Naloxone par voie nasale, une nouvelle arme

La naloxone par voie nasale devrait bientôt bénéficier d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Laurène Collard revient sur le séminaire partenarial «Contextes, expériences et pratiques» organisé le 7 octobre 2015 à Paris.

La Fédération Addiction, l’APSEP, ELSA France, le RESPADD, Asud et Psychoactif, ont organisé un séminaire sur l’usage de la naloxone en addictologie, en France et en Europe. Après un tour d’horizon de la situation française et de la nature du médicament, trois professionnels européens sont venus présenter leur expérience et leurs manières de former les usagers. Ce temps d’échange a été suivi d’une session de formation à l’utilisation de ce médicament en cas de surdose, animée par un médecin membre du réseau danois Antidote. Pour en savoir plus: www.federationaddiction.fr

Fonctionnement du médicament

La naloxone est un antagoniste des opiacés qui fonctionne comme une antidote aux morphiniques et morphinomimétiques (héroïne, oxycodone, etc.). Administrée en cas de surdose, elle se fixe sur les récepteurs opioïdes et déplace les opiacés, empêchant donc leurs actions et leurs effets.

Commercialisé sous la marque Narcan®, le médicament se présente actuellement sous la forme d’une ampoule de 1ml (0,4 mg/ml) de classe 1. Il peut être administré par voie intraveineuse, en sous-cutanée, ou en intramusculaire ; un mode d’administration par voie nasale est actuellement à l’étude en dans différents pays. Les kits existants comme ceux testés permettent une administration relativement simple, qui doit s’accompagner d’une formation minimale aux premiers secours.

Cette simplicité d’utilisation et son délai d’action très rapide (de 30 secondes à 3 minutes suivant son mode d’administration, la quantité et la puissance des produits pris) en font une antidote très efficace, et donnent un aspect spectaculaire à son effet – la personne peut reprendre connaissance en quelques secondes. Sa durée d’action (45 minutes) étant inférieure à celle des morphiniques, de nouveaux symptômes de surdose peuvent réapparaître si les produits pris sont encore présents en trop grande quantité dans l’organisme. Enfin, l’effet antagoniste de la naloxone peut générer une sensation de manque, au risque d’une reprise trop rapide de produits. D’où la nécessité d’appeler les secours avant tout autre geste.

Contexte mondial et situation française

À l’échelle mondiale, 69 000 personnes meurent chaque année d’une overdose d’opioïdes. En Europe, ce chiffre est en hausse constante1Chiffres EMCDDA 2014 Rapport européen sur les drogues 2014 Tendances et évolutions. 2014. et les facteurs de risque de surdose (notamment en sortie de périodes de sevrage2Plusieurs recherches ont montré que «pendant les deux premières semaines après la sortie de prison, les anciens détenus ont 129 fois plus de risques de mourir d’une overdose de drogue que la population générale. Et l’Office des nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a publié des chiffres qui sont sensiblement les mêmes pour les personnes qui sortent des programmes de désintoxication.» tiré de l’article «Mise à disposition de naloxone pour prévenir les overdoses. De quoi avons nous peur?» du blog Un monde 100 drogues de Pierre Chappard et Jean-Pierre Couteron drogues.blog.lemonde.fr) sont documentés.

En France aujourd’hui, la naloxone ne peut être administrée que par un professionnel de santé, excluant un accès communautaire. Le groupe dédié aux traitements de substitution aux opiacés de l’ancienne Commission addictions recommandait dès 2008 une modification de l’AMM de la naloxone3Retrouver l’avis de la Comission addictions en ligne: http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_narcan.pdf. Puis le groupe «Traitements et réduction des risques» a repris ce dossier en vue d’obtenir une ATUATU Autorisation Temporaire d’Utilisation. Autorisation permettant aux malades d’avoir un accès précoce aux médicaments, avant ou hors AMM. Procédures souvent utilisée dans l'histoire du sida. Dans son article 8, la loi de santé votée en 2015 souligne l’utilité d’un accès au médicament de prévention des OD, permettant, dans les textes réglementaires qui suivront, d’envisager l’élargissement recommandé de ce médicament. Déjà longuement utilisée en médecine d’urgence4Coffin PO, Sullivan SD. Cost effectiveness of distributing naloxone to heroin user for lay overdose revesals, Ann Intern Med 1 januar 2013;158 (1):1-9. «Opioid overdose: preventing and reducing opioid overdose mortality» Discussion paper l’ONUDC /WHO, 2013 www.unodc.org/docs/treatment/overdose.pdf, la naloxone fait l’objet de plusieurs recommandations internationales5Depuis 2014, l’OMS recommande de permettre, par voie légale et tarifaire, l’élargissement de l’accès à la naloxone audelà des seuls services d’urgence, notamment sous une forme permettant aux personnes de l’avoir sur eux et à leur domicile. www.who.int/substance_abuse/en. Elle est déjà également utilisée et administrée par les usagers dans d’autres régions d’Europe, dont le Danemark, la Catalogne et l’Écosse, avec d’excellents résultats en termes de RdR, et de valorisation des savoirs expérientiels et des personnes.

