Les recommandations d’experts pour la prise en charge des personnes infectées par le VHB ou le VHC en 2014

A l’occasion de la Journée nationale de lutte contre les hépatites du 19 mai 2014, l’ANRS et l’Association Française pour l’Etude du Foie (AFEF) ont présenté le premier «Rapport sur la prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B ou de l’hépatite C».

Demandée par la ministre en janvier 2013 à l’ANRS qui en a confié la réalisation à AFEF), la rédaction de ce document a été coordonnée par le Pr Daniel Dhumeaux (CHU Henri Mondor, Créteil, président du Comité de suivi et de prospective du plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012). Ce rapport a mobilisé 22 groupes d’experts autour de thèmes spécifiques. Un comité indépendant, composé de personnalités scientifiques et du monde associatif, a validé ces textes et assuré une synthèse sur chaque grand domaine. L’organisation est assez similaire à celle du Rapport Morlat sur le VIH et prend en compte de façon drastique les textes régissant les liens d’intérêts d’où l’absence de nombres de spécialistes reconnus de l’hépatite C ou B dans le corpus du groupe principal d’Experts.

Il est consultable en ligne sur les sites web du ministère des Affaires sociales et de la Santé, de l’ANRS et de l’AFEF.

Epidémiologie et populations exposées

C’est la première constatation du rapport, nous manquons de données récentes. Les chiffres donnés par l’Institut national de veille sanitaire datent de …2004. On estimait alors à environ 500 000 le nombre de personnes infectées en France par les virus de l’hépatite B (VHB) et de l’hépatite C (VHC). Transmis par le sang, et, principalement pour le VHB, par voie sexuelle et de la mère à l’enfant, ces virus sont responsables d’environ 4 000 décès par an. Lorsque ces infections ne sont pas dépistées ou traitées, elles risquent d’évoluer vers la cirrhose ou le cancer du foie.

En France, tout le monde n’est pas égal face aux risques de ces hépatites et le rapport insiste sur la nécessité d’un renforcement de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des personnes infectées soient rapidement mises en œuvre, notamment en direction des groupes de population parmi les plus vulnérables [usagers de drogues, migrants issus de zones d’endémicité élevée, personnes détenues, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH)] et de certains départements d’Outre-Mer.

La distribution inégale des hépatites B et C en France dans la population s’explique en partie par des caractéristiques sociales défavorables. Pour les experts, il est essentiel d’apprécier la situation de vulnérabilité sociale des personnes atteintes : Leur prise en charge ne peut se restreindre à la seule composante médicale. Elle doit être accompagnée de mesures sociales qui, pour être efficaces, doivent être pluridisciplinaires et adaptées : amélioration de la couverture médicale complémentaire de santé, droit au séjour pour raisons médicales, lutte contre les refus de soins.

Enfin, pour améliorer la prise en charge et parce qu’on peut parler d’inégalités territoriales face aux hépatites, il est aussi proposé de disposer de données régionales, actuellement fragmentaires, sur la situation épidémiologique et l’organisation des soins, données qui seraient régulièrement actualisées.

Usagers de drogues : réduire davantage les risques

L’usage de drogues par voie injectable est aujourd’hui à l’origine de la majorité des nouvelles contaminations par le VHC. Les usagers de drogues forment ainsi le groupe le plus lourdement touché et le principal «réservoir» de l’infection. Certains dans cette population sont plus à risque: les personnes en situation de précarité, les jeunes, les femmes, les migrants et les personnes détenues. C’est par le partage de seringues ou de petit matériel, et le plus souvent au début du parcours d’injection, que se produisent majoritairement les contaminations. De nouvelles approches de réduction des risques ont fait la preuve de leur efficacité pour diminuer les contaminations : traitements substitutifs aux opiacés (TSO), programmes d’échanges de seringue, lieux et nouveaux outils de « sécurisation » de l’injection et de la consommation…

Le rapport recommande de donner la priorité aux actions de santé publique, par la réduction des risques (RdR) et l’accès aux soins, par rapport aux actions de contrôle légal et de répression des usages de drogues.

Les dispositifs de sécurisation des injections doivent être diversifiés et développés : accompagnement et éducation aux risques ou encore salles de consommation à moindre risque.

Enfin, en milieu pénitentiaire, le dispositif de RdR existant à l’extérieur doit être disponible et de nouvelles mesures, comme le renforcement des interventions associatives et professionnelles, l’accès aux TSO ainsi que l’expérimentation de programmes d’échanges de seringues actuellement non-autorisés doivent être étudiées.

Augmenter le dépistage devant l’importance de l’épidémie cachée

Selon les dernières données épidémiologiques, environ la moitié des 300.000 personnes atteintes d’hépatite B et un tiers des 200.000 personnes atteintes d’hépatite C ignorent encore leur statut sérologique. Du fait des importantes avancées thérapeutiques, ces insuffisances dans le dépistage conduisent à une perte de chance inacceptable pour les personnes atteintes qui accèdent avec retard (ou pas du tout si elles sont maintenues dans l’ignorance de leur statut) aux traitements. Elles sont également potentiellement sources de nouvelles contaminations.

Le rapport insiste donc sur la nécessité d’augmenter le dépistage, en particulier – comme c’est discuté actuellement dans le cas du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. – auprès des hommes de 18 à 60 ans (4 à 5 fois plus touchés que les femmes par le VHB). Les experts proposent de proposer un dépistage des 3 virus,VHB, VHC et VIH, chez les hommes n’ayant jamais eu de dépistage de ces virus et qui consultent auprès d’un professionnel de santé, d’une structure offrant une possibilité de dépistage ou qui sont hospitalisé dans un établissement de santé.

