Prévention — La réduction des risques sexuels chez les gays australiens

La réduction des risques sexuels (RDR) divise les acteurs de prévention, entre ceux qui y voient une nouvelle voie de travail et ceux qui s’y opposent fermement. Une étude australienne1Article de Jin F, et al. , Unprotected anal intercourse, risk reduction behaviours, and subsequent HIV infection in a cohort of homosexual men. Aids 2009, 23:243-252 menée à Sydney dans la population gay, publiée dans AIDS, étudie les conséquences en matière d’infection au VIH de quatre stratégies de RDR. Les résultats de cette enquête, dont l’intérêt est souligné dans l’éditorial de AIDS2Frits van Griensven, Non condom use risk reduction behaviours: can they help to contain the srpead of HIV infection among men who have sexe with men ? AIDS 2009, 23:253–255 ouvrent de nombreuses pistes de discussion.



Emmanuel Chateau (Act Up-Paris) et Gabriel Girard (EHESS), filmés par Yagg, lors du Forum Interassociatif sur transmission sexuelle du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. organisé par le TRT-5, le 4/04/09.

[Cet article a été mis-à-jour le 9 mars 2008]

Cette étude est comparable à l’enquête française Presse gay dans la mesure où les données sont rétrospectives et s’appuient sur le déclaratif. Les adaptations des comportements sexuels ne sont pas des attitudes délibérés mais des comportements «reconstitués» par les chercheurs. Mais cette enquête présente l’intérêt supplémentaire de présenter les données d’un suivi sur plusieurs années.

Si on en croit les résultats de l’enquête, le risque est multiplié par 3 chez les hommes qui pratiquent au moins une stratégie de réduction de risques par rapport à ceux ne rapportant aucune prise de risque. Mais ce risque est multiplié par près de 11 chez ceux qui ne pratiquent aucune protection. Gabriel Girard (EHESS-CERMES) nous livre l’essentiel de cette étude.

Méthodologie

L’article s’appuie sur les résultats de l’enquête Health In Men, une cohorte d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes à Sydney en Australie. [La plupart des répondants (95%) se définissent comme gay ou homosexuel.]

Les répondants ont été recrutés entre 2001 et 2004, les données sur les comportements préventifs ont été recueillies lors d’entretiens annuels en face-à-face, complétés par un entretien téléphonique à 6 mois. L’étude a pris fin en 2007.

Les participants ont été recrutés entre 2001 et 2004, avec comme critères d’inclusion :

– Le fait d’avoir des relations homosexuelles dans les 5 dernières années,
– Le fait d’habiter Sydney ou de fréquenter le milieu homosexuel à Sydney,
– Le fait d’être séronégatif au moment d’entrer dans la cohorte.

Le recueil des données porte sur la protection (ou non) des pénétrations anales au cours des 6 mois précédant l’interview. Dans ce cadre, quatre stratégies de réduction des risques sont analysés dans l’étude (je précise que les définitions proposées sont celles élaborées par les chercheurs) : 

– Le «serosorting» (ou sérotriage): le fait d’avoir pratiqué uniquement des pénétrations anales non protégées (PANP) (insertives ou réceptives) au cours des 6 derniers mois avec des partenaires (stables ou occasionnels) désignés comme séronégatifs par les répondants. 
– La «sécurité négociée» dans le couple (qui correspond à la non protection dans le couple, protection à l’extérieur). Elle est considérée dans l’enquête comme une forme de sérotriage.
– Le «positionnement stratégique» : le fait d’avoir pratiqué uniquement des PANP insertives, avec des partenaires stables ou occasionnels, quelque soit leur statut sérologique, durant les 6 derniers mois.
– Le retrait avant éjaculation : le fait de n’avoir pas reçu de sperme dans le rectum lors des PANP réceptives durant les 6 derniers mois.

Résultats 

Au total, 1427 hommes ont participé à la cohorte, avec un âge médian de 35 ans.  Au cours de la période 2001-2004, 53 hommes sont devenus séropos (âge médian : 37 ans), soit une incidence de 0.78% personnes-années ! Il est à signaler que cette séroincidence est particulièrement basse au regard de celle issue des cohortes pré-vaccinales, que ce soit en Thaïlande, en Afrique du Sud, aux Etats Unis avec des chiffres variant entre 3 et 5.5% personnes-années (essais vaccinaux STEP par exemple, voir notre article : L’essai Step, un coup de semonce dans la recherche vaccinale anti-VIH).

