Cannabis — «Non, l’Académie nationale de Médecine ne remplit pas sa mission»

L’Académie nationale de médecine a consacré sa séance du 25 mars 2014 au cannabis et aux nouveaux cannabinoïdes de synthèse. Le compte-rendu, publié sur le site de Jean-Yves Nau, appelait une réponse, que voici dans son intégralité (Elle a été précédemment publiée sur le site de Jean-Yves Nau).

Merci d’exciter notre sagacité!

Non, l’Académie nationale de Médecine ne remplit pas sa mission. Sous l’influence de quelques membres extrémistes, elle lance des oukases inutiles dans un domaine qu’elle connaît mal. Elle ne tient aucun compte de l’évolution de la société et propose des solutions qui ont fait la preuve de leur inefficacité.

Certes, le cannabis n’est pas un produit anodin, mais il fait partie intégrante de l’environnement des jeunes européens. La prohibition ne fonctionne pas dans les pays démocratiques, les académiciens devraient en prendre conscience. Ils s’affolent parce que l’expérimentation de cannabis a explosé entre 1993 et 2012, mais c’est une réalité dans tous les pays occidentaux et il est illusoire de penser qu’on peut réduire ce phénomène de société maintenant ancien. «Le cannabis EST une réalité»1Slogan de la campagne cannabis de la MILDT/INPES en 2004. Et les méfaits de la consommation occasionnelle de cannabis ne sont pas avérés (en dehors de la conduite), même si l’Académie n’en fait pas mention.

Quatre vœux pieux

Leurs quatre propositions ne sont rien d’autres que des vœux pieux :

  1. En psychiatrie, est-ce en prévenant le commerce DANS les établissements psychiatriques (sous peine de désaccréditation), qu’on va réduire la consommation des personnes atteintes de troubles psychotiques ? On croit rêver !
  2. En prison, où les problèmes sont multiples, l’administration pénitentiaire a bien d’autres priorités que le cannabis sauf quand il entraîne des trafics organisés et violents. La consommation en elle-même n’est pas un facteur d’agressivité des détenus contrairement à ce que sous-entend la déclaration de l’Académie de Médecine.
  3. En ville, interdire par la loi l’achat de matériel et de semences sur internet aurait surtout l’effet de priver les consommateurs d’un moyen d’approvisionnement qui les gardent loin du trafic. Ce serait donc une mesure qui ravirait les trafiquants en leur donnant le monopole de la distribution. En pratique, elle est de toute façon inapplicable. Pour ce qui concerne l’interdiction de vendre des vapoteurs aux mineurs, on ne voit pas très bien le lien avec le cannabis. Quant à l’interdiction de vendre du papier à cigarette « grand format», elle aboutirait à avoir des joints plus petits (ou plus grands avec deux feuilles collées)! Quel progrès !
  4. Sur la route, les contrôles sont coûteux, (à la grande satisfaction de certains membres de l’Académie de Pharmacie), et en forte augmentation. L’Académie ne devrait pas ignorer que c’est l’alcool qui est responsable de la majorité des accidents mortels sur la route (environ 30%) et aussi la consommation associée d’alcool et de cannabis (risque multiplié par 15 alors que le cannabis seul augmente le risque, certes, mais d’un facteur 2, soit autant que l’alcool à un taux toléré (0,5 g/l). (étude SAM)

Prise en charge des fumeurs intensifs

Les problèmes sanitaires mis en avant par l’Académie de Médecine sont réels quoique qu’abordés sans nuance, en particulier la relation entre consommation de cannabis et cancers ORL ou broncho-pulmonaires qui reste très mal documentée, de même que les liens avec les accidents vasculaires qui, s’ils existent, sont loin d’avoir l’ampleur des risques liés au tabac qui sont absolument prouvés et considérables. Et pourtant ce n’est pas l’interdiction de la vente de tabac qu’elle réclame.

La seule politique qui semble donner des résultats est une politique de prévention et de prise en charge des fumeurs intensifs. La loi n’est pas capable d’empêcher la disponibilité de cannabis, c’est vrai en France et ailleurs. La consommation de cannabis a flambé après la loi de 1970 (!) comme celle de la cocaïne, qui a flambé après la loi de 1916, entre 1918 et 1925. L’interdiction et la répression n’ont aucun impact sur les niveaux de consommation. Il y a moins de jeunes fumeurs de joints en Hollande où la consommation personnelle est tolérée, qu’en France où elle est sanctionnée.

Non à la prohibition

La politique publique que j’ai eu l’honneur d’influencer entre 2003 et 2007 notamment sur le cannabis en organisant des campagnes d’information sur le cannabis, en créant les consultations «Jeunes consommateurs» anonymes et gratuites dans tous les départements, semble avoir eu un certain impact sur les consommations des jeunes si on en juge par les enquêtes publiées par l’OFDT, ESPAD et ESCAPAD ; le nombre de consommateurs réguliers de cannabis a baissé sensiblement entre 2002 et 2007 dans les deux enquêtes. Dans ESPAD : de 6,1% à 3,7% entre 2003 et 2007. En 2011, après quatre ans d’absence de campagne publique ciblée et du tout répressif, le taux est remonté à 8,1%. (lettre «Tendances» n°89 de novembre 2013, site www.ofdt.fr).

Ces constats renforcent ma conviction que ce n’est pas l’interdiction et la prohibition qui peuvent faire baisser l’usage, mais bien plutôt une meilleure prise en compte des modes de ces consommations, un dispositif sanitaire plus qu’un dispositif répressif inefficace. Les mesures préconisées par l’Académie de Médecine ne sont pas pertinentes, elles sont idéologiques et non pragmatiques.

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