Nouveaux produits de synthèse — Chimie et drogues, histoire d’une liaison dangereuse

Synthétisés clandestinement dans des laboratoires volants n’ayant pas de contrainte de localisation en fonction des zones de production de pavot, de coca ou de cannabis, ils font l’objet d’un trafic difficile à cerner et à combattre. 

Cet article a été publié dans le Swaps n°72 qui propose un dossier spécial consacré aux «Nouveaux Produits de Synthèse».

Enfin, leur côté aseptisé les rend sans doute beaucoup plus acceptables socialement pour une population qui recherche la « béquille chimique » qui permettra de tenir un effort physique ou intellectuel plus longtemps ou de jouir plus intensément d’un moment festif1Hautefeuille M, Dan Véléa D. Les drogues de synthèse. Paris : PUF, 2002 : 4. Tentons ici de réfléchir aux différents aspects des relations entre chimie et drogues, tout en en retraçant l’histoire.

Figures de chimistes psychonautes

Elles mettent d’abord en exergue la figure emblématique du chimiste apprenti sorcier qui, d’Albert Hofmann à Alexander Shulgin, invente et auto-expérimente les produits de son art. L’épisode est connu : c’est en 1943, à Bâle, dans le cadre de recherches sur l’ergot de seigle, qu’Albert Hofmann et Arthur Stoll expérimentent par ingestion accidentelle les effets psychotropes de leur substance en réalité semi-synthétique : « Mais il y eut plus grave encore que ces modifications grotesques du monde extérieur : les transformations que je ressentis en moi-même, à l’intérieur de mon être. Tous mes efforts de volonté pour contenir cet éclatement du monde extérieur et cette dissolution de mon moi me paraissaient voués à l’échec. Un démon avait pénétré en moi, il avait pris possession de mon corps, de mes sens et de mon âme. » Stoll et Hofmann, déposent au nom de leur laboratoire, la firme suisse Sandoz, un brevet définitivement enregistré en 1948 : le LSD-25 est né. Mais la première utilisation est d’abord psychiatrique : le fils de Stoll, le Dr Werner Stoll, tente la première expérimentation sur l’homme à Zurich et essaie le produit sur lui-même.

Rapidement, le monde psychiatrique s’empare de la substance pour ses effets psychiques évidents (le sujet angoissé oublie ses problèmes, des souvenirs refoulés ressurgissent). Ronald A. Sandison, thérapeute anglais d’inspiration jungienne, invente l’expression de « thérapie psycholytique » tandis qu’aux Etats-Unis Humphry Osmond administre de plus fortes doses de manière à provoquer une expérience mystico-religieuse propre à libérer ses patients schizophrènes. Dans les années 1960, Jan Bastiaans aux Pays-Bas, à Leyde, l’utilise pour libérer mentalement des patients revenus traumatisés des camps de la mort vingt ans plus tôt2Snelders S. The LSD therapy career of Jan Bastiaans, M.D. In: Newsletter of the Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies 1998;8/1:18-20. Sandoz le commercialise en dragées ou en ampoules sous l’étiquette de Delysid®.

Comme le remarque Hofmann lui-même : « Il était évident qu’une matière dotée d’effets aussi fantastiques sur les perceptions sensorielles et sur le vécu des mondes intérieur et extérieur trouvait un intérêt bien au-delà des sphères de la recherche médicale […] Le LSD intéresserait des intellectuels, des artistes, des peintres et des écrivains, mais je ne pensais surtout pas au grand public »3Hoffman A. LSD, mein Sorgenkind. Stuttgart, Kletta-Cotta, 1979. Traduction française : Paris, Gris-Banal, 1989 : 30 et 71. Le laborantin se fait psychonaute, notant minutieusement le récit de ses voyages au LSD, s’inscrivant dans la tradition des récits d’Henri Michaux, puis devient un prosélyte modéré. S’il rencontre les écrivains Aldous Huxley ou encore Ernst Jünger (à qui il ouvre aussi les portes de la perception grâce au LSD) à maintes reprises, il n’apprécie guère l’apologie du psychédélisme faite par Timothy Leary, le père du mouvement psychédélique américain exclu d’Harvard en 1963 pour avoir testé LSD et psilocybine avec ses étudiants. Il lui reproche d’ailleurs lors de leurs rencontres en 1971-19724Hoffman A. op. cit., chapitre « L’utilisation du LSD en psychiatrie » et « le cas du Dr Leary ». Entretemps, la diffusion du LSD chez les jeunes et l’essor d’un trafic clandestin où des chimistes copient la recette (après l’expiration des brevets en 1963) embarrassent Sandoz qui a du mal à se défendre. L’année 1966 sonne le glas du LSD « légal » quand différentes législations nationales (Etats-Unis, France, etc.) l’interdisent, avant son classement définitif dans les tableaux de la Convention de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les psychotropes en 1971.

