CROI 2018 — Symposium : PrEP, ça marche! Qu’est ce qu’on en fait?

Le Dr Cédric Arvieux est à la CROI 2018 et nous reproduisons ici, avec son aimable autorisation, ses chroniques publiées in extenso sur le site du COREVIH Bretagne.

105 THE INTERSECTION OF PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. AND SEXUALLY TRANSMITTED INFECTIONS
Julia A. Schillinger, CDC, Atlanta, GA, USA

La corrélation entre PrEP et ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  est parfois un peu houleuse, avec pas mal de controverses dans le domaine. Ce topo va tenter de clarifier les relations entre les deux en s’appuyant sur la littérature scientifique existante. Dans un premier temps, il faut regarder ce qui peut contribuer à augmenter le nombre de diagnostics d’IST réalisés, qui peut se segmenter en deux : l’augmentation de la détection (augmentation du screening, augmentation de la sensibilité des tests, plus de visites de contrôle, auto-test) d’une part, et l’augmentation de la transmission d’autre part. La première génère une fausse impression d’augmentation de l’incidence (plus de diagnostic pour un nombre d’infections stable) , la seconde implique une réelle augmentation de l’incidence.

Les recommandations spécifiques  des CDC pour lee screnning des IST chez les MSM remontent à 2002 et proposent une détection fréquente indépendamment de l’utilisation des préservatifs. Chez les hétéro, les recommandations sont focalisées chez les jeunes femmes et les femmes enceintes.

La PrEP est proposée aux personnes à risque, et notamment sur le fait d’avoir eu des IST ; une fois sous PrEP, la détection rapprochée des IST est recommandée.

Les CDC estiment qu’ 1.2 millions de personnes relèvent de la PrEP aux USA (à la fin de 2016, un peu moins de 100 000 personnes s’étaient engagées dans une PrEP à un moment ou un autre).

Alors que les diagnostics de VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. sont stables chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  les diagnostics d’autres IST augmentent, et bien avant le début de la PrEP. D’autres facteurs influent certainement cette augmentation des IST : Grindr (2009), l’Affordable Care Act (permettant aux jeunes adultes de bénéficier d’une couverture maladies) puis plus tard l’Obama care.

Chez les femmes, l’incidence des infections à Chlamydiae augmente discrètement, de même que celle de la syphilis.

En pratique, plusieurs facteurs peuvent avoir augmenté la détection des IST : l’affordable Care Act (ACA) a fait augmenter de 17 millions le nombre de personnes ayant une couverture maladie entre 2013 et 2016. Les technologies ont également évolué avec l’apparition de la PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. Le nombre de prélèvement aux Usa a augmenté de 160% entre 2013 et 2015 pour les détections rectales de C/T chez les hommes, et chez les femmes de 51% pour les détections urinaires/génitales.

La détection des IST au cours de la PrEP se fait en deux étapes : le diagnostic initial détecte les IST prévalentes, et les screenings ultérieurs les infections incidentes. La PrEP est un outil de controle des IST, permettant de les traiter et d’en limiter la diffusion (Jenness et al. CID 2017).

L’augmentation de la transmission sous PrEP existe-t’elle ? Il n’y a pas d’augmentation de l’incidence des IST chez les utilisateurs de PrEP (Molina et al. Lancet 2017 pour IPERGAY). La compensation du risque pourrait exister à deux niveaux, individuel et communautaire (« optimisme communautaire »), bien décrite par Holt et Murphy (American Journal of Public Health 2017). L’augmentation de la prise de risque est antérieure à l’arrivée de la PrEP est peut être plutôt en rapport avec un effet optimiste lié aux effets du TaSPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). et de la perception d’une moindre gravité et d’un moindre risque de contracter le VIH (Paz-Bailey AIDS 2016).

A partir de 2012-2013, on voit diminuer l’incidence du VIH chez les HSH dans plusieurs grandes viles des USA alors que l’incidence de la syphilis augmente, illustrant la aussi probablement une compensation de risque communautaire.

En pratique, on peut dire qu’il existe une probable augmentation de l’incidence des IST chez les HSH antérieure à la mise à disposition de la PrEP et multifactorielle. La PrEP a par contre induit un phénomène accru de diagnostic, de même que les innovations techniques des dernières années, mais les études épidémiologiques plaident plus pour un effet bénéfique de la PrEP sur les IST à moyen terme (détection et traitement plus précoce qu’en l’absence de PrEP).

