Interview — Lutte contre le sida: Les nouveaux enjeux économiques

Test and Treat, «transition sida», à quelques jours de la Conférence de reconstitution du Fonds Mondial, à New York, les 4 et 5 octobre, Jean-Paul Moatti décrypte pour nous les enjeux économiques de la lutte contre le sida, et fait le bilan de la Conférence internationale de Vienne.

Professeur d’économie à l’université Aix-Marseille II, Jean-Paul Moatti travaille depuis 2000 sur l’économie de la santé dans les PED et l’accès aux médicaments essentiels. Il a notamment aidé à démontrer la faisabilité économique de l’accès aux traitements dans les pays du Sud. Il préside les recherches en santé publique et sciences sociales de l’ANRS et dirige l’unité de recherche SE4S (UMR 912, InsermInserm Institut national de la recherche médicale. – IRD). Il a été conseiller auprès du directeur du Fonds mondial.

Lors de la Conférence internationale, l’attention du monde a été braquée sur Vienne, notamment au sujet des engagements des pays donateurs du Fonds mondial. La mobilisation a-t-elle porté ses fruits ?

Sur ce plan, la Conférence de Vienne a été assez décevante, en raison de l’absence des leaders politiques internationaux. Certes, à Vienne, on a beaucoup écouté le directeur du Fonds mondial, Michel Kazatchkine, qui a exprimé avec force ses inquiétudes pour la prochaine Conférence de reconstitution, les 4 et 5 octobre. C’est lors de cette conférence triennale que les pays donateurs1Principaux donateurs de 2001 à 2010, Etats-Unis, France, Italie, Commission Européenne, Japon, Allemagne, Royaume Uni, Canada, Espagne, Pays-Bas, Suède, Norvège (source : Fonds Mondial). annoncent leurs engagements pour les trois ans à venir. S’il n’est jamais garanti que les promesses soient respectées, c’est un message très fort aux pays bénéficiaires. Pour poursuivre le passage à l’échelle vers l’accès universel, le Fonds aurait besoin d’un doublement des financements, soit 20 milliards de dollars pour les trois prochaines années. Sinon, le passage à l’échelle, c’est terminé.

Pour l’instant, personne au G8 ne semble s’emparer de la question comme un thème de bataille important. Des annonces pourraient être faites à la réunion des chefs d’Etat à l’Onu, du 20 au 22 septembre, pour le Sommet de Bilan des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Mais il semblerait que les engagements ne soient pas à la hauteur de l’enjeu. Je veux bien croire que la crise réduise la mage de manœuvre. Mais si c’est le cas, les leaders, comme Obama, doivent dire clairement qu’ils renoncent aux engagements, car il faudra trouver des « plans B ».

Justement, où en sont les projets de taxe internationale sur les transactions financières, demandés par les activistes, comme la taxe Robin ?

Dés lors que les gouvernements arguent de la crise et des déficits publics qu’elle entraîne pour ne pas tenir en termes d’aide publique au développement l’engagement de l’accès universel, il serait de leur devoir de trouver une alternative. Une taxe «Robin» modeste (0,01 %), et donc économiquement indolore, sur les seules transactions de change interbancaires rapporterait 40 milliards de dollars par an. Six fois plus que ce dont le Fonds Mondial a besoin !

Bien sûr, une telle taxe suscite des oppositions, notamment des responsables anglo-saxons. Mais de ce point de vue, le 21 juillet est à marquer d’une pierre blanche: un parlementaire américain important, Pete Stark, vient de déposer un projet de loi visant à introduire une taxe internationale sur les transactions financières pour financer la santé et le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. dont une part serait donnée au Fonds mondial, un peu sur le modèle de la taxe Robin. C’est un premier pas, un symbole. Les ministres français et allemands des Finances ont déjà proposé une taxe plus élevée pour lutter contre les bulles spéculatives sur les marchés financiers, dont une partie du produit pourrait être consacrée à la santé. Grâce au travail des activistes associatifs et des chercheurs, on peut faire des miracles.

Qu’en est-il des oppositions entre systèmes de santé et lutte contre le sida ?

