Nouveaux produits de synthèse — La santé communautaire en éclaireur

Si la diffusion de leur consommation se poursuit, les spécificités des nouveaux produits de synthèse (NPS) vont imposer aux professionnels d’inventer de nouvelles façons de travailler. Sans doute faudra-t-il alors chercher l’inspiration du côté des actions communautaires car, face aux risques liés à ces consommations, les amateurs de NPS n’ont pas attendu pour s’organiser : groupes de parole, vulgarisation et diffusion de recherches scientifiques, interventions de proximité, etc. Ils ont spontanément inventé, ou réinventé, quelques outils de réduction des risques (RdR) qu’ils sont parvenus à adapter aux NPS en les revisitant à coups de nouvelles technologies…

Cet article a été publié dans le Swaps n°72 qui propose un dossier spécial consacré aux « Nouveaux Produits de Synthèse »

Difficultés propres à ces produits

Le premier défi que lance la diffusion des NPS est lié à la rapidité de leur renouvellement. Si les pratiques et les produits évoluaient à un rythme qui permettait d’apporter des réponses durables, la donne risque de changer, car les NPS arrivent par vagues rapprochées selon un cycle rythmé par leur interdiction. Des dizaines de produits totalement nouveaux sont mis en vente chaque année sur les sites spécialisés et testés par quelques téméraires (parfois surnommés « kamikazes de bluelight »)1Bluelight.ru, forum anglophone de consommateurs de RC qui postent le récit de leurs expériences sur les forums de consommateurs.

Les molécules qui en ont le « potentiel » seront ensuite expérimentées par quelques habitués des forums. On entre alors dans une phase de latence qui peut être très variable (quelques semaines pour la méthoxétamine, plusieurs années pour d’autres molécules). Si la molécule en a le potentiel, cette période de latence pourra déboucher sur une diffusion à plus grande échelle, hors des réseaux de consommateurs de NPS, notamment via les milieux festifs. Cette « apogée » sera certainement de courte durée (un à deux ans) puisqu’elle conduit inévitablement au classement stupéfiant du produit qui disparaîtra alors progressivement des boutiques en ligne.

Les professionnels sont donc pris dans une double impasse : travailler sur chaque nouvelle molécule afin de se préparer à sa possible diffusion est irréalisable tant la charge de travail est énorme2Chappard P, Couteron JP. Le drug tsar britannique pousse un cri d’alarme sur les legal highs.drogues.blog.lemonde.fr, mais attendre qu’une molécule se diffuse largement pour travailler dessus ne laisse pas suffisamment de temps pour élaborer une action efficace.

Le second défi posé par les NPS est lié à son hétérogénéité. En effet, on classe comme NPS des produits aussi différents que le kratom, substance naturelle aux « vertus » euphorisantes utilisée traditionnellement dans certains pays du sud-est asiatique, et un research chemicals (RC) comme la méthoxétamine. On trouve des NPS dépresseurs, hallucinogènes, stimulants, psychodysleptiques, etc. Certains se dosent au microgramme, d’autres au gramme. Rien de commun entre les différents membres de cette catégorie, qui a été créée pour regrouper les produits disponibles sur Internet. Si en parler de façon globale est possible, c’est au prix d’une certaine superficialité dans les messages. A ces difficultés s’ajoutent le manque de recul quant aux effets à long terme, les moyens de toucher les consommateurs qui constituent des populations cachées difficiles à appréhender et les risques d’erreurs d’étiquetages des vendeurs qui totalisent d’ores et déjà un certain nombre de décès).

A l’heure actuelle, le champ des NPS n’a pas encore été investi par la RdR professionnelle. Seules des actions communautaires, bénévoles et amatrices existent. Cela ne signifie pourtant pas qu’elles soient dénuées d’intérêt, bien au contraire. Les consommateurs de NPS ont développé de nombreuses actions pionnières dont les professionnels désireux de travailler sur le champ seraient bien inspirés… de s’inspirer !

« Psychonaut »
Forum de partage d’informations relatives ou non à la consommation de psychotropes, le site « Psychonaut » a été ouvert en 2004. Léo Meignen, membre fondateur de l’association « Not For Human », en est le modérateur.

Un nombre d’utilisateurs en augmentation : 2000 messages par semaine.
Les règles sont explicitées dans le forum sous peine d’intervention, de modification ou de suppression des messages problématiques, voire des membres qui n’écoutent pas les rappels à l’ordre. Les règles sont : refuser le deal (liens ou adresses mail) ; éviter de censurer, mais plutôt argumenter, sauf pour les délirogènes comme la datura ; bannir les injures et le langage « sms » ; prôner la qualité des informations, la bonne classification (les topiques doivent être bien classés dans les sous-parties, elles-mêmes agencées en parties plus générales) ; inviter les internautes à sourcer (les informations non validées& sont supprimées).
Dans les tutoriels, seules les informations validées scientifiquement sont acceptées.
« Psychonaut » s’adapte à l’évolution des produits, spécialisé au départ sur les hallucinogènes, il est devenu de plus en plus consacré aux RC, un guide3www.psychonaut.com/researchchemicals/37789-researchchemicals-nps-moded-emploi.html a d’ailleurs été créé. Le panel socioprofessionnel est très large : smicards, directeurs commerciaux, chômeurs de longue durée, lycéens, étudiants en médecine, membres de structures de RdR, experts en pharmacologie, en chimie, en économie et en droit, ce qui nourrit des discussions de qualité. La section trip reports est plus littéraire, les récits montrent de véritables talents de narration, parfois même d’écrivain.

