Recherche vaccinale — La longue quête d’un vaccin prophylactique

De nombreux obstacles restent à franchir avant la mise au point d’un vaccin anti VIH prophylactique. Cependant, les résultats de l’essai «Thaï»1Rerks-Ngarm S, Pitisuttithum P, Nitayaphan S et al., «Vaccination with ALVAC and AIDSVAX to Prevent HIV-1 Infection in Thailand», N Engl J Med, 2009, (mis en ligne sur nejm.org) apportent des éléments nouveaux permettant d’envisager avec plus de sérénité l’avenir dans ce domaine de recherche.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°142.

Quelle protection apportent les vaccins ?

La totalité des vaccins dirigés contre des infections virales disponibles sur le marché induisent la sécrétion par l’organisme d’anticorps neutralisants, c’est-à-dire d’anticorps susceptibles d’empêcher un virus de pénétrer dans sa cellule cible. Ainsi la mise au point d’un vaccin contre un nouveau variant de la grippe repose sur l’aptitude d’un tel vaccin à induire des anticorps neutralisants.

Qu’en est-il de l’infection par le virus VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ? La réponse immunitaire dans cette infection ne permet pas de protéger contre l’infection naturelle. Si des anticorps neutralisants peuvent être décelés chez des sujets séropositifs pour le VIH, ceux-ci n’empêchent pas la maladie d’évoluer vers un déficit immunitaire en l’absence de traitement.

A l’inverse, la réponse cellulaire médiée par les lymphocytes T CD8, bien qu’incapable de permettre l’éradication du virus, est par contre susceptible de contrôler sa réplication. Le niveau de contrôle de la réplication virale par la réponse T CD8 a des effets à l’échelon individuel (plus elle est importante, plus la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. est basse et moins la maladie évolue) et à l’échelon collectif (le risque de transmission sexuelle du virus est directement corrélé au niveau de la charge virale dans le sang).

Ces corrélats de protection immunitaire ont conduit à privilégier la mise au point d’un vaccin susceptible d’induire préférentiellement une réponse immunitaire de type cellulaire.

Quel type de vaccin utiliser ?

Un seul type de vaccin est susceptible d’induire une réponse cellulaire, il s’agit des vaccins vivants atténués (exemple : vaccin anti-poliomyélitique oral). Les autres vaccins (vaccins vivants atténués comme celui de la grippe, vaccin protéique anti-hépatite B) s’accompagnent presque uniquement d’une réponse anticorps. Les vaccins vivants atténués sont produits à partir de microorganismes dont on a diminué le pouvoir pathogène in vitro au laboratoire en les cultivant de manière itérative.

S’ils sont d’excellents immunogènes, ces vaccins posent le problème d’un possible retour à la virulence du microorganisme. Ainsi le vaccin anti-poliomyélitique oral peut entraîner, bien que de manière exceptionnelle, une poliomyélite chez le sujet vacciné. L’utilisation de ce type de vaccin n’est donc pas envisageable dans le cadre de l’infection VIH, et il a été nécessaire de réfléchir à la mise au point de nouveaux vaccins permettant d’obtenir une réponse cellulaire.

Cette réponse ne peut être obtenue que si le vaccin pénètre à l’intérieur des cellules qui sont les premiers maillons de la réponse immunitaire, les cellules dendritiques. A l’intérieur de ces cellules, le vaccin est digéré en fragments protéiques, lesquels seront présentés à la surface membranaire et induiront une réponse immunitaire.

Il est possible de faire pénétrer des protéines à l’intérieur des cellules dendritiques en utilisant différents systèmes. Le premier consiste à utiliser un virus vivant non pathogène que l’on a modifié pour lui faire exprimer des protéines étrangères, dans le cas qui nous intéresse des protéines du VIH. Les virus de ce type actuellement utilisés sont des virus de type adénovirus (essai STEP) et des virus dérivés du virus de la variole (essai Thaï).

Ces vaccins, étant des virus, sont capables d’induire dans l’organisme une réponse immunitaire contre les protéines qu’on leur a fait artificiellement exprimer mais également contre leurs propres protéines. Des anticorps dirigés contre le vecteur viral peuvent préexister à la vaccination, soit parce que le vecteur utilisé est un virus largement répandu (les adénovirus sont les virus du rhume, et des anticorps contre ces virus sont donc présents chez une grande partie de la population), soit parce qu’il a déjà été utilisé comme vaccin (les individus de plus de 40 ans ont été vaccinés contre la variole et possèdent des anticorps contre les virus de cette famille).

La présence de ces anticorps les rend inefficaces soit en primo-vaccination (préexistence d’anticorps) soit lors des rappels (induction d’anticorps après la première vaccination). Ces limites ont conduit à chercher d’autres modes de vectorisation des protéines leur permettant de s’exprimer dans des cellules dendritiques. La première consiste à utiliser des fragments d’ADN codant pour ces protéines. Ce type d’approche à été utilisé avec succès en médecine vétérinaire. L’ADN codant est injecté avec des adjuvants lui permettant de pénétrer dans les cellules dendritiques.

L’autre option est de faire pénétrer les protéines, sans recourir à l’étape ADN, dans les cellules dendritiques en les couplant avec un lipide. Ce type de construction appelée lipopeptide est le candidat vaccin développé en France par l’ANRS. Il permet de s’affranchir de la nécessité d’un adjuvant mais est malheureusement assez peu immunogénique.

Quelles protéines du VIH choisir ?