L’armistice est enfin signé entre ceux qui plaident pour la lutte contre le sida, et ceux qui plaident pour l’amélioration des systèmes de santé. Il faut plaider pour les deux. L’évidence est croissante qu’avec les financements sida, on peut aussi améliorer la santé globale si l’on s’en donne les moyens. Notamment avec la décentralisation des systèmes de soins, comme le montrent les expériences au Malawi ou au Cameroun. Mais cela dépend en premier lieu des capacités propres des pays. S’ils parviennent à intégrer la lutte contre le sida dans une réforme des systèmes de santé (ce que soit dit au passage, on ne parvient pas à faire en France), ça marche ! Le Fonds mondial a un mandat : la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, et ses capacités sont limitées. On ne peut lui demander de tout financer. La Zambie n’a que 20 % des infirmières dont elle aurait besoin, le Fonds ne peut abonder les 80 %. On peut cependant sortir cette tension par le haut. Par exemple, le Rwanda a investi dans un plan d’assurance santé pour toute sa population, et a obtenu du Fonds un complément de financement pour la part de la population la plus vulnérable au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. C’est une synergie positive.

Mais je dois dire que les pays donateurs font preuve d’une certaine hypocrisie. Ils prétendent qu’on ne peut pas augmenter les financements de l’accès universel, mais demandent d’étendre le mandat à la santé maternelle et infantile. Le danger est qu’on force le Fonds à diluer son action, ce qui le mettrait en échec. Le piège tendu de façon plus ou moins volontaire par les Etats-Unis et les pays européens risque de se refermer.

Y a-t-il de nouvelles études économiques sur la rentabilité de l’accès au traitement ?

On commence à avoir des études économiques montrant que la révision des guidelines de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – l’abandon de la stavudine [qui a trop d’effets délétères irréversibles, NDLR], la remontée du seuil de démarrage des traitements à 350 CD4 et le traitement comme prévention (TASP) – est de plus en plus validée sur le plan économique. Raisonner à court terme sur le coût de la molécule n’est pas forcément le meilleur calcul. Il vaut parfois mieux dépenser un peu plus à court-terme, pour faires de grandes économies un peu plus tard. Des collègues américains qui expliquaient en 2002 qu’on ne pouvait permettre l’accès au traitement au Sud, expliquent aujourd’hui l’inverse. Ils nous rejoignent pour aider à démontrer que traiter tout le monde est le choix économique le plus rentable à moyen et long terme. Si à cause de la crise, on renonce au doublement du financement du Fonds mondial, indispensable pour aller vers l’accès universel, on aura certes des économies à court terme. Mais plus de dépenses à moyen terme, autour de 2015-2020. Ce serait une bêtise macro économique importante.

Vous sonnez l’alerte : selon vous, il est crucial de soutenir l’idée d’utiliser le « traitement comme moyen de prévention », et ce notamment pour faire barrage à la solution de la « transition sida »…

La tendance principale est à un accès au traitement généralisé et de plus en plus précoce, avec l’idée qu’en plus de sauver des vies, cela permet de contenir l’épidémie. Mais une autre stratégie a été esquissée par certains à Vienne, et pourrait voir le jour prochainement, par exemple à Washington en 2012. Elaborée avec de beaux modèles mathématiques, elle est diamétralement opposée. L’idée : maintenir relativement stable le nombre de morts en renonçant plus ou moins à de nouveaux progrès dans l’accès aux traitements. Ses promoteurs expliquent que ce ne serait pas si grave, dés lors que d’autres moyens de prévention (des préservatifs, ou des gels microbicides…) permettraient de diminuer le nombre de nouvelles infections. Leur calcul ? A un moment, le nombre de nouvelles contaminations va devenir inférieur au nombre de morts, et l’épidémie va s’éteindre progressivement. C’est ça, la « transition sida ».

