Commentaire — Eric Fleutelot : «Comment va-t-on financer cet effort?»

Eric Fleutelot est Directeur général adjoint international de Sidaction. Il réagit pour Vih.org à la dernière déclaration de l’Onu concernant le VIH/sida, alors que l’association publie justement son rapport d’activité 2010 des Programmes Internationaux.

«Evidemment, il faut se réjouir de la déclaration politique sur le VIH-sida adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 10 juin dernier. Cette déclaration est en progrès par rapport aux précédentes, en ce qu’elle mentionne plus précisément les populations les plus exposées au VIH et les plus discriminées, comme les usagers de drogue ou les hommes homosexuels. C’est une déclaration ambitieuse puisqu’elle réitère l’objectif de l’accès universel à la prévention, aux soins et aux traitements, avec cette fois une échéance fixée à 2015.

Mais il faut rappeler que cet objectif avait autrefois été fixé pour 2010 et qu’in fine, fin 2010, un peu plus de 6 millions de personnes avaient accès aux traitements, soit 40% de ceux qui sont en indication de traitement.

Plus de ressources financières nécessaires

Enfin, et c’est le sentiment que j’ai eu lorsque j’ai vu les déclarations se succéder la semaine dernière, comment va-t-on financer cet effort? Globalement, aujourd’hui, la lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. n’est pas assez financée au niveau international pour atteindre cet objectif; le Fonds mondial n’a reçu que des promesses minimales en 2010 pour les trois prochaines années. Or, on a besoin de plus de ressources financières pour:

– Acheter des traitements qui coutent de plus en plus chers. Notons d’ailleurs l’incohérence des pays riches qui financent largement la lutte contre le sida dans les pays pauvres lorsque par ailleurs ils renforcent le droit de la propriété intellectuelle et mettent des freins à la production de médicaments génériques à travers des accords de libre-échange (comme par ex. entre l’Union Européenne et l’Inde). Non seulement, on ne sort pas de la question des brevets, mais en plus la propriété intellectuelle pourrait être renforcée par une protection supplémentaire, l’exclusivité des données. En clair, même si un fabricant de générique est en capacité de produire une molécule de 2ème ou 3ème ligne, il devrait refaire les essais cliniques, n’ayant pas accès à ceux réalisés par le laboratoire propriétaire du brevet !

– Plus d’argent aussi pour investir massivement dans les systèmes de santé. Cela nécessite une approche d’investissement dans des plateaux techniques et des structures de soins appropriées aux besoins en santé des populations ; l’enjeu est d’avoir un système de santé performant et qui permette l’intégration des services VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. aux autres services de santé. C’est un immense défi mais qu’on doit réussir. L’investissement dans le système de santé passe aussi par un effort important dans les ressources humaines en santé. Aujourd’hui, on manque cruellement de professionnels de santé dans les pays les plus pauvres et la qualité de la prise en charge s’en ressent.

– Plus d’argent enfin, pour permettre de travailler vraiment sur la qualité des soins, la rétention des patients dans les centres de prise en charge, l’amélioration de l’observance, de la surveillance biologique, virologique et clinique, etc. Cet objectif de qualité est, à mes yeux, prioritaire mais il n’est pas repris. On ne peut pas se contenter de plus de personnes sous traitement, il faut plus et mieux traiter les personnes vivant avec le VIH.

Impliquer plus les sociétés

Parallèlement, je pense que leadership politique s’émousse sur le sida. Les ministres de la santé des pays pauvres commencent à se dire que le Fonds mondial pourrait ne pas leur apporter les fonds nécessaires de façon pérenne et du coup, on les sent plus timide qu’avant. Les mêmes responsables politiques, si on peut les convaincre d’agir en direction des populations les plus exposées, font face à des sociétés conservatrices qui restent donc homophobes et réticentes à une prise en charge moderne des usagers de drogue. Mais on ne peut pas leur jeter la pierre. On a juste oublié d’impliquer plus les sociétés dans ce débat. Nous ne pouvons pas leur imposer notre concept de droit de l’Homme mais il faut faire émerger un mouvement de militants pro droits humains localement.

Enfin, je terminerai en disant que les choses vont très vite sur le plan scientifique ; on est donc incapable de déterminer ce qu’on fera dans trois ou quatre ans… je prends un exemple: Aujourd’hui, dans les pays où on peine à mettre sous traitement des nouveaux patients, les plus immunodéprimés ont la priorité. Or, on sait bien que l’on devrait plutôt mettre ceux qui vont bien sous traitement pour espérer avoir un résultat en matière d’incidence sur une population. Mais comment refuser des traitements à celui ou celle qui a 40 CD4? Là encore, il faut donc finalement plus de ressources, pour multiplier par trois ou quatre, en cinq ans, ce qu’on a fait en 10 ans!»