Afrique — Quand les médecins manquent

Face à la pénurie de médecins qualifiés pour assurer la prise en charge médicale des patients séropositifs de plus en plus nombreux, les expériences à petite ou grande échelle se multiplient dans les pays en développement.

Dans une perspective d’accès universel, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande le recours au personnel infirmier pour la mise sous traitement et le suivi médical, notamment dans les zones éloignées des principaux centres hospitaliers. Dans certains pays africains, l’ampleur de l’épidémie a conduit les responsables de la lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. ou les ONG locales à mettre en place des modes d’organisation équivalentes. Revue —non exhaustive— de quelques cas documentés récemment.

Mozambique

Un article d’IRINnews rend compte d’un rapport paru dans le Journal of AIDS relatant l’expérience mozambicaine. La stratégie dite de la «délégation des tâches», consistant à confier à des travailleurs sanitaires moyennement qualifiés plutôt qu’à des médecins la prescription des traitements antirétroviraux (ARV),avait permis aux patients des régions rurales d’avoir accès à des services de qualité. Au Mozambique, cette politique, qui concerne l’ensemble du territoire, repose sur l’existence d’un corps de «techniciens de médecine» ayant suivi 30 mois de formation, système inauguré lors de la décolonisation dans les années 70 pour pallier au départ des médecins portugais.

Lesotho

Un article du Journal of the International Aids Society présente le cas du Lesotho, pays aux ressources très limitées et à la troisième plus haute prévalence VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. au monde, où les auteurs font le bilan de 2 ans d’expérience de prise en charge des patients VIH en milieu rural par le personnel infirmier, à l’initiative de l’ONG Médecins sans frontières avec le soutien des autorités sanitaires.

En confiant aux infirmières et aux travailleurs de santé issus de la communauté  toutes les étapes de la prise en charge depuis le dépistage jusqu’à la mise sous traitement initiale et au suivi de ce dernier, prévention de la transmission mère enfant, prise en charge pédiatrique et prise en charge de la tuberculose comprises, le programme a permis la décentralisation de l’accès aux ARV et aux soins  au niveau des centres de santé primaires ruraux.

Rwanda

Un article de Plos Medecine fait quant à lui le bilan d’un programme pilote d’accès aux ARV géré par le personnel infirmier dans trois centres de santé primaire en milieu rural au Rwanda, lancé en 2005 par l’ONG Family Health International.

Dans ce cas, seuls les adultes naïfs au traitement et ne présentant pas de complications particulières (co-infection…) étaient inclus dans le programme, les autres (notamment les enfants) étant pris en charge par le médecin superviseur. Mais même avec ces restrictions, les auteurs citent les conclusions de l’étude de Chung et ses collègues, présentée à la conférence de Mexico en 2008,  qui ont calculé qu’une heure de prise en charge par une infirmière faisait gagner 45 minutes à un médecin. Extrapolé au niveau national, un tel gain de temps permettrait une meilleure prise en charge des autres soins, le développement du mentorat et une amélioration de la qualité des soins.

Les conditions de la réussite

A la lecture de ces différentes expériences, on constate que la réussite de ce type de programmes repose sur certaines conditions: formation continue, mise à disposition de documents de référence précis (algorithmes, protocoles…), tutorat régulier par un médecin ou une infirmière expérimentée, prise en compte des contraintes auxquelles les patients sont soumis pour favoriser l’observance et réduire le nombre des perdus de vue, valorisation du travail des counsellors.

Concernant ce dernier point, une étude menée au Kenya par une équipe américaine sur 2 ans, de 2006 à 2008, a démontré l’acceptabilité et l’efficacité du recours aux personnes séropositives issues de la communauté pour la prise en charge et le suivi des patients séropositifs à l’état clinique stable, en renfort du personnel soignant des centres de soins ruraux. Préalablement formés et guidés dans leur tâche grâce à l’usage de PDA (personal digital assistants) pré-paramétrés pour émettre une alerte en cas d’erreur, ces huit «coordinateurs de soins communautaires» (CCCs = community care coordinators, 4 hommes et 4 femmes), chacun en charge de huit à vingt patients, étaient réunis et évalués tous les mois par un clinicien référent.

Dans tous les cas ces initiatives ont prouvé qu’une prise en charge décentralisée reposant sur le personnel infirmier dans les centres de soins primaires pour compenser le manque de médecins, comme on la connaissait pour d’autres pathologies (tuberculose, malaria…) est applicable pour la mise sous traitement et le suivi des patients VIH sans nuire à la qualité des soins à condition de la mettre en oeuvre dans de bonnes conditions.

A lire également

Les articles et contributions diverses sur ce sujet sont nombreux et on ne peut les citer tous ici. Quelques pistes néanmoins :

> En 2005, le Conseil national du sida publiait un avis sur La crise des ressources humaines dans les pays du Sud, un obstacle majeur à la lutte contre le VIH;

> En mai 2006, l’OMS organisait une consultation pour lancer le plan TTR «Treat, Train, Retain» (traiter les soignants eux-même très exposés, les former, et les retenir dans leurs pays). Le rapport complet de la réunion est en ligne (en anglais, PDF, 1,45Mo);

> Un an plus tard, à kigali (Rwanda), l’OMS et le coordinateur du PEPFAR (U.S. Global AIDS Coordinator) organisaient une réunion d’expert. Les 10 présentations et les conclusions de la réunion sont en ligne sur le site de l’OMS;

> En janvier 2008, à la première conférence internationale sur la délégation des tâches (Adis Abeba, Ethiopie), l’OMS, le PEPFAR et l’ONUSIDA présentaient un recueil de directives et recommandations sur le sujet (en anglais, PDF, 895Ko);

>Dans un article de février 2008 (en anglais), MSF s’inspire de ses propres programmes pour déclarer que la délégation des tâches, si elle fait partie de la solution, n’est pour autant pas la panacée et qu’une politique plus globale et plus ambitieuse d’accroissement et de soutien des personnels de santé est indispensable;

> Dans un article du numéro spécial Conférence de Mexico de Transcriptases sur L’enjeu crucial des ressources humaines de santé, Gilles Raguin et Pauline Bordron (ESTHER) font le même constat;

> Le site HRH (Human Resources for Health) Global resource centre, financé par l’USAID, propose une bibliothèque en ligne consacrée aux resource humaines pour la santé. La question de la délégation des tâches (Task Shifting) y est bien documentée, pour le VIH notamment.