Bien sûr, ce « pseudo-réalisme » qui rompt avec les valeurs de la lutte contre le sida est exprimé de façon plus policée. Mais il faut à tout prix empêcher que ne se cristallise ce climat intellectuel qui relancerait l’opposition improductive entre traitement et prévention. Il y a donc urgence à démontrer l’efficacité pratique et l’intérêt économique à l’échelle de populations de la stratégie « test and treat » présentée par Bernard Hirschel en plénière à Vienne. J’espère que l’essai prévu avec l’Africa Center du Kwazulu-Natal d’Afrique du Sud avec le soutien des équipes ANRS pourra démarrer rapidement.

La conférence de Vienne a-t-elle permis d’avancer sur les médicaments génériques ?

En ce domaine, les choses n’avancent pas aussi vite qu’on le voudrait, alors que l’accès au traitement au Sud n’a été rendu possible que par les médicaments génériques, comme l’a rappelé dans la plénière du mercredi, Ellen ‘t Hoen, conseillère d’Unitaid en matière de brevets. Jusqu’en 2005, on a pu jouer sur le caractère non universel du système international de la propriété intellectuelle : il avait en effet été accordé, pour les pays en développement (PED), un délai de mise en application des accords internationaux ADPIC (Accords sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle touchant au commerce) de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Avant leur signature en 1994, il subsistait une grande variabilité de la législation dans les brevets. Certains pays, comme l’Inde, se refusaient même à couvrir les médicaments par des brevets. Ce qui d’ailleurs était la norme jusqu’à la moitié du XX° siècle, avant la mise en place d’une industrie pharmaceutique puissante dans les pays développés. Avec les ADPIC, les brevets s’appliquent désormais partout de la même façon, y compris pour les produits de santé. Tous les pays ont dû mettre en place une légalisation nationale compatible.

Dans les PED, pendant le délai accordé jusqu’en 2005, on a pu agir pour l’accès aux traitements. C’est avant tout la concurrence des médicaments génériques, qui a permis la baisse des coûts des antirétroviraux et la fabrication des combinaisons à dose fixe (qui regroupent plusieurs molécules, dont les brevets appartenaient parfois à des laboratoires différents dans un même comprimé). Cette concurrence et la mobilisation de l’opinion publique mondiale ont incité les firmes « princeps », qui détiennent les brevets des molécules, à pratiquer des « prix différentiels » favorables aux pays les plus pauvres. Avant 2005, les génériqueurs indiens n’étaient pas soumis aux brevets, ce qui a permis le tournant de l’accès au traitement au Sud au début des années 2000. Avec notamment le médicament le plus utilisé en première intention dans les PED, la Triomune fabriquée par Cipla (qui combine stavudine, lamivudine et névirapine).

Le système des licences obligatoires alors mis en place a-t-il été efficace ?

Oui, ce sont elles qui ont permis l’accès aux génériques, avec des critères de brevetabilité assez stricts. L’action du mouvement sida a été cruciale pour imposer et utiliser des flexibilités dans les ADPIC au nom de la santé publique. Par exemple, les activistes ont su s’entourer de juristes et chimistes pointus, qui exigeaient une vraie innovation pour qu’un brevet puisse être déposé. Il y a eu de grandes victoires, comme l’accord signé à Doha en 2003. Cet accord reconnaît qu’un pays peut émettre des licences obligatoires s’il estime faire face à une urgence sanitaire. Selon la procédure OMC, les licences obligatoires sont la possibilité pour un pays, de produire une molécule brevetée, ou de l’importer à un plus bas prix, sans l’accord du titulaire du brevet, sous réserve de certaines procédures et du paiement de royalties. Le rapport de force était alors favorable : parmi les 32 pays les plus pauvres du Monde, 28 les ont activées. C’est comme cela que la Thaïlande, le Brésil, l’Equateur ont pu produire des médicaments sous licences obligatoires. Celles-ci sont une brèche dans le pouvoir de monopole conféré par un brevet, une sorte d’arme atomique pour la dissuasion. La possibilité d’y avoir recours permet parfois de négocier d’autres solutions avec les firmes princeps. Ainsi, le laboratoire ViiV Healthcare a annoncé à Vienne qu’il distribuerait des licences gratuites sur ses médicaments à des fabricants de génériques des 69 pays les plus pauvres.

