Du «groupe à risque» aux réseaux sexuels — Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne en France face au VIH/sida

Les populations originaires d’Afrique subsaharienne vivant en France constituent l’un des «groupes à risque» construit par l’épidémiologie du VIH/sida. La catégorie épidémiologique du «groupe à risque», si elle permet d’identifier des populations cibles et ainsi d’orienter les campagnes de prévention, suppose implicitement l’existence et l’homogénéité de ce groupe social. En outre, s’agissant de personnes migrantes, le rejet d’un culturalisme —qui a notamment contribué à distinguer un «modèle africain de sexualité»— au profit de problématiques plus larges intégrant les conditions de vie, n’ont pas facilité la nécessaire prise en compte de la sexualité.

La notion de réseaux sexuels, qui renvoie à l’ensemble de personnes qui sont liées directement ou indirectement par des relations sexuelles, constitue une alternative à la catégorie de groupes à risque. Sont pris en compte à la fois des facteurs contextuels qui contraignent les relations et les comportements sexuels – la ségrégation résidentielle peut limiter le « choix » des partenaires – et la dimension relationnelle de la transmission. Ainsi, l’appartenance à un type de réseaux sexuels peut conduire à une exposition majorée au risque de transmission de VIH/sida  en fonction de la prévalence dans ce réseau et des comportements de prévention qui y sont pratiqués.

Cette perspective a été développée aux USA dès la fin des années 1980 et a révélé que la majorité des relations sexuelles a lieu entre des personnes ayant des caractéristiques sociales similaires. Néanmoins, certains facteurs peuvent conduire à une augmentation de la «mixité» dans les relations sexuelles, et en particulier la migration. En outre, les hommes et les femmes d’un même groupe social peuvent avoir des réseaux sexuels différents en raison de différences dans leurs réseaux sociaux, dans leurs statuts et leurs aspirations conjugales. Ces recherches ont également mis en avant l’importance du «multipartenariat» dans la diffusion de l’épidémie.

Pour illustrer l’intérêt d’une approche en terme de réseaux sexuels, nous nous appuierons sur une enquête quantitative réalisée en 2005 auprès de 973 femmes et 901 hommes originaires d’Afrique subsaharienne vivant en Ile-de-France et âgés de 18 à 49 ans. L’objectif de cette enquête était d’évaluer les connaissances, attitudes et pratiques de ces populations par rapport au VIH/sida. A travers des analyses portant sur l’origine géographique des partenaires sexuels des enquêtés, on s’attachera à caractériser leurs réseaux sexuels tout en interrogeant les catégories de «mixité sexuelle» et de «multipartenariat».

La distinction entre différentes formes de mixité sexuelle, majoritairement intra-africaine pour les femmes et plus souvent extra-africaine pour les hommes, indique que les réseaux sexuels de ces femmes sont plus ségrégués. En outre, l’importance d’un multipartenariat concomitant de longue durée pour les hommes constitue une situation particulièrement à risque, pour eux ainsi que pour leurs partenaires. La prise en compte des mixités et des multipartenariats permet alors de décrire plus finement les réseaux sexuels de ces personnes et d’éclairer les contextes les plus à risque de transmission sexuelle du VIH/sida.

>>> Cette présentation fait partie des interventions des Journées scientifiques 2010 des jeunes chercheurs en sciences sociales et VIH/sida. La seconde journée était consacrée aux Recherches contemporaines sur la sexualité au temps du VIH/sida