TasP — Risque de transmission du VIH et couples sérodifférents dans la province de Henan en Chine

L’étude de Lu Wang et al. semble à première vue questionner l’efficacité du traitement comme prévention de la transmission du VIH. Mais ses résultats confirment plutôt l’importance de la qualité, du type et de l’observance du traitement suivi.

L’étude de Lu Wang et al. semble à première vue questionner l’efficacité du traitement comme prévention de la transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Mais ses résultats confirment plutôt l’importance de la qualité, du type et de l’observance du traitement suivi.

Ne nous y trompons pas, le titre de l’éditorial qui accompagne l’article chinois de Lu Wang et al. 1Wang L et al., HIV transmission risk among serodiscordant couples : a retrospective study of former plama donors in Henan, China, Journal of Aids 2010;55:232-238 — «HIV Treatment as Prevention: To be or not to be?» de Myron Cohen 2Cohen MS, HIV treatment as prevention : to be or not to be?, Journal of Aids 2010;55:232-238 — n’est pas une provocation mais une pièce au débat sur le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). (Treatment as Prevention). Il s’agit en effet d’évaluer si les publications scientifiques de ce type sont des arguments en faveur ou en défaveur de l’utilisation du traitement antirétroviral comme outil combiné de prévention. Cette première publication chinoise a donc du poids, moins par ses résultats négatifs que par les hypothèses qu’elle sous-tend.

Analyse et décryptage d’une publication concernant 1927 couples hétérosexuels chinois sérodifférents de la province de Henan et qui est une pièce au dossier des bases scientifiques du plan national français de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. 2010 / 2014.

Le sang de la Chine

Pour ceux qui veulent tout savoir sur le contexte si particulier de cette province chinoise, on ne saura que trop conseiller la lecture du remarquable ouvrage de Pierre Haski, Le sang de la Chineparu en 2005 et qui démontre comment, au début des années 1990, les autorités sanitaires de la province du Henan avaient incité les paysans les plus pauvres à vendre leur sang afin de pallier l’interdiction d’importer des produits sanguins… pour lutter contre le VIH. Le tout dans d’incroyables conditions d’insécurité sanitaire avec seringues réutilisées, sang réinjecté avec extraction de plasma, etc. En résumé: un modèle expérimental de contamination «nosocomiale» où se mêlaient scandale de Santé publique et cynisme politique, parfaitement décrypté par Pierre Haski. Un livre qui reste interdit dans ce pays.

Dans l’étude de Wang et al., les données sont issues d’une cohorte de couples sérodifférents pour le VIH où ont été étudiées 4348 femmes VIH négatives, mariées et vivant avec un partenaire séropositif dont seulement 1927 (44,8%) ont accepté les questionnaires des investigateurs… A noter que les caractéristiques des participants à l’étude et des non-participants étaient comparables en termes d’âge et de sexe.

Sur la période de l’étude, qui va de janvier 2006 à décembre 2008, il a été observé 84 séroconversions parmi les 1927 couples sérodifférents (4,3%), ce qui représente un taux de séroconversion annuel de 1,71 pour 100 personnes/années. Il n’y avait pas de différence significative entre les taux observés de séroconversion chez les femmes (1,66 pour 100 personnes/années) et chez les hommes (1,75 pour 100 personnes/années).

En termes de comportement à risque, 83,6% des couples (1611) rapportaient avoir des relations sexuelles avec une fréquence médiane de 3,5 rapports par mois pour une population âgée de 44 ans + 7,7années (30-69), le nombre de rapports sexuels influençant effectivement le taux de ces séroconversions y compris dans un modèle multivarié (risk ratio = 5,24 ; 95% CI : 2,55-10,77). Quatre-vingt-quinze pour cent des couples rapportaient avoir toujours utilisé le préservatif durant le mois précédant le questionnaire, et le fait d’être dans les 7% qui n’utilisaient pas toujours le préservatif correspondait à un risque multiplié par 12,64 (95% CI: 8,18-19,57), ce risque se maintenant aussi en analyse multivariée.

A noter que les infections sexuellement transmissibles (IST) ont été documentées; seulement 3% des femmes séronégatives dans ces couples sérodifférents rapportaient avoir eu une ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  dans le passé.

Séroconversions

En ce qui concerne les paramètres VIH chez le patient infecté et leur association avec la séroconversion de la partenaire, on relève d’abord que la plupart des hommes infectés (80,4%) étaient sous traitement antirétroviral. Il n’y avait pas de différences significatives en termes de séroconversion entre les femmes dont les partenaires étaient sous traitement antirétroviral et les autres, et c’est le résultat principal de cette étude (P=0,12). Le stade de la maladie (sida versus non sida) n’était pas associé de manière significative à la séroconversion.