Un mécanisme alternatif, le patent pool ou Communauté de brevets était au cœur de la plénière d’Ellen’t Hoen. Quel est le principe ? Où en est-on ?

Ce mécanisme est porté depuis fin 2009 par Unitaid, et soutenu par de très nombreuses ONG, Son principe ? les laboratoires mettent leurs brevets dans un pot commun pour faciliter les négociations. C’est un système où tout le monde est gagnant : c’est plus de rapidité et de simplicité pour les génériqueurs, notamment pour élaborer des combinaisons à doses fixes plus faciles à prendre, recommandées par l’OMS et l’Onusida, plus de royalties pour les laboratoires, et bien sûr, plus de médicaments pour les personnes vivant avec le VIH ! A Vienne, Unitaid a annoncé que le dispositif est prêt : une fondation suisse a été créée, la Medicines Patent Pool Foundation (MPPF), dédiée exclusivement aux ARV. Elle devrait très vite pouvoir commencer les négociations formelles avec les détenteurs de brevets. Jusqu’ici, les discussions sont encourageantes, certains ayant indiqué un grand intérêt.

Même si aucun accord n’a été conclu, ce mécanisme intelligent a la faveur de certaines firmes, en partie parce qu’il s’inscrit dans une vision nuancée des choses. Pour garantir un flux de produits de qualité avec les prix les plus bas possibles, il faut trouver un équilibre entre les contraintes d’amortissement de leur investissement de R & D par les firmes et les besoins de la santé publique mondiale. Avec, à moyen terme, des prix certes suffisants pour maintenir la mise sur le marché de nouvelles molécules. Mais évitant aussi des rentes qui iraient bien au-delà de la légitime rémunération des efforts de développement et des risques d’investissement associées, et qui se feraient au détriment des consommateurs. Equilibre difficile à établir, évidemment.

L’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), dénoncé par les activistes, parce qu’il assimile médicaments génériques et contrefaits, est-il une menace ?

L’ACTA est un accord sur la contrefaçon négocié depuis deux ans par quelques pays en développement (Mexique, Maroc, Singapour). En théorie, il ne s’agit que de renforcer le pouvoir des douanes à contrôler les importations de «faux» médicaments et de copies non garanties, d’éviter les importations parallèles illégales. Mais en pratique, cela pourrait ralentir l’importation de médicaments génériques. En permettant, par exemple de garder à la frontière des stocks entiers de médicaments transitant d’Inde vers l’Afrique (où le brevet concerné n’est pas forcément enregistré). Depuis le compromis de Doha de 2003, les pays riches se sont efforcés, en jouant sur le caractère global des négociations commerciales, de « grignoter » les flexibilités introduites de haute lutte sur les ADPIC pour les produits de santé. En offrant, par exemple des contreparties de réductions de leurs barrières douanières pour leurs importations de produits agricoles et manufacturés en provenance du Sud. C’est ce qu’a fait le gouvernement américain en essayant d’imposer bilatéralement des accords dits « ADPIC plus ». C’est ce que font les tout récents accords de libre échange (FTA) entre l’Union Européenne et l’Inde, qui prévoient un allongement des brevets d’au moins dix ans (soit trente ans au total). Les activistes doivent maintenir la pression, notamment en raison de l’accès encore insuffisant aux molécules de 2e ligne et 3e ligne, et aux nouveaux médicaments, plus efficaces, désormais recommandés par l’OMS en 1ère ligne.

Vienne a été marquée par la présence de Bill Clinton et Bill Gates, dont les fondations dont des moyens très importants. Le plan américain PEPFAR est aussi un bailleur très important. Un rapprochement entre le Fonds mondial est-il envisageable ou même souhaitable ?