Les approches vaccinales utilisées ci-dessus ne font pas appel à des virus VIH entiers mais uniquement à certaines protéines virales. Comment choisit-on les protéines à intégrer dans un candidat vaccin ? Ce choix est basé sur deux aspects fondamentaux : leur variabilité, et leur capacité à induire une réponse protectrice. Il n’existe pas un virus VIH mais de très nombreux virus différents, parfois assez éloignés. Si tous ces virus présentent une structure génétique identique, les protéines qui les constituent peuvent avoir des structures assez différentes, impliquant des réponses immunitaires différentes.

Afin de ne pas avoir à développer un grand nombre de vaccins anti-VIH différents, il est nécessaire de choisir des protéines dont la composition ne varie pas trop d’un virus à l’autre. Encore faut-il que ces protéines soient capables d’induire une réponse immunitaire protectrice. Ainsi, on a pu montrer par exemple que si la réponse cellulaire dirigée contre la protéine gag du virus était corrélée à une charge virale plus basse chez les patients infectés, on observait par contre exactement l’opposé concernant la réponse dirigée contre la protéine pol. Les protéines virales actuellement ciblées dans les stratégies vaccinales sont les protéines gag et nef.

Que nous disent les résultats des essais de phase II/III ?

Trois essais de phase II/III, c’est-à-dire visant à étudier l’effet protecteur d’un candidat vaccin dans une population dite à risque, ont été menés au niveau international. Le plus prometteur semblait l’essai STEP1Buchbinder S, Mehrotra D, Duerr A et al., «Efficacy assessment of a cell-mediated immunity HIV-1 vaccine (the Step Study) : a double-blind, randomised, placebo-controlled, test-of-concept trial», Lancet, 2008, 372, 9653, 1881-93. Cet essai était basé sur l’utilisation d’un candidat vaccin de type adénovirus. Les études initiales avaient montré que ce vaccin induisait une réponse immunitaire chez l’homme et permettait une réduction de la charge virale après infection chez le singe.

De manière encore non totalement expliquée, le nombre de volontaires qui se sont infectés par le VIH en cours d’essai s’est avéré supérieur dans le groupe ayant reçu le vaccin comparativement au groupe placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) Par ailleurs, aucun effet du vaccin sur le niveau de la charge virale chez les volontaires qui se sont infectés durant l’essai n’a pu être observé.

Tout aussi inattendus ont été les résultats de l’essai Thaï. Cet essai reposait sur l’utilisation de deux candidats vaccins administrés de manière séquentielle : l’Alvac-HIV (vecteur «variole») et le VaxGen gp120 B/E (protéine VIH seule) contenant les mêmes protéines d’enveloppe. Si le premier induit une réponse de type cellulaire, le second n’induit qu’une réponse anticorps. Contrairement au candidat vaccin utilisé dans STEP, l’immunogénicité de ces deux candidats vaccins utilisés seuls paraissait insuffisante au regard des connaissances actuelles.

Cet essai, mené sur 16402 volontaires thaïlandais, a montré une efficacité de la stratégie vaccinale avec une diminution de 31,2% des cas d’infections chez les volontaires ayant reçu le vaccin comparativement à ceux ayant reçu un placebo. Même si le signal positif est faible, il est indéniable et ouvre une brèche dans le mur que semblait réaliser la mise au point d’un vaccin anti-VIH.

Quelles sont les voies de recherche ?

La première étape est bien évidemment d’analyser en détail les résultats des essais de phase IIa/III. La manière la plus simpliste de conclure est de rejeter le candidat vaccin de STEP et de garder ceux de l’essai Thaï. La réalité est plus complexe.

La première conclusion des résultats de cet essai est la nécessité d’utiliser des stratégies de «prime-boost», c’est-à-dire visant à utiliser de manière séquentielle des vecteurs différents, certains très efficaces mais induisant une réponse immunitaire dirigée contre eux (ici vecteur «variole») et des vaccins moins puissants (ADN, lipopeptides) mais n’ayant pas ce type d’inconvénient. La supériorité de ce type d’approche a été clairement démontrée dans les modèles simiens.

Le deuxième est également d’ordre immunologique et tend à prouver que l’induction d’une réponse anticorps (probablement la réponse majeure obtenue avec les vaccins «Thaï») peut participer à la protection.

Le troisième est d’ordre épidémiologique. En effet, si la population sélectionnée dans l’essai STEP comprenait des volontaires majoritairement homosexuels et/ou toxicomanes, celle de l’essai «Thaï» était constituée quasi exclusivement de volontaires hétérosexuels. Or la transmission génitale du virus VIH est bien inférieure aux transmissions anale et sanguine, et l’efficacité d’un vaccin sera évidemment supérieure si la majorité des transmissions se fait par cette voie.

Parallèlement aux décryptages immunologiques et épidémiologiques de ces essais, de nombreux autres axes de recherche sont en cours. Ils visent à mettre au point de nouveaux vecteurs viraux (vecteur CMV) ou des systèmes différents de ciblage des cellules dendritiques (collaboration ANRS/Centre Baylor de Dallas), et à étudier plus en détail les corrélats de protection immunologique au cours de l’infection «naturelle».

Si les résultats de l’essai Thaï sont encourageants, il est important de garder à l’esprit que de nombreux travaux restent à entreprendre pour parvenir à un vaccin utilisable à grande échelle, et que celui-ci ne sera qu’un des éléments à côté du recours à une prescription plus large d’antirétroviraux et à des mesures comme la circoncision, permettant le contrôle de cette épidémie à l’échelle planétaire.