L’ecstasy commence aussi de manière tout à fait légale. Synthétisée en Allemagne en 1876, le laboratoire allemand Merck en entreprend un essai clinique en 1912 après dépôt de brevet mais, au-delà du constat d’ »étranges effets », la molécule est vite oubliée. Après expiration du brevet, elle est redécouverte dans les années 1970 par le chimiste américain Alexander Shulgin qui va associer son nom aux expérimentations qu’il procède sur lui-même avec sa femme. Ces effets euphorisants et entactogènes sont défendus par le chimiste et son ami, le psychanalyste Léo Zoff qui l’utilise avec ses patients en raison de ses effets psychiques qui poussent à la confession. Mais le même scénario que pour le LSD se reproduit. Du milieu circonscrit des élites psychonautes ou des expérimentations thérapeutiques, la diffusion se généralise au grand public, notamment auprès de nombreux jeunes dans les night-clubs. Emu de ce que des comprimés, produits on ne sait où, étaient vendus légalement dans de nombreux bars de Dallas ou de Fort Worth, l’Etat du Texas interdit la substance en 1985, qui sera ensuite prohibée sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis en 1988, et classée au niveau des conventions internationales la même année. Les nombreux écrits prosélytes de Shulgin n’y feront rien, qui décrivent une démarche d’auto-expérimentation des phényléthylamines (MDMA, mescaline, amphétamine) qui relève de la philosophie et de la connaissance de soi5Nouvel P. Histoire des amphétamines. Paris : PUF, 2009 : 243-51.

Frontière poreuse du médicament et du stupéfiant

D’autres molécules eurent un cycle de vie légale plus long et firent l’objet d’une commercialisation par l’industrie pharmaceutique. C’est le cas des produits à base d’amphétamines, dérivés de la molécule synthétisée par le chimiste américain Gordon Alles en 1928. Ils furent, entre 1950 et 1960, à l’origine d’une surconsommation médicamenteuse qui s’assimile à une forme de toxicomanie. En ce sens, la grande frayeur des sociétés occidentales entre 1960 et 1970, sur la question des drogues illicites renforçant l’arsenal législatif prohibitionniste, fut précédée d’une vague d’ »amphétaminomanie »affectant, elle aussi, la jeunesse et nécessitant un changement de réglementation. En France, dans les années 1960, les pharmacies font le plein en période d’examens d’étudiants venus acheter le fameux Corydrane® des laboratoires Delagrange, mélange d’aspirine et d’amphétamine, qui permet de stimuler l’effort intellectuel. Tandis que les jeunes filles, pour avoir la taille fine, usent et abusent de Préludine®, amphétamine anorexigène produite par les laboratoires Geigy6Coppel A, Bachmann C. Le Dragon domestique. Paris : Albin Michel, 1989 ; 32. Faisant l’objet d’abondantes prescriptions médicales, ces substances sont pour la plupart en vente libre. Mais l’automédication finit par dépasser toute prescription ou posologie normales et par viser davantage les effets indésirables : de jeunes gens avalent goulûment des tubes entiers de Maxiton® glutamique ou de Tonédron® pour leurs effets euphorisants tandis que l’Adiparthol®, surnommé « bobol », fait le délice de quelques consommateurs en appartement pour les « flash loves » que cette amphétamine anorexigène est capable de produire.