106 IMPACT OF PrEP ON HIV INCIDENCE
Roel Coutinho, University Medical Center Utrecht, Utrecht, Netherlands

Dans une modélisation parue dans le Lanceet ID, la PrEP est cout-efficace en chez les HSH en Angleterre du fait de son impact important sur la réduction de la transmission (Cambiano et al. Lancet Inf Dis 2017). Pour aller plus loin, peut on envisager d’éliminer le VIH, en diminuant progressivement la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. Dans une modélisation en Hollande, (Rozhnova et al, submitted), l’élimination apparaît possible… mais après 125 ans d’utilisation active de la PrEP et de des ARV chez les personnes infectées !! Des communications au cours de ce congrès, nomment sur l’effet de la PrEp dans la région de Sydney en Australie montrent une rapide diminution de l’incidence (>30%). (Cette session des communications orales PrEP n’a pas pu être chroniquée et vous pouvez la voir en webcast).

Chez les usagers de drogue injectable (UDI), il y a très peu de données mais très peu de raisons que cela ne fonctionne pas, combiné aux autres interventions de réduction de risque. Des études anciennes montrent que l’utilisation d’une seule intervention (échange de seringues) n’est pas forcement efficace dans la réduction de risques chez les UDI alors que la participation à plusieurs valences du programme réduit l’incidence des infection VIH et VHC (Van den Berg et al. Addiction 2007).

Chez les migrants, la PrEP pourrait être efficace mais à une échelle très individuelle car les chaines de transmission sont très courtes, alors qu’elles peuvent être très longues chez les HSH.

En Afrique du Sud, (Meyer-Rath, congrès IAS 2017 de Paris) la modélisation d’une PrEP pour les sujets jeunes avec une couverture de 18% entraine un faible effet sur l’épidémie à moyen et long terme. Dans une zone hyper-endémique comme le Kwazulu-Natal (Blaizot et al. BMC infect Dis 2017), les résultats sont les mêmes avec un impact faible de la PrEP et un impact fort de la stratégie Test and Treat.
La PrEP nécessite de bonnes recommandations, les infrastructures médicales disponibles (au moins pour le lancement des programmes), un bon programme de suivi et de traitement des IST… et un bon suivi épidémiologique!

En conclusion, cibler les populations à plus haut risque avec une bonne couverture et un bon suivi est l’élément clé : dans les pays industrialisés, les HSH et UDI sont les cibles privilégiées, mais pour les migrants il n’y aura pas d’impact important sur l’épidémiologie au sein de leur communauté.

Dans les pays de haute prévalence, il y a peu de chance que la PrEP ait un effet majeur sur l’épidémie, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas la proposer à titre individuel (NDR : ce qui va être abordé avec beaucoup d’énergie dans la présentation suivante !)

107 FIVE CONTROVERSIES IN PrEP SCALE-UP
Linda-Gail Bekker, University of Cape Town, Cape Town, South Africa

Actuellement, environ 220 000 personnes sont sous PrEP dans le monde.  La PrEP fonctionne (de nombreuses études le prouvent) et elle est bien tolérée.

La toute première controverse est celle qui concerne les femmes africaines : la PrEP ne leur serait pas destinée, et de toute façon elles n’en voudraient pas… Les deux premiers essais africains chez les femmes (VOICE et FEM-PrEP)  avaient montré des résultats décevants, mais des essais ultérieurs on montré des résultats plus positifs. Et plus tard les essais RING et ASPIRE pour les anneaux vaginaux de dapivirine ont montré un certain niveau d’efficacité.  L’inobservance dans l’essai FEM-PrEp a été analysée a posteriori (Corneli et al. JAIDS 2016) et elle est très multifactorielle. Quand on sort des essais contre placébo, l’acceptabiilté paraît beaucoup plus importante.  La moindre efficacité est-elle liée également à la souche prédominante (sérotype C), aux charges virales élevées des partenaires, à la mauvaise pénétration du TDF, à la dysbiose ? La question de la diffusion génitale est probablement essentielle (Cotrell et al. JID 2016) est une PrEP journalière paraît absolument essentielle. Dans les modèles animaux, et notamment les modèles de traitement post exposition (TPE), on obtient un effet préventif dès les premières doses (qui sont par définition données après l’exposition), il n’est donc pas très logique de dire qu’il faut au moins 21 jours de PrEP chez les femmes pour être efficace… cette efficacité débute certainement beaucoup plus tôt. Dans l’essai ADAPT à Cape town (Bekker etal. Lancet HIV 2017) la forme journalière de PrEP est la plus privilégiée par les femmes, avec les meilleurs effets en terme de prévention.

