» n’existe pas, il y a un risque dès le premier verre

La consommation d’alcool est la première cause d’hospitalisations en France. Les derniers chiffres de la mortalité attribuable à l’alcool sont ceux de 2015. Ils sont de 41 000 décès dont 30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes, soit respectivement 11% et 4% de la mortalité des adultes de quinze ans et plus. Ils comprennent 16 000 décès par cancers, 9 900 par maladies cardiovasculaires, 6 800 par maladies digestives, 5 400 pour une cause externe (accident ou suicide) et plus de 3 000 pour une autre maladie (maladies mentales, troubles du comportement, etc.).

Il existe une association statistiquement significative entre les ventes d’alcool et la mortalité liée aux cancers dans la plupart des pays et qui persiste après correction de la consommation de tabac.

Cette étude révèle que les niveaux de consommation faibles à modérés contribuent largement aux nouveaux cas de cancers en France en 2015 (Figure 1), en particulier du sein (alors que les niveaux de forte consommation contribuent au cancer du foie).

Figure 1 : Nouveaux cas de cancers en fonction du niveau de consommation chez les hommes et les femmes en 2015

Il est frappant de constater que la réduction de 10% de la consommation d’alcool aurait permis d’éviter 2178 nouveaux cancers [95% IC: 1687-2601] en 2015 en France.

Les effets «protecteurs» à la base du célèbre «French paradox» sont en fait dus à des problèmes méthodologiques et en particulier à la présence de nombreux facteurs de confusion. Des études utilisant de nouvelles méthodologies confirment que les courbes en «J» disparaissent et deviennent linéaires montrant ainsi l’absence d’effets «protecteurs».

Les recherches sur le seuil de consommation d’alcool à partir duquel un risque significatif de mortalité liée à l’alcool toute cause apparaît, convergent vers le seuil de dix verres par semaine (soit moins de 1,5 verre par jour).

Le niveau de consommation d’alcool pour lequel le risque de dommages est minimal est de zéro verre standard par semaine.

RDD = RDC (la réduction des dommages passe par la réduction des consommations)

Il existe un défaut majeur d’accès aux soins des patients dépendants à l’alcool, car seulement 10% d’entre eux bénéficieraient de soins addictologiques. Contrairement aux idées reçues, le déficit motivationnel à changer ses comportements vis-à-vis de l’alcool n’est pas la seule explication pour rendre compte de cette situation: ainsi, la moitié des patients passant aux urgences se rend à une consultation d’addictologie qui leur a été préconisée. De plus, il a été montré que la motivation aux soins se renforçait avec la sévérité du trouble. Notamment, lorsque la sévérité du trouble augmente, la probabilité d’évoquer le déni comme raison de non prise en charge diminue au profit d’autres raisons directement en lien avec des difficultés d’accès aux soins.

En parallèle, et en particulier pour faciliter l’accès aux soins, des objectifs de réduction de consommation –et non de sevrage– font la preuve de leur efficacité depuis les travaux de Linda et Mark Sobell en 19734Sobell MB, Sobell LC. Alcoholics treated by individualized behavior therapy: one year treatment outcome. Behav Res Ther 1973 ; 11 : 599-618.. La courbe ci-dessous (Figure 2) montre des bénéfices proportionnels à la baisse du nombre d’unités consommées (risque relatif 3 = 30%!).

Figure 2 : Risque relatif d’années de vie en bonne santé perdues (ajustement sur l’âge) en fonction de la consommation quotidienne d’alcool en 2016 et pour les deux sexes (d’après Griswold et coll., 2018).
La consommation d’alcool est exprimée en nombre de verres standard (10 g d’éthanol pur par verre).

La réduction des consommations est obtenue grâce à différentes techniques et des méthodes d’entretiens, ciblant en particulier la quantification précise des boissons absorbées, et la fixation d’objectifs réalistes, adaptés aux possibilités des personnes. Des médicaments peuvent être prescrits. Les usagers sont partie prenante de cette technique et de ces objectifs.

Pour cela, ils doivent être suffisamment informés de l’intérêt et des perspectives de la RDRD, et être accompagnés par des professionnels formés, et surtout, intéressés! De nombreuses publications notent l’absence d’engagement et les doutes des médecins.

L’accompagnement individuel permet aussi d’aborder en consultation les «manières de boire» tels que les horaires, les rituels… et de définir des projets individualisés. C’est une façon importante de réaliser des interventions de RDRD adaptées à la vie réelle, mais l’évaluation de leur efficacité, même si elle est constitutive de la RDRD, est complexe.

Une attention toute particulière devrait être accordée à l’annonce diagnostique.

