Crack — Symptômes psychotiques transitoires induits par la cocaïne

Parmi les effets psychotropes de la cocaïne, certains sont recherchés (le sentiment de toute-puissance, l’accélération psychique, etc.) tandis que d’autres sont considérés comme indésirables (anxiété, idées dépressives survenant dans les descentes et effets psychotiques). Nous avons choisi de nous intéresser aux symptômes psychotiques transitoires (hallucinations, idées délirantes et modifications comportementales) survenant dans les quelques minutes à quelques heures après une consommation de cocaïne. 

Cet article a été publié dans le Swaps n°70 qui propose un dossier spécial consacré au « Crack ».

Nous avons traduit et utilisé le questionnaire SAPS-CIP (Scale for Assessment of Positive Symptoms for CocaineInduced Psychosis)1Cubells JF, Feinn R, Pearson D et al. Rating the severity and character of transient cocaine-induced delusions and hallucinations with a new instrument, the Scale for Assessment of Positive Symptoms for Cocaine-Induced Psychosis (SAPS-CIP). Drug Alcohol Depend 2005;80:23-33 pour décrire ces symptômes dans une population de patients cocaïnomanes consultant au Csapa Espace Murger, AP-HPAP-HP Assistance publique-Hôpitaux de Paris. et aux Caarud STEP (Seringue, tampon, eau stérile, préservatifs) et EGO (Espoir Goutte d’Or), tous deux situés dans le quartier de la Chapelle, près de la gare du Nord à Paris. Ce questionnaire évalue les hallucinations (auditives, visuelles, tactiles, olfactives), les idées délirantes (huit thèmes sont évalués, de la persécution au vol de la pensée) et le comportement (hétéro-agressivité, mouvements stéréotypés, modifications du comportement sexuel, rituels autour de la consommation). L’analyse a porté sur 105 sujets. 

Nous avons montré que ces symptômes sont très fréquents. Parmi les patients interrogés, 86% expriment avoir déjà éprouvé au moins l’un de ces symptômes psychotiques après une consommation de cocaïne. Ainsi, 42% déclaraient avoir déjà eu des hallucinations auditives, 55% des idées de persécution, 25% un automatisme mental, 41% une hétéro-agressivité dans un contexte délirant, 58% des comportements stéréotypés s’approchant des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) [recherche compulsive de produit, vérification, rituels]. Dans notre échantillon, les scores à ce questionnaire SAPS-CIP étaient significativement plus élevés lorsque les patients étaient :

– dépendants à la cocaïne (plutôt qu’abuseurs) ;

– utilisateurs quotidiens (plutôt qu’au rythme de 2 à 3 jours par semaine ou moins) ;

– injecteurs2Vorspan F, Brousse G, Bloch V et al. Cocaineinduced psychotic symptoms in French cocaine addicts. Psychiatry Res 2012;200(2-3):1074-6

Dans une seconde analyse portant sur 16 patients rencontrés chaque semaine au Csapa et évalués de façon prospective avec ce questionnaire, nous avons montré que le score de symptômes psychotiques diminuait significativement au cours du temps. Ces patients, qui étaient suivis avec un objectif d’abstinence de cocaïne, ont déclaré avoir diminué leur consommation sur cette période. Nous avons pu établir une relation linéaire entre la baisse du score de symptômes psychotiques transitoires et celle de la consommation déclarée de cocaïne, ce qui est un argument de plus pour appuyer l’hypothèse d’une relation dose-effet entre la dose de cocaïne et l’intensité des symptômes psychotiques transitoires3Vorspan F, Bloch V, Brousse G et al. Prospective assessment of transient cocaineinduced psychotic symptoms in clinical setting. Am J Addictions 2011;20(6):535-7

Cela nous a conduit à proposer d’évaluer systématiquement ces symptômes psychotiques transitoires chez les usagers de cocaïne fréquentant le système de soins. On peut s’appuyer sur ces symptômes très fréquents pour faire évoluer la motivation du patient au sevrage ou, au moins, à la réduction des consommations. On peut également proposer des neuroleptiques à visée symptomatique pour essayer de réduire les dommages qui risquent de survenir du fait de ces symptômes psychotiques, comme les états d’agitation accompagnés d’actes auto- ou hétéro-agressifs. Au minimum, si les patients ne sont pas motivés au sevrage et minimisent ces symptômes, un travail de réduction des risques doit leur être proposé.