Les autorités sanitaires sont obligées de réagir par une série d’arrêtés pour endiguer l’épidémie d’amphétamines : le 17 décembre 1966, le Maxiton® fort injectable n’est plus délivré qu’aux médecins pour usage professionnel, le 2 octobre 1967, c’est l’ensemble des amphétamines existantes et de leurs préparations injectables qui sont inscrites au tableau B des substances stupéfiantes, aux côté du LSD qui y figurait déjà depuis le 1er juin 1966. En 1969, le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, hausse le ton, dans une lettre à son collègue de la Santé : « L’usage inconsidéré de ces produits pharmaceutiques présente un danger réel pour la santé publique et, en particulier, pour la jeunesse de notre pays. Tel a été le cas dans le passé du Maxiton® fort et plus récemment de la Préludine® »7Lettre de Raymond Marcellin à Robert Boulin, 14 novembre 1969, ministère de la Santé, Archives nationales CAC 19900545/1. Cette même année, le 3 mars, la réglementation sur les stupéfiants a été appliquée à l’ensemble des comprimés type « Préludine® » contenant une amphétamine. En 1971, le Corydrane® est finalement retiré du marché, de même que les produits à base de méthylphénidate par arrêté du 6 avril, rendant le mouvement synchrone avec d’autres législations nationales et l’adoption de la convention onusienne sur les psychotropes.

Cette intense activité réglementaire ne règle toutefois pas le problème. Ne pouvant agir sur la demande, elle ne fait que reporter cette dernière vers de nouveaux modes d’accès à la substance, ce que constate la Direction de la pharmacie et du médicament en 1969 : « Ne pouvant plus se procurer de préparations injectables à base d’amphétamines, les toxicomanes ont eu recours aux comprimés de Préludine®, médicament relevant de la réglementation du tableau A des substances vénéneuses, donc délivré sur ordonnances médicales ordinaires. Au moyen d’ordonnances, vraies ou fausses, les jeunes intoxiqués se procuraient la Préludine®, dissolvaient dans de l’eau les comprimés et s’injectaient la solution obtenue. »8Note « Problème des stupéfiants », 10 septembre 1969, CAC 19900545/1

Au terme de cette poussée vers les marges, le marché clandestin prend le relais, florissant en Europe et en Amérique pour ce qui est de la production d’amphétamines et de métamphétamines, notamment à partir du précurseur présent dans certains médicaments en vente libre qu’est l’éphédrine (jusqu’à son propre classement dans la convention de l’ONU de 1988). Enfin, non seulement l’interdiction crée un marché clandestin et criminel incontrôlable, mais accroît également le permanent jeu du chat et de la souris entre la réglementation qui s’étend et la découverte continue de nouvelles molécules par des chimistes de l’ombre inventifs qui auront toujours un temps d’avance.

Du « flower-power » aux mouvements technos

Minutieusement utilisés, certains produits de synthèses s’insèrent à merveille dans des pratiques récréatives associées à certaines cultures musicales. Que cela soit à travers le courant psychédélique animé depuis les Etats-Unis par Ken Kesey ou Timothy Leary ou bien la culture hippie essaimant depuis les quartiers de Haight-Ashbury à San Francisco, l’acid ou le sugar (LSD) paraît être l’adjuvant de toute expérience communautaire, festive ou musicale. Des morceaux comme ceux de Pink Floyd, dont le chanteur Syd Barrett finira par pâtir de sa consommation chronique de LSD, se prêtent ainsi volontiers à une écoute sous acide lysergique. Lors des grands concerts de rock des années 1969-1970, aux Etats-Unis, à Bethel (Woodstock), comme en Europe (à Amougies en Belgique, où le journal contre-culturel Actuel a dû délocaliser son festival, sous la pression de Raymond Marcellin, ou sur l’île de Wight), musiciens et auditoires sont pour une grande part sous LSD, pour le meilleur comme pour le pire, des bad trips ayant entraîné incidents ou même morts accidentelles (à Altamont en Californie, en 1969). La prise d’acide en milieu festif est une habitude qui demeure, comme à Ibiza : si le cinéaste Barbet Schroeder le montrait déjà en 1969, des petits cachets présentés comme des « médicaments suisses », qui s’avèrent être du LSD, étaient proposés aux touristes à la fin des années 19709More, Barbet Schröder, 1969. Et souvenirs e jeunesse de Gilles Pialoux (qui n’a cependant pas goûté…). Encore aujourd’hui, dans les fêtes techno, des comprimés à base de LSD circulent pour garantir un « trip » aux utilisateurs, quoiqu’on lui préfère généralement le « taz ».