Le lobbying impressionnant des alcooliers 

Les outils classiques du marketing (les 4 «P»: produit, prix, publicité, place – accès aux produits) sont mobilisés par les producteurs d’alcool pour inciter une cible large à acheter et à consommer leurs marques.

Des techniques commerciales spécifiques sont par ailleurs déployées pour toucher des profils particuliers de consommateurs : les jeunes, qui représentent l’avenir de la consommation d’alcool (ciblage avec des produits aromatisés, prix faible, vente à l’unité, publicité digitale, etc.), et les femmes, sous-consommatrices par rapport aux hommes (ciblage avec des produits légers en alcool, arômes fruités, soutien de causes féminines, etc.).

En France, il est estimé que les budgets publicitaires des marques d’alcool, qui ne représentent qu’une partie des dépenses marketing, s’élèvent à 454,6 millions d’euros en 2016. La très grande majorité des recherches résumées dans trois revues de la littérature révèle un lien positif et significatif entre l’exposition au marketing et à la publicité pour des produits alcooliques, les attitudes puis les comportements d’alcoolisation des jeunes (initiation pour les non buveurs, augmentation de consommation pour les jeunes buveurs). La prévention des dommages passe nécessairement par une réactivation de la loi Évin et le traçage avec information, de toutes les actions directes et indirectes des alcooliers.

Des grands axes de prévention

Ils se conçoivent en fonction des publics, des âges, des moments. Des campagnes d’information et/ou de sensibilisation sont régulièrement conduites. Le plus souvent, les concepteurs de ces campagnes tablent sur la modification de ce que les individus «ont dans la tête» (croyances, motivations, savoirs, attitudes) pour changer les opinions et comportements. Or, on sait, déjà depuis longtemps, que les résultats obtenus en matière de changements, notamment comportementaux, sont rarement satisfaisants lorsque les concepteurs de campagne tablent sur l’information et sur la persuasion. Même si cela ne signifie pas qu’informer ou argumenter ne sert à rien.

L’information et l’argumentation servent au fil du temps, à modifier les savoirs, les attitudes et à provoquer des prises de conscience.

De très nombreuses initiatives ont pu être recensées dans les différents pays. Par exemple, en matière d’interventions en milieu scolaire ou dans l’enseignement supérieur:

– Interventions génériques de développement des compétences psychosociales des élèves.
– Interventions de développement des compétences des élèves ciblées sur la réduction des conséquences négatives liés à la consommation d’alcool.
– Interventions de prévention des comportements problématiques des élèves en classe.
– Accompagnées ou non par des interventions auprès des parents et familles (intervention parentale précoce, renforcement des compétences familiales…)

Des interventions en milieu de travail ou des interventions à composantes ou milieux multiples (interventions communautaires par exemple), ont été analysées. L’expertise met en évidence les actions présentant des données avec un niveau de preuve suffisant.

Les bénéfices des défis «sans alcool» : une opportunité à saisir

Les forces des opérations du type Dry January sont multiples avec l’opportunité de ressentir tous les bienfaits de l’arrêt de la consommation, et de prendre conscience de son propre pouvoir à contrôler son comportement. Un objectif essentiel est de changer son comportement à long terme après avoir mieux appréhendé son rapport à la consommation d’alcool et la gestion de la pression sociale à consommer de l’alcool. Il s’agit donc d’expérimenter l’impact de l’abstinence sur son physique, son mental et la conscience de sa capacité au changement. La «contagion sociale» est un facteur clé de la réussite de ce type de campagne et de manière très intéressante, on peut noter que même si les participants qui s’inscrivent au Dry January ne réussissent pas le défi de l’abstinence pendant un mois, ils présentent eux aussi des effets bénéfiques à long terme.

Cette proposition de changement, en toute liberté et avec tous les aménagements possibles selon les envies et compétences des usagers, concerne essentiellement les consommateurs à faible risque ou à risque et n’est jamais une injonction à l’arrêt. Elle tente de faire contrepoids à la promotion de l’alcool qui nous envahit toute l’année5Christian Andreo, Christian Trémoyet, «Dry January et loi Évin ; quel rapport?», Swaps 98-99..

En consultation, un rapport coût-efficacité clairement établi

Si une consommation à risque ou problématique est détectée, une intervention brève est généralement proposée. Ce terme inclut différents types d’interventions durant lesquelles le clinicien donne des conseils et/ou une aide psychologique visant à faire comprendre les risques et les effets négatifs de la consommation et explore des manières de la diminuer. Les différents modèles partagent les mêmes fondements théoriques, c’est-à-dire les théories sociocognitives et motivationnelles et des modalités pratiques : elles sont conçues pour être effectuées lors de consultations régulières, qui durent de 5 à 15 minutes avec les médecins et, bien que de courte durée, elles peuvent être dispensées en une à cinq séances.

