Recherche — PrEP : Médecins et militants débattent d’Ipergay

Ce qui n’était encore qu’un projet prend forme à l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS). Dans quelques mois, à Paris, Lyon et à Montréal, les gays séronégatifs ayant des rapports sexuels pas toujours protégés se verront proposer de participer à un essai de recherche bio-médicale, Ipergay (pour Intervention préventive de l’exposition aux risques avec et pour les gays).

Cet article a été précédémment publié sur Yagg.com.

Traitement préventif «à la demande»

L’objectif principal de cet essai est d’évaluer une stratégie de prévention de l’infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. comprenant un traitement antirétroviral pré-exposition «à la demande» au sein de la communauté homosexuelle masculine exposée au risque d’infection par le VIH. Mais le traitement n’arrive pas seul: l’essai proposera une offre globale de prévention (accompagnement individuel, conseils et suivi personnalisés (counselling), dépistage du VIH et des ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  préservatifs, vaccins) associée à la prise de comprimés de Truvada ou d’un placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) selon le schéma suivant: deux comprimés avant le premier rapport sexuel, puis un comprimé toutes les 24 heures pendant la période d’activité sexuelle et une dernière prise de comprimé après le dernier rapport. À la différence de l’essai américain iPrEx, durant lequel la prise du traitement (ou du placebo) était quotidienne, Ipergay propose un traitement à la demande, en fonction de l’activité sexuelle. Selon Jean-Michel Molina, principal investigateur de l’essai, cette stratégie pourrait améliorer l’observance, point faible de l’essai américain. Beaucoup de participants oubliaient de prendre leur traitement, ce qui rendait son effet protecteur moins puissant.

Samedi 5 mars, de 13h30 à 18 heures, Jean-François Delfraissy, le directeur de l’ANRS, le Pr Jean-Michel Molina, François Berdougo du groupe TRT5, le Pr Gilles Pialoux, de l’hôpital Tenon (et Vih.org), Jean-Marie Le Gall de Aides et Marie-Christine Simon, directrice de la communication de l’ANRS se sont succédé-e-s à la tribune de l’auditorium de l’Hôtel de Ville, pour faire le point sur l’état du projet d’essai, les questions sans réponse concernant la prévention par un traitement, l’attente de l’ANRS vis-à-vis des associations LGBT et de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. Et pour répondre aux questions parfois très punchy des quelques 70 participants.

Il y a urgence

D’emblée, Jean-François Delfraissy a expliqué en quoi cet essai était un nouveau défi pour l’ANRS. Un budget de 10 millions d’euros sur 4 ans, dont 2 millions pour la phase pilote: Ipergay sera l’essai le plus coûteux jamais entrepris par l’Agence.  Car pour Jean-François Delfraissy, il y a urgence à augmenter le niveau de prévention chez les homos: Près de 4000 se contaminent chaque année, soit la moitié des nouvelles infections par le VIH diagnostiquées en France.

De son côté, Jean-Michel Molina, de l’hôpital Saint-Louis, a expliqué que le traitement pourrait devenir «un moyen additionnel de prévention». Il s’agit bien d’augmenter le nombre d’outils de prévention, mais pas de les opposer.

Effets collatéraux bénéfiques

De retour le matin même de la Conférence sur les rétrovirus (Croi) de Boston, Gilles Pialoux a, lui, insisté sur les effets collatéraux bénéfiques de l’essai américain iPrEx qui y ont été présentés: baisse du nombre d’IST chez les participants, diminution des comportements à risque. C’est pourquoi, lors de cette réunion, beaucoup ont insisté sur l’aspect multidimensionnel de cet essai: oui on verra si le traitement est efficace, mais c’est toute l’intervention qui sera analysée pour évaluer le rapport coût-efficacité des différentes stratégies de prévention étudiées.

Dans la salle, les questions allaient du très pointu au très concret: si certains s’interrogeaient sur le design de l’essai ou sur la validité du placebo, d’autres faisaient remonter les réflexions du «terrain». «Ce que les gens attendent, c’est une pilule», a ainsi lancé, un brin provocateur, le représentant de l’ASMF.

Antonio Alexandre, directeur du pôle prévention du Sneg, a expliqué qu’il avait, lors de discussions préparatoires, réclamé un troisième bras, en plus du bras avec traitement et du bras avec placebo: un bras «hypercounselling» (conseils et accompagnement poussés) seul. Jean-Michel Molina y était plutôt favorable mais cette option n’a pas été retenue, notamment en raison de l’opposition de certaines associations. Mais il y aura un « hypercounselling » disponible sur la base du volontariat.

Le représentant de l’association Warning a insisté sur l’importance du suivi médical. De son côté, le responsable d’un sauna toulousain, qui avait mené sa propre «enquête» auprès de la clientèle de son établissement, a expliqué que des clients avaient évoqué le risque d’une prévention bio-médicale ou la crainte que les gays soient utilisés comme cobayes. Moment de malaise…

Quelle prise en charge si le traitement marche?

Bruno Chautemps, de la Fédération LGBT, demande alors si ce traitement sera pris en charge si l’essai s’avérait concluant, craignant qu’il ne soit accessible qu’à ceux qui pourront se le payer. Jean-François Delfraissy n’a pas la réponse, mais a affirmé que cette discussion allait débuter dès le démarrage de l’essai. Selon nos informations, le ministère de la Santé vient d’ailleurs de saisir le Conseil national du sida sur le traitement pré-exposition, son intérêt, son impact sur la collectivité et sa prise en charge. Un avis dont on ignore encore quand il sera rendu mais qui devrait sûrement faire parler de lui!

Déception en revanche sur la consultation communautaire, qui n’a pas permis de dégager ce que les gays pensaient de cet essai. C’était quand même le but de cet exercice mené par le TRT-5 entre février et décembre 2010.

À essai exceptionnel, dispositif exceptionnel. Un comité associatif (nom provisoire) sera créé, et c’est une première. Il sera ouvert aux associations gays, LGBT et de lutte contre le sida, pour mieux représenter les intérêts des participants à l’essai Ipergay. Ce comité aura un rôle consultatif et pourra informer le Comité scientifique de l’essai, lui-même composé d’environ 15 personnes.

Le calendrier est cependant très serré: si l’essai doit démarrer cet automne, il ne reste plus beaucoup de temps aux associations pour se mettre en ordre de marche, pour faire savoir à l’ANRS si elle souhaite s’impliquer dans le recrutement, le suivi de l’essai, le comité associatif. On aura compris à l’issue de cette réunion que Jean-François Delfraissy joue gros sur cet essai, et pas seulement en raison de son coût. Avec Ipergay, c’est bien une étape fondamentalement nouvelle pour les stratégies globales de prévention qui démarre.