Car s’il est bien une drogue qui reste associée aux nouveaux sons électroniques des années 1980-1990, c’est bien l’ecstasy, désigné par le street-name précité. La « pilule de l’amour » va accompagner l’essor de la musique techno, née de la house music de Détroit et de Chicago avant de connaître un nouvel élan dans le milieu underground britannique. Le produit circule dans les clubs de l’avant-garde musicale de la ville de New York ou à Ibiza où le comprimé fait son apparition vers 1988. En Grande-Bretagne, à travers des groupes de musiciens-DJ tels que Chemical Brothers, Prodigy ou encore Fatboy Slim (dont le chanteur a récemment déclaré que l’ecstasy avait soigné sa dépression…), une culture musicale semble indissociable d’une certaine drug culture10Reynolds S. Generation ecstasy ; into the world of Techno and Rave culture, Londres, Routledge, 1999 tandis que cette nouvelle drogue de « cols blancs » des boîtes de nuits parisiennes ou londoniennes va vite se démocratiser. Il en va de même pour les rave-parties, où la dimension rituelle est trop forte, le produit permettant de mieux se fondre dans une sorte de célébration magique de la transe provoquée par le son et de la rencontre collective ; individuellement, l’ecstasy est aussi utilisée en aphrodisiaque. Improvisées dans des endroits divers, ces rassemblements de raveurs ne sont pas du goût des autorités publiques, non seulement pour leur aspect illégal, mais aussi pour leurs morts accidentelles (premier décès constaté à l’ecstasy en France en 1987 dû à l’absorption de trois comprimés) ou lorsque la fête dégénère par l’intervention de la police au cours d’une acid-party : à l’été 1990, en deux semaines, à Leeds ou à Carlisle, de véritables batailles rangées ont opposé les policiers à des centaines de jeunes échauffés qui avaient aussi pris des amphétamines et bu beaucoup d’alcool. Ce qui a très rapidement mis les rave-parties dans le collimateur des autorités : le gouvernement Thatcher a cherché à rendre responsable les organisateurs pour les faits d’usages et de trafic constatés, tandis qu’en France la discussion s’est tenue en janvier 1995 à la suite de la diffusion d’un document de réflexion de la Mission de lutte anti-drogue (MILAD) du ministère de l’Intérieur ciblant spécifiquement ces rencontres festives comme étant un lieu de trafic et de consommations de drogue11Le Monde, 15 août 1990 ; Libération, 10 avril 1995. De Charles Pasqua à Jean-Louis Debré, des consignes sont données ces années-là depuis la Place Beauvau pour que les préfets refusent les autorisations à de nombreuses raves.

L’ »XTC » n’est du reste pas le seul produit de synthèse consommé dans le milieu festif house et techno : la kétamine, molécule synthétisée aux Etats-Unis en 1962, brevetée et commercialisée en anesthésiant par les laboratoires Parke-Davis depuis les années 1970, est particulièrement appréciée sous le nom de « spécial K » par les raveurs, pour les distorsions sensorielles qui permettent des effets trance-like ou pour la dissociation corps-esprit, qui peut servir de base à un « trip cosmique » ou à un « voyage astral »12Sueur C. Trip, Speed et Taz. In : Psychotropes 2004;10:61-97. Une trajectoire qui rappelle celle d’un autre anesthésiant détournant pour ses propriétés hallucinogènes : la phencyclidine (PCP), qui fit des ravages aux Etats-Unis et au Canada, avant et après son classement comme drogue illicite en 1971. Dans toutes ces utilisations détournées, l’aspect « médicament » est, là encore, un élément très important. Quand la substance n’est pas classée, elle intrigue et fait l’objet d’articles qui incitent à la tentation : en 1983, le journaliste Jean Grémion raconte dans le magazine Vital son expérience extatique à l’aide d’une gélule rapportée des Etats-Unis par un de ses amis : elle « rend amoureux fou » et vous insère dans une immense « chaîne d’amour et d’amitié ». Les enquêtes sur les consommations en milieu festif montrent l’importance de « l’effet d’amorçage » lié à l’aspect de pilule : « l’usager ne considère pas son acte comme répréhensible » et la consommation de drogues de synthèse s’inscrit dans le parcours normal d’un individu déjà coutumier de l’automédication à base de divers produits pharmaceutiques13Colombié T, Lalam N. Les filières produits psychotropes à partir des soirées de musique techno. Rapport OFDT, octobre 1999 : 43.

