L’ANSM propose de mettre le cannabis thérapeutique à l’essai

Le comité scientifique spécialisé mis en place par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a tranché: il a rendu un avis favorable à la légalisation de l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques le 13 décembre. L’agence décidera des suites à donner à ces travaux.

Capture du site de l'ANSM.

En septembre dernier, l’ANSM a annoncé la création d’un comité scientifique spécialisé sur «l’évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France». Agnès Buzyn, ministre de la Santé, avait ouvert le débat en mai dernier en déclarant: «C’est peut-être un retard que la France a pris quant à la recherche et au développement du cannabis médical. D’autres pays l’ont fait. J’ai demandé aux différentes institutions qui évaluent les médicaments de me faire remonter l’état des connaissances sur le sujet, parce qu’il n’y a aucune raison d’exclure, sous prétexte que c’est du cannabis, une molécule qui peut être intéressante pour le traitement de certaines douleurs très invalidantes».

Le comité scientifique a procédé rapidement : au bout de trois auditions où un large consensus s’est dégagé, les dix membres du comité estiment «qu’il est pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique pour les patients dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques, médicamenteuses ou non, accessibles».

Les situations thérapeutiques retenues par les experts pour l’usage de cannabis à des fins médicales sont les suivantes:

  • les douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles;
  • certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes; 
  • les soins de support en oncologie;
  • les situations palliatives;
  • la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Le Comité souhaite qu’un suivi des patients traités soit mis en place sous forme d’un registre national pour assurer une évaluation de son bénéfice/risque, qu’une évaluation des effets indésirables soit régulièrement faite par les réseaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance, et que la recherche soit favorisée. Il préconise également une évolution de la législation, nécessaire pour préciser les canaux de production et de diffusion du cannabisplante autorisé à des fins médicales, selon la Fédération addiction. Et «considérant les risques pour la santé», il exclut la voie d’administration fumée pour le cannabis.

Un contexte favorable

Cet avis fait écho à celui rendu public le 26 novembre par le comité Éthique et Cancer. Saisi par une patiente sur le caractère «inéthique» de l’interdiction du cannabis dans un contexte thérapeutique, il a estimé ne pas pouvoir «identifier de raison de s’opposer à l’usage du cannabis par des malades qui disent en tirer un bénéfice, quand bien même ce bénéfice n’est pas démontré selon les méthodologies scientifiques les plus rigoureuses». Il appelait à un «encadrement» de l’accès par les autorités de santé, «afin d’apporter aux personnes malades les garanties nécessaires quant à la qualité, aux concentrations et aux modalités d’utilisation optimale du cannabis ou de ses substances actives». Un encadrement qui leur éviterait «de risquer des poursuites pénales du fait de leur consommation».

Une enquête de l’Ifop (pour Terra Nova EchoCitoyen, publiée le 11 juin 2018) a montré que 82 % des sondés sont favorables à l’usage du cannabis sur prescription médicale, 73 % sont convaincus du devoir de l’État dans le financement de la recherche sur les usages thérapeutiques du cannabis, et 62 % considèrent que le cannabis médical doit être enfin accessible sous toutes ses formes, voire remboursable par la Sécurité sociale. Selon l’OFDT, une vingtaine de pays européens, 12 pays hors UE et 29 États américains autorisent le cannabis thérapeutique sous des formes plus ou moins restrictives: «les règles d’autorisation médicale sont très variables d’un pays à l’autre, à la fois dans les indications médicales permettant la prescription, dans les formes de consommation autorisée (sous forme naturelle ou de synthèse) et dans l’autorisation de cultiver des plants de cannabis pour usage personnel à des fins thérapeutiques (personal medical use)»1Législations relatives à l’usage et à la détention de cannabis: définitions et état des lieux en Europe, OFDT 2016.

Réactions…

Pour le récent Groupe de recherche et d’études clinique sur les cannabinoïdes (Grecc), cet avis va dans le bon sens, même s’il est limité : les situations thérapeutiques listées sont trop restrictives et «généralement acceptées», alors que la communauté scientifique internationale relève des indications plus nombreuses, notamment les douleurs chroniques, l’augmentation de l’appétit et la diminution de la perte de poids associés au VIH/sida, certains états psychotiques, autisme, hyperactivité, etc. Plus largement, les auteurs estiment que l’avis néglige le droit à l’autothérapeutique, «déniant ainsi au citoyen le droit fondamental à exercer par lui-même une action positive sur sa santé». La création de fichiers de patients traités fait l’impasse sur les cohortes existantes, réunies dans les associations Principe actifs et l’Union Francophone pour les cannabinoïdes en Médecine, qui disposent d’un savoir expérientiel sur ces questions.

Fabienne Lopez, présidente de Principes actifs, pense ainsi qu’il est urgent d’attendre la suite des travaux… «Il y cinq ans, Marisol Touraine avait permis l’ouverture des études et l’accès aux médicaments à base de THC et de CBD… On attend toujours le Sativex dans les pharmacies ! Ce n’est pas l’ANSM qui impose le médicament, c’est la HAS et la Commission économique des produits de santé.» Auditionnée par le Comité scientifique,sonassociationaplaidépourl’arrêtdes poursuites judiciaires envers les auto-producteurs,sans obtenir de réponse. Par ailleurs,elle regrette que «personne ne parle de la mise à disposition du cannabis sous sa forme naturelle en pharmacie». Elle estime qu’il faudra également rembourser les médicaments à base de cannabis, au risque de voir les malades chroniques continuer à préférer l’autoproduction.