La PrEP pourrait être utilisée pendant la grossesse dans les pays à très haute incidence (10/100 personnes années en Afrique du Sud), plusieurs études sont en cours (Nachega et al. JAIDS 2017). L’OMS propose que les femmes à haut risque d’acquisition du VIH soient sous PrEP et que celle-ci soit poursuivie pendant la grossesse, de même que pendant l’allaitement.

Chez les adolescents, il existe assez peu de données, si ce n’est que dans les études comme RING (anneau de dapivirine) le jeune âge et un fort facteur d’inobservance, mais ce n’est pas le cas dans l’essai ADAPT. Chez les jeunes HSH américains, on observe une diminution progressive de l’observance quand les visites s’espacent et il faut donc prévoir un suivi probablement renforcé et prolongé. L’essai HPTN 082 en cours en Afrique du Sud montre une très bonne observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) de la PrEP au cours de premiers mois… mais il faudra être vigilant sur la durée.

Concernant la tolérance, les essais TDF-2 et VOICE montrent essentiellement une diminution de le DMO qui reste modérée, et l’utilsation dela PrEP étant relativement limiitée dans le temps, cela a probablement peu d’impact en terme de santé.

En Afrique du Sud, la PrEP ciblée devrait être coût-efficace (notamment si à côté de cela on met en place des programmes « test and treat »), d’autant plus que la PrEP n’est pas « pour toute la vie » mais que le ciblage sur les 18-25 ans chez les femmes et un peu plus âgé chez les hommes., pour une période de 4 à 5 ans, paraît être le modèle qui va se dégager dans les années à venir.

108 TAKING THE LEAP IN PrEP SCALE-UP: A GOOD TYPE OF CHALLENGE
Nelly R. Mugo, Kenya Medical Research Institute, Nairobi, Kenya

Au Kenya, environ 13 000 personnes sont sous PrEP; la PrEp a été introduite dans les recommandations nationales en 2016, avec tout un travail de préparation entre 2016 et 2017 et une forte campagne de lancement promotionnelle en mai 2017, associé à une campagne d’auto-tests et une importante couverture médiatique. Un certain nombre de questions préalables ont du être répondues : qui peut délivrer la PrEP, à partir de quel âge peut on la prendre, dans quelles structures peut-on se procurer les médicaments, comment faire la décentralisation, notamment dans les zones à haute prévalence (les variation de prévalence sont très fortes entre les différentes régions du Kenya, avec une prévalence forte autour du lac Victoria). La « cible  » est assez vaste puisque 20% de la population a entre 15 et 24 ans et représente 51% des VIH+; l’incidence pendant la grossesse est élevée (3,8/100/personnes/années), et la communauté des pécheurs est très touchée : ces publics doivent pouvoir être considérés comme prioritaires, même si la PrEP s’adressent à tous ceux qui ont des facteurs de risque.

La délivrance a été simplifiée au maximum: une fiche d’évaluation du risque, une évaluation de la créatinine recommandée mais pas obligatoire pour ne pas retarder la mise sous traitement. Le nombre de personne sous PrEP est passé de 1000 en mai à 11 000 en décembre 2017. la PrEP est actuellement délivrée dans les sites en charge du VIH et des ARV, avec un focus important sur les couples sérodifférents. Mais d’autres sites (plannings familiaux, centres de santé) sont en cours de mobilisation, ainsi qu’une délivrance communautaire dans le projet DREAMS avec une forte mobilisation et l’utilisation des médias sociaux. Les centres privés sont aussi mis a contribution, puisqu’ils représentent 50% de l’offre de soins au Kenya.

Afin que la PrEP soit plus acceptable et plus largement prescrit, il faut savoir être « large » et ne pas forcement reproduire ce que l’on fait avec la ARV : pas de chasse au perdus de vue (on peut rentrer et sortir de la PrEP comme on le souhaite), une évaluation personnalisée du risque, une certaine souplesse dans les modalités de prise.

L’implication communautaire est particulièrement importante pour adapter les messages de publicité pour la PrEP et pour en faire une attitude positive; en ce sens le ciblage de la communication sur la  PrEP sur « les plus à risque » peut être contre productive, notamment si les personnes associe la PrEP à une mauvaise vie comme la prostitution. Le Kenya a pris le parti d’une communication adaptée, notamment pour faire passer le message que la PrEP est une forme d’empowerment pour les femmes.

La PrEP a réellement donner un «coup de fouet» aux programmes de prévention, que ce soit chez les femmes, les MSM, les couples sérodifférents… et la démédicalisation paraît être une des clés1NDR : cela nous donne à réfléchir sur notre approche très médico-centrée et sur la façon dont on pourrait rendre la PrEP plus accessible….