Polémique — La campagne présidentielle pollue les vrais enjeux de la lutte contre le sida

L’article de Frédéric Martel dans l’hebdomadaire Marianne cette semaine confirme que, dans la campagne présidentielle, tous les coups sont permis…D’amalgames en insinuations, Frédéric Martel y jette le discrédit sur le finacement de la lutte contre le sida, sur l’action du Fonds Mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, sur la Fondation de Carla Bruni-Sarkozy et plus globalement sur la contribution française à ce combat. Il apporte des arguments à ceux qui veulent voire son directeur exécutif, Michel Kazatchkine, quitter ses fonctions.

L’équipe de Vih.org est liée à Michel Kazatchkine depuis le début du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. en France, et il préside, depuis sa fondation en 1991, l’association éditrice du site et de la revue Transcriptases, Pistes. Voilà pour le conflit d’intérêt. L’engagement de Michel Kazatchkine, sa capacité de travail exceptionnelle, sa détermination ont fait qu’il soit élu à l’unanimité à la fois par les Etats donateurs et les Etats donataires comme directeur exécutif du Fonds Mondial. 1Précisons que Pistes n’a jamais reçu un centime de dollar du Fonds Mondial.

Marianne reproche à Michel Kazatchkine d’avoir (indirectement) financé la Fondation Carla Bruni Sarkozy au mépris des règles des appels d’offre en vigueur au sein du Fonds.

Quand Carla Bruni a souhaité devenir ambassadrice du Fonds Mondial, en particulier pour lancer une campagne pour prévenir l’infection des enfants et donc pour inciter les femmes enceintes au dépistage et au traitement, personne ne s’est offusqué que la femme du Président se lance dans ce combat. Au-delà de l’image internationale de Carla Bruni, on peut aussi penser que c’était une manière indirecte pour le Fonds de sécuriser la place de la France, son deuxième contributeur.

Si on peut regretter qu’une société privée liée à un conseiller de la fondation Carla-Bruni-Sarkozy ait reçu des subsides du Fonds pour cette opération -le mélange des genres donne prise inévitablement et à juste titre à la critique-, l’article de Marianne ne dit pas les activités -réelles- correspondant à cette rémunération et n’explique en rien qu’elle n’ait pas été justifiée.

La campagne Born HIV free, aucun nouveau-né infecté par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. en 2015, a été relativement peu coûteuse si on la compare à une campagne standard d’un ministère français; centrée sur le web, elle a été diffusée dans 10 pays européens, et très largement relayée dans le monde entier par les internautes, sensibilisant un nombre important de personnes à l’un des enjeux majeur, et atteignable, de la réponse à l’épidémie. Frédéric Martel préfère critiquer le clip sous prétexte qu’Amy Winehouse, qui a fourni la sublime musique, était toxicomane. Ça vole bas.

Cette polémique ne doit pas faire oublier les vrais enjeux et les défis passés et futurs du Fonds.

La lutte contre le sida n’est aujourd’hui une priorité internationale que parce que des personnes et des associations se sont mobilisées depuis plus de 20 ans pour rompre avec l’injustice que les traitements accessibles au Nord ne le soient pas aussi aux populations du Sud qui concentrent le plus grand nombre de malades.

Le Fonds a inventé une nouvelle gouvernance qui tente de combiner l’aide internationale des Etats et des grandes fondations privées sans contourner les gouvernements. Mais il a imposé que les bénéficiaires potentiels, les personnes atteintes, soient représentés dans les instances de décisions du Fonds et dans les instances de chaque pays bénéficiaire. Un organisme hybride, qui n’a pas les contraintes politiques des agences intergouvernementales de l’ONU, ni le caractère peu supportable à une telle échelle de la philanthropie d’un individu, fût-il Bill Gates.

Des audits sont organisés par le Fonds pour s’assurer que les sommes allouées aux programmes sont correctement utilisées. C’est ainsi qu’il a lui-même pu identifier certains détournements: 34 millions de dollars qui concernent 4 pays africains2Djibouti, Mali, Mauritanie et Zambie., soit environ 1% de l’aide allouée. On aimerait que ces détournements de l’aide internationale n’existent plus, doit-on attendre jusque-là pour entamer la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme? L’honneur du Fonds est d’en faire la chasse et de les dénoncer. On aimerait voir la même démarche pour toutes les aides internationales.

Le Fonds Mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, créé en 2002, a permis, en moins de 10 ans, une révolution dans le traitement du sida en Afrique et dans les pays les plus démunis. C’est une victoire inouïe, impensable au départ où seuls les pays riches avaient accès à un traitement efficace et à la prévention de la transmission de la mère à l’enfant depuis 1996, alors que l’Afrique, le continent le plus touché par le VIH, devait se contenter de prières et de bonnes paroles. Cet accès au progrès médical des populations du Sud avec la volonté d’atteindre jusqu’au fond des campagnes les populations les plus pauvres ou les plus marginalisées est un acte politique majeur.

Frédéric Martel reconnaît d’ailleurs que «le succès des programmes globaux antisida financés par Onusida et le Fonds mondial font l’unanimité». Précisons que le Fonds a réussi à drainer 3 milliards de dollars en 2010 alors qu’Onusida consacre à peine 200 millions à l’aide directe.

La lutte contre le sida s’est construite sur l’alliance d’acteurs de tous les secteurs de la société -media, médecins, chercheurs, politiques, malades, minorités- au-delà des clivages droite-gauche. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole. Le combat contre le sida a encore et peut être plus que jamais besoin d’alliés. La nomination d’ambassadeurs de la société civile est une de ces stratégies d’alliance pour faire connaître ces causes justes. Y a-t-il eu imprudences, transgression des règles d’une gestion transparente dans le lancement de Born HIV free, c’est possible. Le Fonds répond sur ce point. Est-ce que ça justifie de mettre ainsi en cause Michel Kazatchkine et l’approche que la France a contribué à promouvoir sur le plan politique, financier et scientifique, certainement pas. Encore moins maintenant où la crise financière mondiale sert de prétexte au désengagement des pays donateurs. Ce qui est en danger, c’est le financement du Fonds contre le VIH mais aussi contre la tuberculose et le paludisme: et donc la vie des malades qui ont commencé à être traités et doivent l’être à vie, c’est aussi celle de tous ceux qui ont aujourd’hui besoin d’un traitement mais n’y ont pas encore accès, 60% des hommes et des femmes déjà contaminés en Afrique, en Europe de l’Est ou ailleurs, ceux qui vont l’être et aussi ces enfants à naitre que le traitement protégera de la transmission.

Les informations incomplètes de Marianne, qui insinuent plus qu’elles ne démontrent, sur un sujet aussi sensible, apportent sur un plateau des prétextes aux Etats qui ne cherchent qu’à réduire leur contribution au Fonds, revenir aux bonnes vieilles recettes de l’aide bilatérale, et donc en vérité de compromettre encore plus la vie de millions de gens qui dépend de cette aide.

La nomination lors du conseil d’administration du Fonds à Accra d’un general manager n’est pas liée à l’affaire Carla Bruni, comme en atteste le compte-rendu du conseil. C’est la conséquence de difficultés internes et du souhait des anglo-américains de reprendre le contrôle du Fonds. La thèse de Frédéric Martel doit les réjouir même si son intention devait être ailleurs pour celui qui publie le 4 janvier 2012 un nouvel ouvrage chez Flammarion : J’aime pas le sarkozysme culturel3Frédéric Martel, J’aime pas le sarkozysme culturel, Flammarion Paris 2012.

Un mauvais coup pour un petit dessein.