Dépistage — Les autotests VIH accessibles via internet : où en sommes-nous en France ?

Rapidité et autonomie d’accès aux résultats du test sont au cœur du débat actuel sur la révision des politiques de dépistage du VIH au niveau mondial.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°141.

Le test rapide se généralise, notamment dans les pays à faibles revenus1OMS, Rennie S, Behets F, «Aspects éthiques du dépistage systématique du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. dans les pays à faibles à revenus : une définition difficile des objectifs», Bulletin de l’Organisation mondiale de la Santé no 84, 2006 mais aussi dans de nombreux pays occidentaux où il s’intègre progressivement aux dispositifs sanitaires existants. Il n’en est pas de même pour l’autotest, non autorisé en France, qui rencontre une nette résistance de professionnels craignant les conséquences de l’absence de conseil et de soutien.

Il n’en reste pas moins que l’accompagnement professionnel peut être aujourd’hui contourné de façon aisée par l’achat sur internet d’autotests permettant la réalisation d’un test et la lecture des résultats par le sujet lui-même et hors de toute prescription médicale. L’examen se fait à partir d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt ou d’un peu de salive. Le résultat apparaît au bout de quelques minutes et, selon les messages publicitaires des sites internet en question, l’ensemble du processus n’exigerait aucune compétence particulière.

De plus, l’internet devient le lieu privilégié de rencontres sexuelles pour une partie croissante de la population, et notamment pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Dans une étude auprès des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes au Royaume-Uni en 2003, deux tiers des participants déclaraient avoir utilisé l’internet pour des raisons d’ordre sexuel dans le mois précédent et plus de la moitié des Londoniens dans les dernières 48 heures2Weatherburn P et al., «Gay Men’s Use of the Internet and Other Settings : Where HIV Prevention Occurs», London, Sigma Research, 2003. La situation en France ne serait guère différente3Léobon A, Frigault LR, Velter A, Le Net Gay Baromètre 2006 : une enquête auprès des internautes gays fréquentant des sites de rencontre français, CNRSCNRS Centre national de la recherche scientifique. – Université du Québec à Montréal – INVS, janvier 2007. Dans ce contexte, l’accès à l’autotest par le même moyen de communication ne peut que faciliter sa généralisation. Le décalage va croissant entre une offre officielle de dépistage monocorde, pénible et lente et la multiplicité de formes de dépistage proposées sur internet.

A l’étranger, un accès aux autotests variable

L’accès à l’autotest au niveau international est variable. Au Canada, les autotests avec résultat quasi immédiat sont autorisés pour les professionnels de santé4Editorial : «Le dépistage du VIH à domicile : pourquoi pas au Canada ?», CMAJ, 2000, 162, 11. Aux Etats-Unis, la vente de tests à autoprélèvement – mais avec rendu de résultat et conseils par téléphone – est autorisée pour la population générale depuis 1996. La Food and Drug Administration, qui estime qu’une personne séropositive sur quatre ne connaîtrait pas son statut sérologique, étudierait depuis 2005 la possibilité de commercialiser un test d’autoanalyse dit «home-test», utilisable sans l’assistance d’un tiers. Lucy Frith5Frith L, «HIV self-testing : a time to revise current policy», Lancet, 2007, 369, 243-45 interpelle les autorités britanniques sur la nécessité pour la Grande-Bretagne de réviser sa politique de dépistage et d’y intégrer les autotests.

Les arguments des partisans de l’autotest varient peu selon les différents pays. L’anony­mat, la rapidité, la facilité d’accès au test à domicile et l’aspect moins invasif (une goutte de sang, un peu de salive) pourraient inciter davantage de personnes à faire le test, avec une prise en charge rapide et une protection plus précoce des partenaires en cas de résultat positif6Kassler WJ et al., «On-site, rapid HIV testing with same-day results and counselling», AIDS, 1997, 11, 1045-51,7Peralta L et al., «Evaluation of youth preferences for rapid and innovative human immunodeficiency virus antibody tests», Arch Pediatr Adolesc Med, 2001, 155, 838-43. De plus, l’autotest rencontre la tendance actuelle en santé publique de promouvoir l’autonomie des usagers : les personnes qui se sentent acteurs de leur propre santé sont plus enclines à prendre des décisions éclairées tant en matière de suivi médical qu’en matière de prévention sexuelle.

Les réserves des professionnels

De nombreux professionnels et d’acteurs de la lutte contre le VIH expriment toutefois des réserves, reprises par exemple dans les avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé8Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Problèmes posés par la commercialisation d’autotests permettant le dépistage de l’infection VIH et le diagnostic de maladies génétiques, Avis No 86-04, novembre 2004 et du Conseil national du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. 9Conseil National du Sida, Note valant avis du 4 novembre 2004 sur la commercialisation des autotests VIH en France. L’absence de counseling pré-test dans les deux types de tests à domicile (l’autotest et le test à domicile avec rendu de résultat par courrier ou par téléphone) et l’absence de counseling post-test pour l’autotest soulèvent beaucoup d’inquiétudes.

Le manque d’encadrement de la fenêtre sérologique est particulièrement décrié. Se croyant séronégatif, faussement rassuré, l’utilisateur pourrait courir et faire courir davantage de risques. Cette période après la transmission mais avant la séroconversion est plus à risque en termes de transmission du virus. Autre scénario : l’utilisateur, confronté à un résultat apparemment positif, se trouverait peut-être isolé, en proie à une réaction émotionnelle parfois majeure – alors qu’il pourrait s’agir d’une fausse positivité. D’autres soulèvent la question de la plus grande difficulté de collecter des données sur les personnes séropositives.