Sur les 1369 personnes recevant un traitement antirétroviral, 266 avaient modifié leur traitement dans leur parcours de soins, contre 1103 qui n’avaient jamais changé de traitement antirétroviral, restant de fait en première ligne. On relèvera un point important: un traitement antirétroviral non modifié était significativement associé de façon positive à la séroconversion en référence au changement de traitement antirétroviral ( R=2.66 ; 95% CI : 1,15-6,15). Mais cette différence était non significative en analyse multivariée.

A noter par ailleurs que cette population était «extrêmement conjugale», avec 1927 couples ne rapportant aucun liens extra-maritaux. A noter qu’il n’y avait pas de différences significatives entre la transmission femme-homme et la transmission homme-femme dans cette étude.

Une population en traitement de première ligne

Parmi les principaux éléments à retenir de ce travail chinois, outre le fait que c’est la première étude de couples sérodifférents dans cette région du monde, on note d’abord le taux d’incidence qui, contrairement à ce que disent les auteurs, peut être considéré comme élevé avec 1,71 pour 100 personnes / année.

Il est par ailleurs assez curieux de n’observer aucune association avec le stade clinique (sida, nombre de CD4), ni avec le sens de la relation sexuelle en l’occurrence femme-homme ou homme-femme. On peut noter que cette étude se rapporte à une population particulière, avec notamment avec une absence importante d’IST, ainsi qu’un mono-partenariat quasiment strict au moins sur le plan déclaratif.

Mais l’élément essentiel est probablement apporté par les hypothèses fournies par les auteurs: cette population est quasi exclusivement en traitement antirétroviral de première ligne, sans aucune possibilité d’analyser l’élément charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. VIH comme facteur de risque, sans données virologiques en termes de résistance et sans donner de recueil en termes d’observance. Les auteurs précisent même que d’autres études menées dans le Henan montrent que 66% des patients avaient un taux d’adhésion aux traitements insuffisant dans les six mois précédant l’enquête (référence 27) ! Plus de 50% des patients suivis cinq mois dans cette région de Chine avaient un échappement immunologique lié au manque de mise à disposition de seconde ligne de traitement antirétroviral (référence 18). Le risque relatif de 2,66, entre ceux qui ont accès à un traitement de deuxième ligne et ceux qui n’y ont pas accès, est clair.

L’importance du traitement sur la transmissibilité

Ce résultat suggère l’importance du type de traitement sur la transmissibilité. La population étudiée ici montre un niveau particulièrement important de dysobservance, de maintien de traitements de première ligne et d’échappements.

On sait par ailleurs que dans la théorie du Test and treat (Dépister et traiter), la qualité du Treat est essentielle. On ne sait rien, dans cette étude, sur les données de charge virale et de résistances. Pour ne citer qu’une étude de ce type, en miroir bien que conduite au Canada, les principales conclusions de la publication de  Julio Montaner et al.3Montaner JS, et al., Association of highly active antiretroviral therapy coverage, population viral load, and yearly new HIV diagnoses in British Columbia, Canada: a population-based study, Lancet. 2010 ;376:532-9. indiquent que:

– Pour 1 log10 de décroissance de l’ARN VIH 1, les cas de contamination VIH ont diminué de 0.86 (95% CI 0.75-0.98);
– La corrélation entre le nombre de patients sous HAART et le nombre de nouveaux diagnostics VIH par an est de – 0,89 (p<0,0001);
– Pour 100 nouveaux cas de patients mis sous HAART, le nombre de nouveaux diagnostics baisse d’un facteur 0.97 (95% CI 0.96-0.98).

Enfin, le taux de transmission que les auteurs chinois estiment bas augmente avec le temps, soit par un effet d’épuisement des messages de prévention qu’on a observé ailleurs dans le monde, soit par effet de l’échappement virologique et de la monté croissante de la charge virale, soit par l’augmentation des comportements à risque associés ou non aux facteurs immuno-virologiques de susceptibilité au VIH. Comme le rappelle Myron Cohen dans son éditorial.

En conclusion, cette étude confirme que le succès du Test and Treat en population est lié à la capacité d’un traitement antirétroviral à amener une réduction drastique de la charge virale chez les patients traités afin de protéger leurs partenaires sexuel(le)s, ce qui n’était pas le cas dans l’étude chinoise.