Epidémiologie — La surmortalité liée au VIH en fort recul dans les pays industrialisés

Les différences de mortalité entre les personnes infectées par le VIH et la population générale se réduisent, selon les résultats d’une étude chez les séroconverteurs de la collaboration Cascade publiés dans le JAMA, étude qui réunit 23 cohortes, dont 20 européennes, d’adultes VIH+.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°140.

Les combinaisons antirétrovirales ont permis une baisse majeure de la mortalité des personnes infectées par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Dans les pays industrialisés où ces combinaisons antirétrovirales sont disponibles depuis 1996 et où l’espérance de vie de la population générale est longue, plusieurs études rapportent que la mortalité des personnes infectées par le VIH après le début du traitement antirétroviral reste globalement supérieure à la population générale. En France, la mortalité devient similaire à la population générale seulement chez les personnes infectées par le VIH suivies plus de 6 ans après le début du traitement antirétroviral et qui ont plus de 500 CD4/mm31Lewden C,Chêne G, Morlat P et al., «HIV-infected adults with a CD4 cell count greater than 500 cells/mm3 on long term combination antiretroviral therapy reach same mortality rates as the general population», J Acquir Immune Defic Syndr, 2007, 46, 72-7.

Alors que ces études s’intéressent pour la plupart à la mortalité après traitement antirétroviral, celle rapportée par Bhaskaran et coll. dans le JAMA s’intéresse à la mortalité à partir de la séroconversion pour le VIH. Elle a été réalisée dans la collaboration internationale Cascade qui réunit 23 cohortes d’adultes infectés par le VIH dont on a pu estimer la date de séroconversion pour le VIH.

Excès de mortalité

L’étude a porté sur 16534 sujets majoritairement européens, ayant séroconverti pour le VIH entre 1981 et 2006, à un âge médian de 29 ans. Le mode de transmission du VIH était homosexuel masculin pour 57%, hétérosexuel pour 24% et par injection de drogues pour 18%. Le traitement par combinaison antirétrovirale a été débuté en médiane 1,6 année après la séroconversion en 1996-97 et 2,2 années après la séroconversion en 2004-06, et l’utilisation des antirétroviraux lorsque les CD4 était <350 CD4/mm3 est passée de 17% en 1996-97 à 73% en 2004-06. Les taux de mortalité sont passés de 4,3 pour 100 personnes-années (%PA) avant 1996 à 0,9%PA en 2004-06.

Un nombre attendu de décès (nombre de décès attendu si la mortalité dans la population d’étude était celle de la population générale) a été calculé en appliquant à la population d’étude les taux de mortalité de la population générale en tenant compte de l’âge, du sexe, de l’année et du pays de suivi. Ce qui a permis d’estimer des nombres de décès et des taux de mortalité en excès par rapport à ces décès attendus.

L’excès de mortalité par rapport à la population générale est passé de 4,1%PA avant 1996 à 0,6%PA en 2004-06. L’excès de mortalité était plus grand pour les personnes plus âgées, les personnes infectées par injection de drogues et les hommes par rapport aux femmes.

Causes

L’excès de risque augmenté avec l’âge à la séroconversion était présent pour toutes les périodes de suivi, et cela pourrait être expliqué par une reconstitution immunitaire sous traitement antirétroviral plus lente lorsque l’âge augmente, ou par des comorbidités plus nombreuses chez les personnes infectées par le VIH que dans la population générale et dont le retentissement devient visible avec l’âge. Cela n’a pas pu être vérifié car les comorbidités et facteurs de risques ne sont pas des données disponibles dans les statistiques de population générale. Concernant l’effet du sexe, il s’agit d’un risque de décès plus élevé pour les hommes une fois qu’on a tenu compte de la mortalité de base de la population. Bien qu’il n’y ait pas de variation significative de cet effet au cours du temps, il apparaît surtout avant 1996 et dans les périodes précoces d’utilisation des antirétroviraux. Il n’est pas commenté par les auteurs de l’article, mais il est en accord avec une autre publication de la même équipe qui retrouve chez les femmes une progression de la maladie plus lente après la séroconversion2Jarrin I, Geskus R, Bhaskaran K et al., «Gender differences in HIV progression to AIDS and death in industrialized countries : slower disease progression following HIV seroconversion in women», Am J Epidemiol, 2008, 168, 532-40.

Chez les personnes infectées par injection de drogue, la mortalité était en excès par rapport à la population générale à partir de 1996 y compris au début de l’infection. Cette mortalité en excès chez les toxicomanes est unanimement rapportée. Plusieurs raisons sont évoquées comme les risques liés à la consommation de drogues, un accès plus difficile aux traitements antirétroviraux et les co-morbidités dues aux hépatites virales.

Dans le groupe des personnes infectées par voie sexuelle, la mortalité était en excès par rapport à la population générale avant 1996, quels que soient la durée d’infection par le VIH et l’âge. Pour la période la plus récente 2004-06, la mortalité cumulée 5 ans après la séroconversion était similaire à la population générale, quel que soit l’âge. Par contre un excès persistait au-delà de 5 ans après la séroconversion, avec excès cumulé de mortalité à 10 ans de 4,8% pour ceux qui avaient séroconverti entre 15 et 24 ans (pour une mortalité cumulée de 5,4% à 10 ans) et de 4,3% pour ceux qui avaient séroconverti au-delà de 45 ans (pour une mortalité cumulée de 12,2% à 10 ans).

Amélioration des stratégies de prises en charge

La diminution de l’excès de mortalité régulièrement au cours du temps calendaire traduit l’amélioration des stratégies de prise en charge au cours du temps. L’excès de mortalité persistant 10 et 15 ans après la séroconversion pourrait être une estimation pessimiste car les personnes suivies à long terme en 2004-06 ont été infectées avant la mise à disposition des combinaisons antirétrovirales et ont pu avoir des périodes sans traitement alors qu’elles l’auraient nécessité ; ce sera moins le cas pour les personnes qui ont séroconverti plus récemment.

A contrario, cette population de séroconverteurs est probablement particulièrement favorisée, au moins ceux ayant séroconverti depuis 1996, puisque le suivi précoce au cours de l’infection par le VIH leur a permis de bénéficier des traitements antirétroviraux au moment où ils étaient indiqués. Cela n’est pas le cas pour les personnes dont le diagnostic est fait plus tardivement dans le cours de leur infection. Les estimations d’excès de mortalité seraient dans ce cas sous-estimées par rapport à l’ensemble des personnes infectées par le VIH.

Un argument pour un dépistage plus précoce

Ces données sont cohérentes avec une étude réalisée dans la collaboration de cohortes européennes et américaines ART-CC qui rapporte une espérance de vie après traitement antirétroviral qui a augmenté progressivement entre 1996 et 2005, et qui est plus courte chez les personnes infectées par injection de drogues et plus longue chez les femmes3The Antiretroviral Therapy Cohort Collaboration, «Life expectancy of individuals on combination antiretroviral therapy in high-income countries : a collaborative analysis of 14 cohort studies», Lancet, 2008, 372, 293-9.

En conclusion, cet article rapporte des estimations concernant l’excès de mortalité des personnes infectées par le VIH dès la phase précoce de l’infection. Chez les personnes infectées par voie sexuelle, il n’y a pas d’excès de mortalité dans les 5 premières années de l’infection. Il est possible que pour les personnes infectées dans les années les plus récentes, cette période sans excès de risque soit plus longue. Par contre, cela n’est peut-être pas vérifié chez des personnes diagnostiquées plus tardivement dans le cours de leur infection et cela est un argument pour un dépistage plus précoce de l’infection.