Les résultats qui sont présentés dans l’article proviennent d’analyses croisées entre les comportements préventifs des hommes devenus séropositifs au cours du temps de l’enquête (avant la contamination), les comportements des hommes se protégeant toujours et les comportements des hommes toujours séronégatifs mettant en œuvre une ou des stratégies de RDR. 

Comportements sexuels et réduction des risques

Premier élément : au regard des résultats, la pénétration anale non protégée réceptive reste le principal mode transmission du VIH chez les gays. Dans l’enquête, 40% des répondants ont toujours eu des pénétrations anales protégées. Des PANP ont été rapportées par 60% des répondants. Mais dans 7% des cas seulement, elles n’étaient accompagnées d’aucune stratégie de RDR. 

Pour les hommes qui ont des stratégies de «sécurité négociée» et de «positionnement stratégique», les auteurs n’observent pas d’augmentation significative de l’incidence du VIH par rapport aux hommes qui pratiquent la pénétration anale toujours protégée. Par contre, les stratégies de «serosorting» et de «retrait» apparaissent moins efficientes. Dans l’enquête, le «serosorting» (hors de la sécurité négociée dans le couple) et le retrait sont associés avec des taux d’infection plus important que pour les hommes qui protègent toujours leurs pénétrations anales.  

Dans tous les cas, les quatre stratégies analysées sont associées avec une incidence du VIH que les auteurs qualifient d’«intermédiaire» entre les hommes pratiquant la pénétration toujours protégée, et les hommes pratiquant la pénétration non protégée sans aucune stratégie de RDR.  

«Serosorting» et dépistage

L’efficacité préventive du sérotriage entre séronégatifs est directement liée à la connaissance du statut sérologique du partenaire. C’est pourquoi, au vu des résultats de la cohorte, la sécurité négociée avec un partenaire stable reste plus «sûre» que le serosorting avec un ou des partenaires occasionnels. 

Les auteurs signalent cependant une spécificité des gays à Sydney : un niveau de dépistage et une connaissance de son statut exceptionnellement élevés. Il faut prendre en compte cet effet de contexte pour analyser la mise en oeuvre et la réussite relative des stratégies de sérotriage, notamment dans les relations stables.  

Pour les auteurs, l’enquête démontre clairement l’existence de stratégies efficientes de «positionnement stratégique», comme par exemple le fait être toujours actif lors des PANP. Mais ils constatent par ailleurs que 66% des répondants étaient circoncis, ce qui doit aussi être pris en compte pour apprécier cette efficience. 

Enfin, le «retrait» apparaît comme une stratégie moins fiable de RDR, même si lors des PANP réceptives avec des partenaires séropos, le risque d’infection VIH est moindre s’il n’y a pas éjaculation.

Les limites de l’enquête

En conclusion, les auteurs expliquent que les stratégies de RDR offre une protection «substantielle, mais non complète contre le VIH». Selon eux, l’incidence relativement basse dans la cohorte suggère que ces stratégies ont une efficacité avérée pour limiter la transmission du VIH à une échelle populationnelle. 

Cet article pose cependant un certain nombre de questions, qui soulignent les limites de l’enquête australienne. La faiblesse des effectifs de séropositifs (n=53) doit conduire à analyser ces résultats avec prudence. Les auteurs soulignent d’ailleurs leur faible significativité concernant certaines des «stratégies» mises en œuvre par les répondants (notamment le serosorting avec des partenaires occasionnels). Les résultats sont significatifs concernant le risque accru par la pratique du «retrait» avant éjaculation, au regard des autres pratiques de réduction des risques. De manière globale, si les hommes qui adoptent des pratique de réduction des risques ont trois fois plus de risque d’infection par rapport à ceux qui se protègent systématiquement, ils présentent significativement moins de risques d’infection que les hommes ne rapportant aucune stratégie de RDR. 

D’autre part, les auteurs ne différencient pas, dans l’analyse globale, les partenaires occasionnels et les partenaires stables. Une analyse plus fine, au vu des enjeux de connaissance du statut sérologique, serait ici nécessaire. Autre point «aveugle» : la présence ou non d’IST n’est pas discutée dans le cas des séroconversions, alors que l’on connaît leur impact sur les risques de transmission.

Enfin, la reconstruction des pratiques a posteriori en terme de «stratégie» reste discutable. On en peut en effet pas déterminer si les hommes interrogés ont consciemment mis en œuvre de telles pratiques. Cependant, et cette rigueur est à mettre au crédit des résultats de l’enquête, la définition des pratiques de RDR était exclusive : par exemple, si un homme rapportait des PANP insertives mais seulement une PANP réceptive au cours des 6 derniers mois, il n’était pas classifié comme pratiquant le «positionnement stratégique».