Usage de drogue — Déclaration de Vienne: et maintenant ?

Cet article a été publié dans Transcriptases n°144 Spécial Vienne 2010, réalisé en partenariat avec l’ANRS.

Le raidissement du gouvernement français face à la proposition de créer des salles de consommation dans quelques villes de France apparaît en cette fin d’été 2010 en décalage complet avec l’expérience d’abord, et, plus largement, avec la position partagée dans la communauté VIH: le principe prohibitionniste et répressif qui est au centre de la politique de la drogue au niveau international et dans chaque pays est contre-productif, car il génère la criminalité et amplifie les effets néfastes sur la santé de la consommation de drogues, notamment l’infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. et celle par le VHC.

Les mesures de réduction des risques n’augmentent en rien la consommation de drogue dans la population, elles sauvent les usagers et préservent leur dignité et leurs droits. Elles sont utiles et souhaitables, nous en avons la preuve par les travaux scientifiques. Il est donc grand temps de changer de politique. Telle est la teneur de la Déclaration de Vienne lancée par l’IAS à l’initiative des chercheurs de Vancouver.

Vienne, un lieu symbolique

Vienne était en effet un lieu symbolique pour cet appel non seulement à rendre disponible sans délai toutes les mesures de réduction des dommages qui ont fait leur preuve dans la lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. mais, plus largement, à revoir les bases mêmes de la politique des drogues. Du coeur de l’Europe, dans cette ville si longtemps au contact du rideau de fer et lieu de négociations en tous genres, il s’agissait d’interpeller les pays qui résistent à la mise en oeuvre de ces mesures, au premier rang desquels la Russie, qui s’enfonce dans un déni des acquis scientifiques et exclut cyniquement les usagers de drogue de toute intervention préventive ou médicale. Vienne est aussi le siège de l’Onudc, l’agence onusienne contre la drogue et le crime, arc-boutée sur le dogme répressif malgré l’échec patent de celui-ci, une agence qui continue pourtant, avec les conventions internationales, à encadrer le droit des Etats.

Les nombreuses sessions consacrées au cours de la conférence aux usagers de drogue (contrastant en cela avec les éditions précédentes) ont montré l’ampleur des problèmes de santé et d’atteintes aux droits de l’homme. Mais elles ont aussi fait apparaître que l’ex-monde soviétique n’est pas monolithique, et que certains pays comme l’Ukraine ou la Géorgie avancent malgré l’adversité et grâce à la mobilisation de la société civile.

Aller plus loin en sortant du tout-répressif

Entamé au Nord dans les années 1980, le combat pour la réduction des risques reste d’actualité. De nombreux pays résistent encore à mettre en oeuvre les mesures de base (accès aux seringues, traitements de substitution, services à bas seuil, action par les pairs, etc.) ou les tolérent à petite échelle pour complaire aux bailleurs internationaux tout en maintenant une répression violente portant souvent atteinte aux droits de l’homme.

En France, qui ne s’est pas illustrée par son caractère précurseur en la matière, la réduction des risques a été reconnue au milieu des années 1990 et a fini, en 2004, par être instituée comme une dimension nécessaire de la politique de santé en matière de drogue. Les preuves de son efficacité sont patentes, mais ses limites actuelles aussi (besoins des crackeurs, jeunes usagers, épidémie d’hépatite C, etc.). Il faut donc aller plus loin. Aujourd’hui pourtant, comme dans beaucoup d’autres secteurs de la société, priorité est donnée par le gouvernement – contre l’évidence des faits – au tout-répressif. Un backlash ringard mais dangereux.

Un changement radical de la politique des drogues

La déclaration de Vienne va plus loin que la réduction des risques. Elle appelle à un changement radical de la politique des drogues, qui abandonnera le principe de prohibition et en particulier tout ce qui concerne la répression des usagers. La criminalisation des drogues, loin de créer un contrôle des stupéfiants, l’a en réalité transféré aux syndicats du crime qui exercent leur pouvoir par la violence et par la corruption de la police et des politiciens. Faute de volonté dans la lutte contre la corruption, de capacité à désarmer les mouvements politiques en offrant des perspectives de paix ou en sacrifiant sur l’autel de l’économie les catégories les plus pauvres des pays riches, c’est toujours sur les usagers que retombe le bras armé des Etats.

Les auteurs de la Déclaration de Vienne n’en disent pas beaucoup plus sur ce que seront ces principes nouveaux. Dans cette redéfinition qui touche de très larges secteurs – la production des drogues, la corruption, les pratiques policières, le banditisme international, les relations entre Etats, le contrôle de produits qui comportent pour certains d’énormes risques -, il faudra faire preuve de beaucoup d’efforts et d’intelligence collective afin de faire émerger une régulation douce des drogues. Il sera très important alors que les acteurs mobilisés aujourd’hui – professionnels, chercheurs, associations du champ de la santé – soient présents, car ils sont dépositaires d’une énorme expérience objectivée par des milliers de données sur l’intérêt de tenir compte en premier lieu des besoins et des capacités des consommateurs de drogue.

De la guerre à la drogue à la régulation douce

La Déclaration de Vienne ne doit donc pas rester un acte symbolique mais au contraire constituer le point de départ d’une réelle coalition pour passer de la guerre à la drogue à la régulation douce. Dans d’autres secteurs du monde social émerge aussi la nécessité de ce changement radical pour y limiter la pénétration de la violence, y compris dans les villes ou pays les plus atteints par la violence liée à la drogue : le Mexique bien sûr, mais aussi le Royaume-Uni ou la France (en témoigne l’engagement de maires comme ceux de Paris, Marseille…).

Fin septembre, plus de 17000 personnes avaient signé la Déclaration, dont des institutions et des responsables politiques, mais c’est peu au regard de ce qui est à accomplir. Il faut donc porter plus loin la Déclaration pour faire émerger un plaidoyer efficace face à nos gouvernements, et, disons-le, à de larges secteurs du monde politique et de l’opinion, et au niveau international.

>>> Vienne 2010
Toute l’actualité de Vienne 2010 est sur Vih.org. A l’occasion de la conférence, Vih.org s’associe à Libération.fr et Yagg.com. Les photos et l’ambiance de la conférence sont sur Vu, le regard de Vih.org.