Enfin, une autre recommandation est d’associer le dépistage du VHC, à celui du VHB et du VIH chez les femmes enceintes, lors de la première consultation prénatale.

Le rapport préconise également le recours aux tests d’orientation diagnostique (TROD), qui favorisent le dépistage des populations ne fréquentant pas (ou peu) les structures médicales classiques. Les TROD VHC viennent tout juste d’être évalués de façon positive; pour le VHB, le processus de décision suit son cours.

Enfin, Si le dépistage est négatif, une information sur les risques de contamination, en cas de poursuite de conduites à risque, doit être fournie et la vaccination contre le VHB proposée, en particulier par le médecin traitant, principal prescripteur aujourd’hui du dépistage.

Vacciner contre l’hépatite B

La politique vaccinale en vigueur en France depuis 1994 consiste à proposer la vaccination contre le VHB aux personnes à risque élevé d’exposition (soignants, multipartenaires sexuels, usagers de drogues, personnes venant de zones d’endémicité élevée…), aux nourrissons et aux adolescents jusqu’à l’âge de 15 ans.

Or, les taux de couverture vaccinale parmi ces populations sont insuffisants : le taux de couverture est inférieur à 50% chez les usagers de drogues ; il est compris entre 58 et 63% chez les HSH.Par ailleurs seulement 88% des médecins généralistes se déclarent vaccinés, alors que cette vaccination leur est obligatoire. La vaccination des professionnels de santé doit donc être renforcée.

Si la couverture vaccinale des nourrissons est en nette augmentation depuis 2008, celle des adolescents est gravement insuffisante, en raison de polémiques sur un lien supposé avec la survenue de sclérose en plaques et l’arrêt des campagnes de vaccination chez les enfants depuis 1998. La couverture vaccinale est ainsi passée dans ce groupe d’âge de 62% en 2000-2001 à 43% en 2008-2009. La suspicion d’un lien entre cette vaccination et la survenue de maladies démyélinisantes n’a pourtant pas été confirmée et ce, par de nombreuses études scientifiques. Les efforts de vaccination des nourrissons doivent donc être poursuivis, comme ceux auprès des adolescents, qui sont par ailleurs exposés par des pratiques de piercing et de tatouage.

Traiter grâce aux nouvelles molécules

Grâce à des combinaisons de nouvelles molécules à activité antivirale directe (et maintenant sans interféron), des taux très élevés de guérison de l’infection par le VHC sont obtenus, avec des durées de traitement courtes (3 mois) et très peu d’effets indésirables. Ces traitements conduisent à une éradication du virus et préviennent l’évolution vers la cirrhose. Chez les malades qui ont une cirrhose, ces nouveaux traitements permettent de diminuer le risque de cancer du foie et le recours à la transplantation hépatique.

Mais pour le traitement pour toutes et tous, il faudra attendre. Les modélisations et études coût-efficacité conduisent aujourd’hui à privilégier le traitement chez les patients ayant le risque plus élevé de progression de leur infection.

Le rapport suggère donc de traiter en priorité les patients ayant au moins une fibrose significative — stade de fibrose supérieur ou égal à F2 évalué par une biopsie du foie ou beaucoup plus souvent maintenant par des tests non invasifs— et, quel que soit le stade de fibrose, les patients ayant des manifestations extra-hépatiques ou en attente de transplantation, les femmes ayant un désir de grossesse, les usagers de drogues et les personnes détenues. Les experts estiment que ces patients représente environ 50% des personnes vivant avec un hépatite et déjà un coût potentiel de 7 milliards d’euros environ.

Daniel Dhumeaux l’a dit clairement : «Idéalement», il faudrait traiter tout le monde. Jean-François Delfraissy «rêve», comme tous les médecins, «d’éradiquer le virus». Mais aujourd’hui, en fonction des prix annoncés par les laboratoires, il semblerait que ce soit impossible. Avec des coûts estimés à 70 000 euros pour une combinaison de plusieurs molécules, le Pr Victor de Lédinghen, du CHU de Bordeaux, craint que, pour la première fois en France, on puisse refuser à un malade un traitement à cause de son coût.

Les avancées ont également été importantes dans le traitement de l’hépatite chronique B, avec

des agents qui assurent un contrôle très efficace de l’infection. Comme dans l’hépatite C, ces traitements réduisent le risque de cirrhose et probablement de carcinome hépatocellulaire. Leur inconvénient est la nécessité d’une administration prolongée, voire indéfinie. Le rapport souhaite donc la poursuite du développement et de l’évaluation de nouvelles combinaisons d’agents qui pourraient limiter la durée des traitements par les analogues nucléos(t)idiques, et le renforcement des recherches translationnelles (fondamentale et clinique) pour trouver des traitements curatifs (Towards an HBV Cure).

Comorbités

Enfin, rappelons que soigner les hépatites, ce n’est pas seulement éliminer le virus. Victor de Lédinghen insiste sur l’importance des co-morbidités chez les patients atteint d’hépatite virale Et la nécessité de les adresser. La cirrhose est multifactorielle et résulte des effets combinés de facteurs de risques, dont la consommation excessive d’alcool, qui reste la première cause de maladie grave du foie en France.

Le diabète, l’hypercholestérolémie, le VIH sont autant de facteurs de co-morbidité qu’il convient évidemment de rechercher et traiter dans le cadre de la prise en charge des hépatites virales.

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