 

« Not For Human »
Sébastien, impliqué dans la RdR sur « Psychonaut  » consultait régulièrement les forums sur les RC avant de réfléchir à un moyen de se professionnaliser en montant sa propre association : « Not for Human ».

Son but : devenir des experts mais aussi des salariés pour éviter l’épuisement et le turnover et pour pouvoir se former (accès aux recherches payantes, formations professionnelles, participation à des conférences, etc.). L’action de l’association consiste essentiellement à informer les internautes des risques, interactions, dosages, etc., des NPS mais aussi des autres produits. Pour cela, des informations (scientifiques, empiriques, etc.) sont diffusées sur les forums spécialisés.
L’association répond aux questions, soutient, conseille, voire oriente les personnes qui en ont besoin. Des analyses des produits provenant de « shops » réputés fiables sont effectuées, les résultats sont mis en ligne. Elle a aussi participé à la création d’un multiflyer sur les NPS en partenariat avec Technoplus.
Selon Sébastien, l’action est difficile à évaluer : « nous avons déjà découragé des personnes qui posaient des questions sur des dosages ou des associations de produits dont les conséquences étaient potentiellement dramatiques. Nous apportons souvent un soutien, une information (qui aura fait réfléchir) ou exprimé un avis qui aura fait relativiser des internautes… ».

 

Psychoactif
Pierre Chappard président de « Psychoactif »
Psychoactif est une communauté de solidarité et d’entraide entre consommateurs de substances psychoactives (association loi 1901) qui fonctionne grâce à une plate-forme créée en 2006 (www.psychoactif.fr).
L’objectif est d’entrer en contact avec des consommateurs de ces substances –qui utilisent Internet– pour les informer, communiquer, s’entraider, échanger sur leurs pratiques et leurs expériences, dans une optique de RdR. Les objectifs sont aussi politiques, l’un est de faire changer le regard du grand public sur les consommateurs.
La plate-forme regroupe plusieurs outils participatifs :
– des forums, lieux d’échange, de questions et de réponses. Certains sont sur les produits licites : plantes hallucinogènes,
NPS, etc. D’autres sur les traitements : TSO, sevrages, contre le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et le VHC. Nous avons aussi ouvert des forums pour les femmes usagères de drogues, l’entourage proche des usagers, dans lequel viennent témoigner enfants, parents, petit(e) ami(e) ;
– des blogs où chacun peut déposer des textes personnels, des images, des photos ou des vidéos ;
– un wiki qui facilite le travail collaboratif. Le plus connu est « Wikipédia ». « Le Psychowiki  » a pour but de construire collaborativement les connaissances sur les drogues et leurs usages, grâce aux compétences et expériences des usagers. On y trouve des pages dédiées aux produits psychoactifs (héroïne, cocaïne, MDMA, RC, etc.) et à leurs usages (injection à moindre risque, chasser le dragon, baser sa coke, etc.) qui mélangent connaissance médicale et témoignages ;
– nous sommes aussi présents sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, Google+.
Les bénévoles qui gèrent la plate-forme (cinq animateurs, six modérateurs et deux administrateurs) sont aussi gestionnaires de l’association. Elle fonctionne sur le mode de l’auto-support, nous sommes ou avons été usagers de drogues. Les administrateurs veillent au fonctionnement technique, les modérateurs répondent aux questions et font respecter les règles (ni jugement, ni incitation) et les animateurs relancent les discussions et font vivre la plate-forme.
Deux fois par an nous échangeons et discutons du futur de « Psychoactif « . Au jour le jour, un « forum des modérateurs », visible uniquement par l’équipe, permet d’être en lien constamment et de prendre des décisions rapidement.
« Psychoactif » en chiffre : près de 5000 visites et 12000 pages consultées par jour, plus de 3500 inscrits depuis le début, ils viennent : 85% de France, 30% de l’Ile-de-France ; 20% se font sur les mobiles (smartphone ou tablette) et 75% découvrent Psychoactif suite à une recherche sur Google.