Accès aux soins et accompagnement

Cette expertise ne traite pas des médicaments, mais devait identifier toutes les interventions non médicamenteuses bénéfiques pour les consommateurs à risque (elles sont adaptées pour les patients dépendants).

L’activité sportive par exemple, très régulièrement utilisée dans les services spécialisés, agit peu sur le craving, mais a montré son utilité pour les aspects associés aux consommations (dépression, sédentarité, isolement…). Dans ces conditions, les niveaux de preuve sont suffisants pour la conseiller.

Les interventions utilisant Internet ou des applications sur un ordinateur ou un smartphone connaissent un développement quantitatif et qualitatif massif. Elles facilitent à l’évidence la diffusion d’informations et les possibilités de prévention et d’accompagnement. Les données sont positives en prévention secondaire (réduction de la consommation chez les consommateurs à risque). L’offre est large, mais les critères de qualité et donc d’efficacité ne sont pas définis. Les années qui viennent devront voir la systématisation de critères pour la conception et le suivi des applications ; par ailleurs, leur utilisation est à définir chez les patients dépendants.

Les groupes d’autosupport (Alcooliques anonymes par exemple) et la méthode des douze étapes, représentent un socle dans le traitement des addictions : les articles étudiant leur méthode et leur efficacité sont multiples. On note l’orientation d’une partie d’entre eux pour démontrer l’intérêt de la foi et des références divines; les autres insistant sur la solidarité, l’aide constante aux comportements de changements – s’apparentant alors à des techniques thérapeutiques, appliquées avec succès par des non professionnels. L’analyse sur le rôle de ces groupes doit en effet s’intéresser à la spiritualité, et dans le même temps, s’en émanciper: les supports des groupes sont «spirituels, informationnels, émotionnels, instrumentaux». Ces groupes, auxquels sont parfois associées les familles, agissent sur les sentiments, les capacités, les émotions des usagers, leur permettant dans un cadre de proches, de développer des visions positives d’eux-mêmes. Les associations d’usagers et les patients experts en France interviennent sur le même registre.

À l’inverse, les effectifs, la standardisation et donc la réplication des méthodes, la durée de suivi, sont le plus souvent très insuffisants pour permettre de conclure –à ce jour– à une efficacité constante et durable pour de nombreuses interventions. Les techniques de stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS et rTMS), l’acupuncture, le neurofeedback entrent dans ce cas.

Une RDRD sociale?

La RDRD présente des limites (femmes enceintes, pathologies graves évolutives, milieu du travail…). De plus, faire une promotion forte de la RDRD, au sens par exemple de l’acceptation de l’alcool – régulé – dans les lieux de soins, doit laisser la possibilité de proposer des espaces ou des lieux où les personnes demandeuses pourraient être «protégées» de l’alcool.

La RDRD présente aussi des extensions particulières pour certains publics (polydépendants, migrants, milieux «festifs», patients sans domicile…). Cette RDRD « sans conditions » est pratiquée en particulier dans les Caarud, les Csapa, les associations… autorisant une distinction entre des actions psychologiques et sociales et des actions centrées sur les dommages physiques ou psychiatriques des produits.

La RDRD est «transversale», et ce qu’on y propose doit être clair dans ses objectifs et réaliste dans ses résultats. La preuve fait partie des fondamentaux de la RDR depuis sa naissance, et tous nos efforts à «être avec l’autre» doivent être lus en fonction d’un bénéfice réel pour lui, qu’il soit donc addictologique, somatique, ou social. Pour l’ensemble des parcours de consommation, le contact avec un professionnel de premier recours est le premier objectif. La RDRD se conçoit comme une prévention –et des interventions– au cours et tout au long du comportement de consommation, ce qui implique des adaptations et des techniques différentes selon les temps de vie de l’usager (qu’il s’agisse d’un consommateur à risque avec ou sans dépendance). Ainsi, «la réduction des risques n’est pas anti abstinence ».

Étant donné qu’il est particulièrement difficile d’inscrire un patient sans domicile fixe dans des soins addictologiques tant l’observance est difficile, l’accès à un domicile devrait précéder la mise en place des soins addictologiques (modèle théorique du Housing First), plutôt que de considérer que l’accès au logement doit être conditionné au préalable à une bonne observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) des soins. L’accès au logement sans condition est à associer à un accompagnement intensif multidisciplinaire dans l’esprit d’une approche intégrative.