Même l’exactitude de ces tests suscite des doutes : la proportion de faux positifs peut être élevée10Conseil National du Sida, Note valant avis du 4 novembre 2004 sur la commercialisation des autotests VIH en France. De nombreux utilisateurs ne suivraient pas correctement les étapes, surtout avec les tests sanguins11Branson BM, «Home sample collection tests for HIV infection», JAMA, 1998, 18, 280, 19, 1699-701.

Dans les pays qui ont mis en place un accès à l’autotest avec rendu de résultats et counseling par téléphone, les premières études permettent d’avoir un aperçu du profil des utilisateurs et des enjeux de sa mise en oeuvre. Aux Etats-Unis, Branson12Branson BM, «Home sample collection tests for HIV infection», JAMA, 1998, 18, 280, 19, 1699-701 observe un taux de rappel pour les résultats de 97%. Plus de la moitié des utilisateurs et 49% des personnes séropositives n’avaient jamais été dépistées auparavant. La prévalence du VIH dans la population utilisant ces tests était trois fois supérieure à celle dans la population générale.

Toujours aux Etats-Unis, Greensides et coll.13Greensides DR et al., «Alternative HIV testing methods among populations at high risk for HIV infection», Public Health Reports, 2003, 118, 6, 531-9 ont étudié chez des populations plus particulièrement vulnérables le niveau de connaissance et la motivation à utiliser des méthodes alternatives de dépistage du VIH : 54% des répondants déclaraient connaître l’existence des tests sanguins à domicile, 42% celle des tests salivaires et 13% celle des tests rapides. Peu disaient les avoir utilisés. Les répondants qui se déclaraient en faveur de ces tests mettaient en avant leur caractère pratique, rapide et confidentiel. Ceux qui étaient réticents s’inquiétaient de la fiabilité des résultats et préféraient le test traditionnel. En revanche, 40% des usagers de drogue déclaraient ne pas utiliser le test à domicile à cause de son coût. Dans une autre étude, presque un quart des personnes interrogées dans des centres de dépistage publics de San Francisco se déclaraient prêtes à choisir ces tests si leur fiabilité s’améliorait14Phillips KA, Chen JA, «Willingness to use instant home HIV tests : data from the California behavioural risk factor surveillance survey», Am J Prev Med, 2003, 24,340-48.

Inquiétude sur les droits civiques

Spielberg et coll.15Spielberg F et al., «HIV Early Detection Study Group. Home collection for frequent HIV testing : acceptability of oral fluids, dried blood spots and telephone results», AIDS, 2000, 14, 1819-28 s’inquiètent des questions de droits civiques associées avec l’utilisation de ces tests dans des pays en développement où les femmes séropositives seraient davantage à risque de violence de la part de leur partenaire ou d’instabilité dans la relation de couple. Ils lancent un appel pressant pour davantage de recherches sur les questions d’acceptation, de faisabilité de tels tests ainsi que l’évaluation de leur impact sur la prévention et la sécurité des personnes.

En France, il n’existait jusqu’à 2009 aucune étude sur ces questions. De plus, la grande facilité d’accès aux soins en général et au dépistage à VIH en particulier pour l’ensemble de la population française rend toute généralisation à partir d’une littérature scientifique largement nord-américaine bien délicate. De nombreuses questions se posent. Les Français ont-ils recours à l’autotest vendu sur internet ? Pour ceux qui y recourraient, quels seraient les avantages recherchés ? Les mêmes motivations observées en Californie se retrouveront-elles en France : le côté pratique, la rapidité, la confidentialité ? Quel est le profil de ces personnes ? S’agit-il d’une population réticente à utiliser le dispositif d’accès au dépistage existant – par exemple, des personnes réticentes à parler de leur sexualité ? S’agit-il des worried well  (les hypocondriaques) qui vont utiliser l’autotest en plus des CDAG et des médecins généralistes ? Ou bien s’agit-il tout simplement d’une population pour qui internet est un lieu de rencontres sexuelles anonymes et qui souhaite maintenir ce sentiment d’anonymat dans sa santé sexuelle ? Pour ceux qui l’ont utilisé, comment l’ont-ils vécu ? En cas de découverte de séropositivité au VIH, comment l’ont-ils gérée, à la fois du côté psychologique et du côté pratique, en termes d’accès aux soins ? Se sont-ils fiés aux résultats ?

Avec le soutien de l’ANRS, l’étude Webtest, menée par l’équipe du laboratoire de recherche de l’EPS Maison Blanche, tentera de répondre à ces questions. L’objectif est d’évaluer, par une enquête quantitative et qualitative, le niveau de connaissance et d’utilisation des méthodes alternatives de dépistage du VIH, achetées sur internet, et cela chez un groupe épidémiologique particulièrement vulnérable en France, les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes et se rencontrant sur internet. Dans une deuxième étape qualitative, l’étude explorera les motivations de cette population à y recourir, son vécu en termes psychologiques et, le cas échéant, d’accès aux soins. Les données recueillies sont en cours d’analyse et seront disponibles courant septembre 2009.