 

Forums de consommateurs : auto-support et contrôles sociaux
« Bon, ce sont tes règles, et je les respecte, loin de moi l’idée de te faire changer ! »4Zinberg NE, Drug, set and setting : the basis for controlled intoxicant use. Yale University Press, 1984;277 p C’est Zinberg qui, le premier, montra l’existence d’autocontrôles mis en place de façon plus ou moins consciente par les consommateurs de drogues. Prenant différentes formes, ils permettent aux usagers de conserver un certain contrôle sur leurs consommations et de rester dans une norme définie par le groupe (ce qui est socialement acceptable) mais aussi par eux-mêmes (ce que je m’autorise et ce que je m’interdis).
T. Decorte5Decorte T. Les effets adverses des politiques officielles en matière de drogue sur les mécanismes d’autorégulation des consommateurs de drogues illicites. Drogues, santé et société 2010;9,1:295-333 s’interroge quant aux effets de la prohibition de certaines substances sur la transmission de ces autocontrôles et regrette que, dès lors qu’une substance est illégale, l’apprentissage ne s’effectue que via le groupe de pairs. Mais que dire alors des NPS dont la disponibilité sur Internet favorise une atomisation de la consommation, les consommateurs s’initiant désormais parfois seuls ou en petits groupes de néophytes, sans avoir à s’insérer dans des groupes de consommateurs ou à se rapprocher d’usagers-revendeurs pour se procurer les produits ?
Les forums permettent de créer des groupes de pairs virtuels et libèrent l’apprentissage des dysfonctionnements liés à la transmission orale qui caractérise le savoir des usagers. Sur Psychonaut, les informations doivent être sourcées et les rumeurs infirmées se voient relayées dans le fil de discussions « légendes de la drogue » ! Quant aux auto-contrôles, les utilisateurs ont spontanément lancé un thème de discussion intitulé « votre règlement de junkie » qui incite les membres à exprimer leurs propres règles de consommation et à en débattre. Avec un certain succès puisque le sujet compte plus de 125 messages.
Du côté des « hétéro-contrôles », on observe aussi de nombreux rappels à l’ordre pour ceux qui s’éloignent des normes de consommation, y compris lorsqu’ils sont en mesure de justifier ce choix. Ainsi, le sujet « le K-hole est difficile à atteindre », dans lequel un consommateur de kétamine explique vouloir passer à l’injection car sa tolérance à la kétamine l’empêche d’atteindre le K-hole6www.psychonaut.com/dissociatifs/43932-le-fameux-k-hole-est-dur-atteindre.html, compte plus de trente réponses d’internautes argumentant pour le dissuader, dont certaines d’une qualité impressionnante.
Néanmoins, le renouvellement rapide des substances empêche le développement d’une véritable culture propre à chaque produit, problème auquel, hélas, ni la communauté des consommateurs de RC ni les nouvelles technologies ne pourront rien changer.

 

Analyse par chromatographie sur couche mince 
Yaelle Dauriol, Roberto Bianco, Gregory Pfau / Charonne, coordinateurs SINTES
En 2001, Médecins du Monde a lancé un projet d’analyse de drogues par chromatographie sur couche mince (CCM). Depuis 2007, une permanence dans les locaux de la mission Squat à Paris* permet aux usagers de solliciter le dispositif et de bénéficier de résultats qualitatifs dans de très bref délais.
Parmi les utilisateurs, deux groupes se dégagent. Ils ont une approche et une connaissance des produits très différentes. Les uns expérimentent « par procuration » via les trips reports, ils recherchent plus de connaissances, ce qui les amène à faire analyser les produits, les autres les consomment du fait d’appellations « vendeuses » et par opportunité, ils utilisent le dispositif de longue date et soutiennent le projet en apportant des échantillons qui leur semblent suspects, comme entre 2012 et 2013 avec la « phencyclidine » (PCP). Cela a permis d’identifier un NPS inconnu, la méthoxétamine (MXE) et ainsi apprendre à l’identifier par CCM. Comme certaines techniques d’analyse, la CCM reconnaît uniquement les produits déjà référencés, les autres étant simplement détectés.
Cet outil permet de rentrer en contact avec les usagers, d’améliorer et de mettre en commun des connaissances pour pouvoir les diffuser et aussi de partager avec les usagers une réflexion sur l’usage de drogue et les risques qui y sont associés. La CCM permet de rester au plus près des évolutions des pratiques et des usages en répondant aux préoccupations des usagers et en servant de formation continue aux professionnels.
* Mission Squat : analyse de drogues / sessions chaque lundi de 18 à 20 heures
au 62 bis, avenue Parmentier, 75011 Paris / Tél. : 01 43 14 81 54 /
Rave.paris@medecinsdumonde.net
Mission XBT les jeudis / Tél. : 01 43 14 81 68 / xbt@medecinsdumonde.net

 

Erowid  
Fondé en 1995, Erowid est un site communautaire qui fait référence en matière de sérieux et d’exhaustivité. Toutes les RC y sont décrites (effets, risques, dosages, etc.). L’application sur smartphone (androïd) est gratuite.

 

Safe Or Scam 
Safeorscam.com est un site communautaire de notation (de 1 à 10) des vendeurs de RC. Pour éviter que les vendeurs se notes eux-mêmes, l’acceptation de nouveaux membres fonctionne uniquement par parrainage.