Chez certaines personnes marginalisées, sans hébergement, consommant par exemple des alcools non comestibles ou dans des conditions dangereuses, et étant dans l’incapacité de limiter leurs usages, le fait de créer ou de maintenir du lien et de prioriser la «mise à l’abri» amène à proposer de façon organisée (à l’image des MAP canadiens «managed alcohol program») des boissons dont la quantité, le type et les heures sont convenues. Cette RDRD n’évolue pas dans le champ de la réduction, mais bien dans l’aide à l’aménagement des consommations, dans une prévention des accidents liés à des alcoolisations dangereuses, chez une personne isolée par exemple. Les bénéfices évalués sont sociaux et non addictologiques, et ouvrent des perspectives d’interventions en pratique clinique de façon plus large («maintenir du lien»).

La dépendance à l’alcool nécessite donc des soins au long cours visant à prévenir les risques de rechute. Or, les soins visant à prévenir la rechute au décours de la phase initiale du traitement sont souvent insuffisants tant en intensité qu’en durée, avec des taux de rechute très élevés, vraisemblablement autour de 40% à 60% dans l’année.

Un enjeu majeur est donc l’amélioration de l’observance au long cours afin de prévenir la rechute. Pour les sujets qui y sont prêts, le sevrage thérapeutique de l’alcool permet de débuter un processus d’arrêt de l’usage complet et durable. En d’autres termes, il n’y a pas d’indication au sevrage dans les situations suivantes: absence de projet de soins au décours du sevrage, absence de désir du patient d’arrêter l’usage de l’alcool, détresse sociale, professionnelle ou émotionnelle actuelle, sans évaluation approfondie préalable des bénéfices attendus de la mise en place d’un sevrage dans ce contexte.

En effet, la balance bénéfice-risque à effectuer des sevrages itératifs sans projet d’arrêt de la consommation au décours n’est pas favorable.

En conclusion

Cette expertise génère plusieurs constats et donne envie d’aller «plus loin». L’alcool, contrairement au tabac, a gardé une image positive et une place majeure dans les comportements sociaux, en particulier chez les jeunes. Même s’il est clairement facilitateur social et source de plaisirs pour le plus grand nombre, sa consommation est «boostée» par une propagande intensive, à la fois large et ciblée, qui attaque systématiquement toute velléité de contrôle, et par ailleurs met en danger de très nombreux «abuseurs» ou ne pouvant plus réguler leur usage. La distinction doit donc être systématique entre consommateur à faible risque, à risque et dépendant, notion indispensable afin de définir les techniques utilisables.

Le premier axe de cette expertise est donc de dénoncer à nouveau les très importants moyens mis à la disposition de la vente, à tout prix, de l’alcool, sous toutes ses formes, à tout moment de la vie.

L’expertise rappelle par ailleurs, que comme le tabac, l’alcool entraîne beaucoup de dommages, de souffrances, médicales, psychologiques, sociétales. Le risque zéro n’existe pas, renvoyant chacun à sa conception du risque acceptable pour sa vie, sauf si la dépendance altère sa capacité de contrôle. Dans cette logique, elle rappelle les risques liés à toute consommation, et recommande de développer des contre-actions pour informer et prévenir en nommant les reculs dramatiques en termes d’effet de la Loi Évin.

Sur le plan du soin, «révolutionnant» les théories de l’abstinence comme seule voie, de nombreuses publications ou actions au niveau international montrent depuis vingt ans que la réduction des consommations permet de baisser les survenues de pathologies, voire d’atteindre une forme d’équilibre – variable selon les personnes et les moments. Elle est la meilleure réduction des risques et des dommages, pour la majorité des consommateurs à risques, tenant compte de leurs désirs et compétences. Leurs actions doivent se construire avec une bonne définition des objectifs et le respect de la preuve.

Pourtant, la lecture de cette expertise induit un certain niveau de déception ou de frustration, devant le constat du peu d’outils réellement efficaces dans la RDRD alcool (contrairement par exemple aux résultats positifs évidents de la disponibilité des seringues et des TSO…), et d’autre part devant le peu d’appropriation par les soignants (et leurs doutes…) des possibilités d’aide. Elle induit aussi, en creux des très nombreuses références, le manque d’imagination et de volonté collectives pour limiter efficacement les méfaits, rappelons-le, individuels et sociaux.

Nous insisterons pour conclure sur l’importance des publications qui font la promotion des rencontres entre soignants, associations et usagers, afin de naturaliser le regard sur «l’autre», de savoir entendre, de savoir proposer.