En pratique: Danemark, Barcelone et écosse

Éléments de contexte

Au Danemark, c’est sur l’initiative du réseau de médecins «Antidote» que la naloxone a fait l’objet des premiers programmes de distribution. L’accent est surtout mis sur la formation des personnes consommatrices et sur la délivrance à grande échelle de kits de secours. Les médecins bénévoles du réseau vont à la rencontre des personnes consommatrices d’opiacés devant les salles de consommations, dans les consultations généralistes, dans les salles d’attente des centres spécialisés, et en équipe mobile sur les lieux de consommations et/ou de résidence des personnes.

Depuis les années 2000, face à des hausses records des décès par surdose6545 décès par surdose en 2009, soit le double des chiffres enregistrés en 2000. En 2011, on en recensait 584. Chiffres OMS 2014. www.who.int/substance_abuse/en www.who.int/features/2014/naloxone/fr, le gouvernement écossais a mis en place le programme «Take Home naloxone»7Pour se renseigner sur ce programme: www.naloxone.org.uk qui a permis de former des centaines de personnes susceptibles d’être témoins d’une overdose. En une année, la délivrance de kits dans la communauté à augmenté de près de 70%86 472 kits de naloxone ont été délivrés en 2013/14 contre 3 878 en 2012/13. Chiffres NHS et OMS 2014.. Ce programme a ciblé les personnes les plus à risque d’être témoins et/ou victimes d’OD. Depuis 2011 l’ensemble des prisons écossaises délivrent des kits de naloxone à la sortie d’incarcération, et les taux de décès par surdose suite à un sevrage baissent fortement9Chiffres NHS 2014..

Formation

Les médecins danois proposent des formations individuelles d’une demi-heure pour les usagers, et de deux heures et 30 minutes pour les professionnels10Autour d’une centaine d’usagers et 250 professionnels sont formés chaque année par le réseau.
Tobin KE et al. Evaluation of the staying alive programme: Training injection drug users to properly administer naloxone and save lives. Int J Drug Policy 2009;20:131-6.
Wheeler E et al. Opioid overdose preventing programs providing naloxone to laypersons – united states 2014. Morp Mortal Wkly Rep 2015;64:631-5.
Strang J et al. Overdose training and take home naloxone for opiate users: Prospectve cohortstudyofimpactonknowledge and aftude and subsequent management ofoverdoses.Addicton2008;103:1648-57.
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À Barcelone, les formations sont communes entre intervenants et usagers de la structure d’accompagnement et de supervision des consommations qui les pilote. Ces «ateliers» de 45 minutes sont organisés deux fois par mois pour un maximum de quatre usagers à chaque session.
À l’issue de ces formations, la personne reçoit une trousse comprenant une dose de naloxone et le matériel pour l’administrer, ainsi qu’un brevetattestantdesacapacitéofficielleàsauverdesvies.

Ce dernier joue aussi un rôle de valorisation de la personne et son intégration dans la société.

Réduire les risques au-delà de l’overdose – valorisation, insertion et échanges de savoirs

Ces lieux et ces temps d’échanges permettent également de redessiner le rapport entre l’usager, les intervenants et la population générale.

Avec un format prévu pour la valorisation des savoirs et un objectif de reconnaissance et de montée en responsabilité, ces formations vont au-delà d’une réduction pragmatique des décès, et permettent également de favoriser l’intégration des personnes dans la citoyenneté.

Parce qu’ils sont formés aux premiers secours, les usagers diplômés sont en mesure de répondre à une situation d’urgence, au-delà de l’overdose.
Celui qui était tour à tour malade ou délinquant dans l’imagerie sociétale se voit désormais reconnu dans sa capacité à sauver une vie, et à assumer des responsabilités.
Cet aspect de la formation à l’usage de naloxone en cas d’urgence est illustré de manière emblématique par la législation danoise. Celle-ci prévoit, au travers de la «Doctor’s aid Law», la possibilité pour un médecin de déléguer la compétence médicale pour un acte précis à un citoyen non formé à la médecine.

Cette délégation partielle du pouvoir médical passe par la remise d’un certificat, reconnaissant officiellement la compétence pour ce geste médical, à vie. Il est remis aux personnes formées à l’usage de la naloxone par les médecins du réseau Antidote.

Ces formations sont donc un véritable levier de responsabilisation des personnes, d’insertion sociale et de changement des représentations sur l’usage. Elles contribuent également à réduire les barrières entre intervenants de santé et consommateurs de drogues.

C’est le cas aussi à Barcelone, où les usagers apprennent aux intervenants qui les accompagnent les conditions favorisant la surdose de produits, en partageant leurs expériences au fil de la formation. C’est encore le cas à Glasgow, où la délivrance et la formation à l’usage de naloxone font partie de la pratique courante des médecins, qui partagent savoirs et compétences avec leurs patients.

Par ces deux aspects, la formation à la naloxone permet non seulement de sauver des vies ; elle favorise un mieux-être et va dans le sens d’une meilleure prise en compte de la citoyenneté des personnes.