Sevrage tabagique — E-cigarette: Le point de vue de l’État

Très mobilisé sur les politiques en matière d’addiction, aujourd’hui, Pascal Melihan-Cheinin est responsable d’une sous-direction où l’addiction demeure un sujet important avec bien d’autres. Comment l’état va répondre aux inquiétudes naturelles d’une partie importante de la population? Voici son intervention lors des 3e Rencontres sur la réduction des risques, organisées par la chaire d’addictologie du CNAM, la fédération Addiction, Aides et Vih.org/Swaps, en qualité de sous-directeur à la direction générale de la Santé (DGS).

Le rôle de l’état n’est pas le plus simple dans ce dossier: nous sommes confrontés à un phénomène émergent qui interroge également nos schémas de pensée, non seulement pour les professionnels de l’addictologie, mais aussi pour nous dont le métier est de concevoir des politiques de santé, en particulier sur la manière d’encadrer les activités qui peuvent avoir un impact sur la santé et les comportements.

Ce phénomène est récent, en effet. Les premiers signalements reçus sur la cigarette électronique datent de 2006. Depuis cette date jusqu’à aujourd’hui, les questions posées sont radicalement différentes. Jusqu’à une période récente, il s’agissait d’un phénomène encore limité. Dans des réunions européennes, certains états membres considéraient que la cigarette électronique devait être considérée comme un produit du tabac dont il fallait interdire l’usage en public, d’autres voulaient les classer comme médicament. En France, nous avancions de manière progressive en posant des questions. Ainsi, la recommandation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de 2011, qui recommande de solliciter une autorisation de mise sur le marché comme médicament suivant des seuils, apparaît comme une position assez sage avec le recul.

Il s’agit d’un produit nouveau qui ressemble à une cigarette, ce qui pousse à dire qu’il faudrait l’encadrer comme une cigarette. Mais la cigarette électronique n’est pas un produit du tabac. Par ailleurs, nombreux sont les témoignages faisant part d’un intérêt pour réduire le tabagisme; si quelques études présentent des résultats encourageants, aucune donnée suffisante pour que les autorités sanitaires puissent conclure clairement et recommander ce produit pour le sevrage tabagique. Nous restons donc à la recherche d’information. C’est pourquoi la Direction générale de la santé (DGS) a financé

le travail de l’OFT, qui a été un moment important dans l’histoire de la cigarette électronique dans notre pays. Depuis la parution de ce rapport, les connaissances ont progressé avec des articles sur les différentes études (américaine, tchèque, néozélandaise, etc.). Les recommandations du National Institute for Health and Care britannique sur la cigarette électronique de l’été 2013 montrent qu’il y a une insuffisance de connaissances sur le sujet et préconise d’utiliser les substituts nicotiniques en première intention. D’ailleurs, les recommandations françaises toutes récentes ne sont pas très éloignées de celles des Britanniques.

Ces dernières années, les ventes de cigarettes reculent, même en tenant compte du marché frontalier (80 à 90 % restent un marché domestique). Il y a eu un renchérissement des prix qui, dans le contexte économique actuel, joue beaucoup sur le consommateur que reste le fumeur. Ce dernier voit apparaître un produit de consommation courante qui fait sans doute écho et qui a un sens beaucoup plus puissant que de se dire «je suis malade, je vais dans une pharmacie ou je vais voir un médecin pour être soigné, pour me sevrer». Le fumeur reste, dans son acte de consommation, un consommateur avant d’être un malade. La question de la cigarette électronique a également mis en lumière les évolutions de nos modes de pensée. Nous sommes passés d’une époque où nos pensées pouvaient être régies par des ecclésiastiques, puis par des intellectuels, aujourd’hui, ce sont plutôt les bloggeurs avec un accès à la parole d’autant plus libre et facile qu’il est plus difficile de la contrôler.

Les questions fondamentales pour le ministère de la Santé

Pour le ministère de la Santé, en particulier la DGS, la question la plus immédiate reste celle de la sécurité sanitaire. Les autres intervenants de cette journée ont dû évoquer davantage la prévention des addictions, mais la question de sécurité sanitaire est très importante. Quelle est la sécurité de ces produits ? On entend dire que les produits de 2006 et ceux d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes, que tous les mois le paysage change. Or, nous, autorités sanitaires, nous n’avons pas, aujourd’hui, de photographie de ce marché qui permettrait vraiment de dire ce qu’il y a dans ces produits.