Trafic en plein essor

Ces nouveaux produits et nouvelles demandes ont également renouvelé l’organisation des économies criminelles. Les circuits courts (grande proximité des zones de production et de consommation) ont remplacé les circuits longs aux nombreux intermédiaires des filières de l’héroïne, de la cocaïne ou du cannabis, tandis qu’on ne retrouve plus de grandes organisations criminelles intercontinentales, même si les chaînes sont toujours transfrontalières, pour mettre à profit les différences de législation nationale ou les libéralités de l’ouverture des frontières (comme dans l’Europe de Schengen). Dans les années 1990, les Pays-Bas se sont ainsi vite imposés comme la principale source de production de l’ecstasy (« La Hollande est à la production d’ecstasy et d’amphétamines ce que la Colombie est à la cocaïne et la Thaïlande à l’héroïne » d’après un responsable de la police néerlandaise en 199514Libération, 27 octobre 1995), au point de provoquer des tensions diplomatiques cette année-là quand le président Chirac fustige le laxisme des Pays-Bas en matière de toxicomanie ou quand un rapport du sénateur RPR Paul Masson de mars 1996 taxe la Hollande de « narco-Etat » et préconise de la faire sortir de l’espace Schengen en raison du trafic qu’elle favorise. Les enquêtes laissent apparaître un profil de trafiquants itinérants avec des laboratoires mobiles, parfois installés dans des camions ou des péniches, qui fournissent, en ce qui concerne l’ecstasy, des usagers-revendeurs appartenant au milieu des « technomades ». Mais les laboratoires clandestins et les financiers du crime organisé se développent également en Europe du Sud et de l’Est. En France, une importante affaire a lieu fin 1996 quand un laboratoire clandestin de production d’ecstasy installé dans deux box de garage est démantelé à La Ciotat : la police met alors la main sur une machine capable de produire 5400 comprimés par heure et des centaines de litres de précurseurs (acétone et isopropanol), le tout achetés à des industries pharmaceutiques légales, une centaine de manuels de chimie. Dans l’organisation : un médecin et un chimiste (au chômage, il avait accepté de travailler pour ce qu’on lui avait présenté comme une entreprise de fabrication et d’envoi de médicaments génériques en Afrique puis, pris de remords, il avait dénoncé l’affaire aux policiers), et le maître d’oeuvre, Léon Toscano, un ancien de la French Connection, reconverti du commerce de l’héroïne15Sur cet exemple comme sur les caractéristiques des filières, voir Colombié T, Lalam N, op. cit..

Enfin, encore timide en Europe, le commerce de la méthamphétamine est de plus en plus florissant en Amérique ou en Asie. Là encore, ancien médicament commercialisé par les Allemands dans les années 1930 sous le nom de Pervitin®, utilisée comme stimulant par les soldats pendant le second conflit mondial, la méthamphétamine (sous forme de cristaux : crystal meth ou encore ice, encore plus pure) fait des ravages sur les plans sanitaire et criminel, causant psychoses aiguës ou hallucinations auditives chez ses usagers devenus très vite dépendants, extrêmement agressifs et souvent en proie au délire. On recensait 629 laboratoires clandestins de production de méthamphétamines aux Etats-Unis en 1988, 6768 en 201016Revue internationale de police criminelle, 7 août 1990. Le Monde, 30 mars 2012, produisant de la meth avec des méthodes artisanales popularisées par la série Breaking Bad… En Thaïlande, c’est une véritable guerre que l’Etat livre depuis la fin des années 1990 aux trafiquants de yaba, produit sous forme de gélules ou de poudre à fumer dans des laboratoires clandestins du Triangle d’or.

L’histoire des relations entre chimie et drogue est ainsi loin d’être achevée et, aujourd’hui encore, les « nouveaux produits de synthèse » (NPS), généralement vendus sur Internet, dans un lien toujours complexe avec la recherche scientifique ou pharmaceutique légale, jouant en permanence sur le retard de la loi qui définit les molécules à contrôler ou à prohiber, et offrant désormais des types d’effets très précis à des usagers de plus en plus exigeants, ne font qu’en ouvrir un nouveau chapitre.