On a tout à gagner à ce que les différents organismes coordonnent et harmonisent leur action. C’est déjà un peu le cas sur le terrain, même s’il y a parfois des recoupements. Mais chaque agence a ses propres exigences, et les approches sont différentes : le Fonds mondial relève d’un multilatéralisme démocratique, PEPFAR d’un bilatéralisme dans la tradition américaine. Les Etats Unis mettent de l’argent à la fois dans PEPFAR et le Fonds mondial. Je pense peu probable que le Congrès américain votera un don unique au Fonds mondial et abandonne PEPFAR, d’autant qu’un tiers au moins des sommes revient aux firmes et organisations des Etats-Unis. La France a fait le choix du multilatéral, c’est très altruiste, elle y perd beaucoup en visibilité. La Fondation Gates finance le Fonds et Unitaid. Faisant partie des partenaires principaux, elle voudrait en tirer un contrôle. Elle privilégie aussi ses propres programmes. On parle toujours des gains de productivité espérés sur les médicaments et les réactifs (de 20 à 30 %), mais ils ne permettront pas de combler le fossé qui nous sépare de l’accès universel. Et rares sont ceux qui évoquent les gains de productivités à faire sur les coûts de structures et de transaction.

Comment s’adapter aux évolutions de l’épidémie et de l’économie ? Le niveau de revenus de certains pays bénéficiaires s’accroit tandis que certains pays à revenus intermédiaires ont des épidémies concentrées dans les populations exclues. Le Fonds Mondial doit-il rester présent dans les pays passant de bénéficiaires à donateurs ?

Oui, sans aucun doute. Il y a de nombreux débats sur le rôle des pays émergents, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil : il est difficile de les convaincre de consacrer 15 % de leur PIB à la santé. Selon moi, le Fonds gère correctement les dossiers de la transition et des discussions légitimes sur les critères d’éligibilité au Fonds mondial (les niveaux de revenus, l’ampleur du problème). Décider que les pays à revenu intermédiaires n’ont plus droit au Fonds serait une mauvaise stratégie, car il fait émerger des problèmes qui seraient négligés ou occultés si le rapport de force n’était que local. Dans les pays passant de bénéficiaires à donateurs, la société civile s’inquiète. Partie prenante des actions du Fonds mondial, elle craint d’être oubliée, voire muselée, si les gouvernements locaux prennent le relais. Avec le risque qu’en souffrent les droits humains, et donc la réponse à l’épidémie. Il n’y a qu’à voir la difficulté de mettre en place des programmes de réduction des risques liés à l’usage de drogues en Europe de l’Est, ou les programmes ciblant les hommes ayant des rapports homosexuels (MSM) ou les travailleurs du sexe dans de nombreux pays, en particulier dans certains d’Afrique subsaharienne. La présence du Fonds permet que ces groupes ne soient pas négligés. Ces programmes innovants forcent les autorités locales à avancer.

Que faire alors ?

A mon sens, il faut donc maintenir la possibilité que des pays à revenus intermédiaires soient à la fois bénéficiaires et donateurs, avec des possibilités de co-financement des programmes à 50 %. Le risque serait sinon que les populations les plus exclues soient négligées, ou que l’on laisse flamber l’épidémie. Les deux critères doivent être le revenu et l’ampleur du problème. Il va y a un difficile arbitrage à faire entre permettre le passage aux traitements de 2e ligne dans les pays les plus touchés et les plus pauvres, et ne pas laisser tomber les MSM ou les usagers de drogues dans les pays un peu plus riches. Ce serait une catastrophe politique, car ce qui fait la force du mouvement sida, c’est justement cette convergence.

Vous dites qu’une des clés du succès du Fonds est son mode de gouvernance qui inclut la présence de la société civile. Ce fonctionnement est-il menacé ?

Cette gouvernance est très originale par rapport aux organismes onusiens. La question, c’est comment faire que cette institution très innovante puisse s’imposer dans le paysage onusien, la banque mondiale, le FMI, les agences bilatérales, sans perdre son originalité. Comment vont évoluer les rapports de force ? Au mois d’août, 40 milliardaires américains ont annoncé vouloir consacrer la moitié de leur fortune à des œuvres humanitaires. C’est évidemment une bonne nouvelle, mais quels seront les mécanismes de gouvernance ? Des organismes internationaux multilatéraux, ou des fondations bilatérales? Le risque est celui du déséquilibre de ce qui a été mis en place. Jusqu’ici le Fonds a tenu car les sommes qu’il pouvait engager en faisaient le financeur principal. Que se passera-t-il s’il ne l’est plus?