Il faudra sans doute prévoir des prescriptions techniques minimales, car il s’agit de manipulation d’un liquide riche en nicotine, et la question de la sécurité sanitaire reste donc importante, notamment pour les enfants. Nous sommes alertés très régulièrement sur l’empaquetage des médicaments, sur les blisters, etc.
La composition des produits constitue un des points essentiels pour pouvoir en appréhender la sécurité. Nous avons financé le laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), établissement public chargé des campagnes de «fumage», c’est-à-dire de fournir une analyse des produits du tabac à tous les fabricants de tabac pour vérifier le rendement potentiel, en goudrons notamment, et en nicotine. Le LNE est chargé par le ministère de la Santé d’étudier un panel important de cigarettes électroniques et leur composition pour améliorer notre compréhension du phénomène.

L’autre question est la place de la cigarette électronique par rapport aux médicaments d’aide à l’arrêt du tabac. Avec un coût social du tabac de 47 milliards d’euros, si on réduit la consommation de tabac, c’est toujours des gains à prendre. Le tabac contient du monoxyde de carbone, des goudrons. Les cigarettes électroniques ne contiennent pas ces substances. Certains disent même qu’il y a une absence de nocivité avec la cigarette électronique, mais nous ne disposons encore d’aucun élément tangible.
La question aussi très importante est celle de l’impact sur les jeunes. Les cigarettes électroniques, notamment à base de nicotine, pourraient-elles avoir constitué une initiation au tabagisme ? Si certaines études ont posé la question, nous n’avons pas encore de réponse. Le marketing, la richesse créative du produit pourraient avoir un impact en termes d’initiation. C’est la théorie de l’escalade, très forte dans beaucoup d’esprits et nous ne disposons d’aucun élément pour la contredire.
Toutes ces questions, que ce soit au niveau du législateur, national ou européen, nous amènent à apporter des réponses partielles, qui ne peuvent pas être définitives. Sans dévoiler l’intimité des négociations entre états, il y a eu des positions différentes au niveau européen. Ainsi sur la question fondamentale du statut e ces produits, certains états membres de l’Union européenne voulaient que les e-cigarettes soient considérées comme des médicaments. Portée par une minorité de nos partenaires européens, cette position aurait pu l’emporter. Celle de la France était très différente. En effet, dans certains états, les substituts nicotiniques sont vendus hors pharmacies. En France, nous ne pouvons déroger au monopole du pharmacien d’officine. L’impact sur l’accessibilité de ces produits aurait donc été énorme car ils n’auraient pu être vendus qu’en pharmacie.

Dans ce dialogue entre les gouvernements, la commission et le Parlement européen, avec son avis du 8 septembre 2013, ont émis une position qui a un sens : on interdit la publicité, on encourage l’interdiction de vente aux mineurs – sur ce point, Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, l’avait annoncé antérieurement à l’occasion de la journée mondiale sans tabac 2013 –, car ce produit peut être une incitation à l’initiation1Cette disposition a été introduite dans la loi no 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation..

Autre levier pour protéger les jeunes : l’interdiction de publicité; elle est prévue par le projet de directive. La ministre de la Santé a annoncé une circulaire pour réaffirmer des principes importants et éviter des dérives dont nous sommes témoins. Ainsi, la publicité pour la cigarette électronique ne doit pas encourager au tabagisme. Si ce n’est pas un médicament, on ne peut pas faire croire le contraire dans une publicité.

Le projet de directive européenne présente donc un équilibre raisonnable, avec un net renforcement de l’encadrement sans pour autant calquer totalement la législation en vigueur pour les produits du tabac.
L’administration doit également s’organiser pour améliorer nos connaissances sur plusieurs domaines, notamment sur l’importance du phénomène. La France dispose d’outils, qui sont les enquêtes de prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. en particulier le baromètre santé de l’INPES. On devrait, avant 2015, disposer de données échantillonnées, fiables. On disposera à ce moment-là d’une photographie complète de l’importance du phénomène, permettant de le décrire. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies questionnera les jeunes de 17 ans lors de sa prochaine enquête dont les résultats seront connus en 2015.

Enfin, pour l’addictologie, la cigarette électronique constitue un phénomène intéressant qui rappelle la théorie de la guérison spontanée. On n’en parle pas beaucoup mais, dans le champ des addictions, certains s’arrêtent par eux-mêmes sans l’aide d’un médecin.

Il est intéressant de réfléchir sur comment la cigarette électronique permet d’interroger nos conceptions en matière de prévention et de prise en charge des addictions.