Epidémiologie — Homosexuels masculins : une épidémie sous-estimée

Alors que les premiers cas de sida ont été diagnostiqués au début des années 1980 chez des jeunes hommes homosexuels dans les pays occidentaux, la place des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH1Nous parlerons ici de manière générique des HSH (MSM en anglais) bien que les populations incluses dans cette catégorie divergent selon les publications et les pays. Tout d’abord, il importe de ne pas oublier qu’une majorité d’HSH ont également des rapports sexuels avec des femmes et qu’ils ne se reconnaissent pas tous dans les identités «gay», «homosexuel» ou «queer». De plus, les «travailleurs du sexe masculins», les «travestis», les personnes «transgenre» sont parfois comptabilisés en tant qu’HSH, parfois enregistrés dans des catégories spécifiques ou bien non comptés.) dans l’épidémie est encore sous-estimée au niveau mondial.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est la première fois dans une conférence mondiale qu’une présentation en session plénière1Saavedra J et al., « Jonathan Mann Memorial Lecture : Sex between men in the context of HIV », TUPL0104 était consacrée spécifiquement aux HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  un objectif que s’était fixé le «Global Forum on MSM & HIV» il y a deux ans à Toronto2Voir Larmarange J, « Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) : une épidémie toujours active », Transcriptases n° 129, ANRS information n° 43, numéro spécial Conférence mondiale 2006, pages 72-74.

Une population fortement touchée

La conférence de Toronto avait bousculé l’idée selon laquelle l’épidémie de sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. au Sud serait seulement hétérosexuelle3Pour reprendre les mots de Bruno Spire et Anne-Déborah Bouhnik dans le numéro spécial de 2006, page 75. David Wilson4Wilson D, « Overview of MSM Epidemiology in the Global South », The Invisible Men : Gay Men & Other MSM in the Global HIV/AIDS  Epidemic, MSM pre-conference to AIDS 2008, Global Forum on MSM & HIV, www.msmandhiv.org/documents/Wilson.pdf, lors de la pré-conférence HSH5www.msmandhiv.org/msmpreconference/2008msmpreconference/program.htm, tout comme Jorge Saavedra6Saavedra J et al., « Jonathan Mann Memorial Lecture : Sex between men in the context of HIV », TUPL0104, en session plénière, ont clairement montré que, quel que soit le continent considéré, la prévalence du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (proportion d’adultes infectés) était largement supérieure parmi les HSH.

En Afrique, y compris dans les pays à forte prévalence, les hommes ayant des rapports avec d’autres hommes ont une probabilité 2 à 20 fois plus élevée d’être infectés, suggérant que les pays à épidémie dite généralisée connaissent également des épidémies concentrées.

Alors qu’en 2006, on ne disposait de chiffres que pour le Sénégal, les prévalences sont désormais connues pour près d’une dizaine de pays africains. Pour certains, à défaut de mesure de l’épidémie, les premières études comportementales sont en cours de publication, comme au Togo7Geiss M et al., « HIV prevention with MSM in Togo, West Africa : an ethnographic study », MOAC0102.

Un développement rapide

Si les HSH sont parfois moins touchés que d’autres groupes, l’épidémie peut s’y développer rapidement. Au Kenya, la prévalence parmi les HSH est de 23% contre 32% parmi les travailleuses du sexe, mais l’incidence (proportion annuelle de nouvelles infections) y est de 8,6% contre 3,2%8Wilson D, « Overview of MSM Epidemiology in the Global South », The Invisible Men : Gay Men & Other MSM in the Global HIV/AIDS  Epidemic, MSM pre-conference to AIDS 2008, Global Forum on MSM & HIV, www.msmandhiv.org/documents/Wilson.pdf.

Néanmoins, la mise en place de programmes de prévention spécifiques peut permettre de limiter la propagation du VIH. Au Sénégal, suite à une première enquête épidémiologique menée en 2004, plusieurs actions ont été mises en place auprès des HSH par les autorités sanitaires et plusieurs associations. Une nouvelle enquête9Wade A et al., « Reduction of risk behavior among MSM in Senegal after targeted prevention interventions – ELIHoS project ANRS 12139 », THPE0349, menée en 2007, a montré une stabilité de la prévalence du VIH, cette dernière diminuant même parmi les plus jeunes (de 9,1% à 7,0% parmi les 18-20 ans et de 28,4% à 19,7% parmi les 21-23 ans). De plus, l’utilisation systématique du préservatif pour les rapports anaux sur le dernier mois est passée de 42% à plus de 75%.

Émergence de la problématique

La conférence de Mexico marque véritablement l’émergence de la problématique HSH en Afrique, tant en matière de recherche (bien qu’elle reste encore très insuffisante) que de mobilisation de la société civile et de visibilité associative des gays africains10Le réseau francophone Africagay (www.africagay.org) a été particulièrement visible sur la conférence tant sur le village global qu’en session (TUSB08 et WESB04).

En Amérique latine, les HSH constituent la principale source des nouvelles infections à VIH et, dans les Caraïbes, une source majeure. En Asie, si les travailleuses du sexe et leurs clients ont constitué la majorité de la première vague d’infections, les programmes de prévention dirigés vers ces populations se sont avérés efficaces. Les projections réalisées à l’aide du modèle AEM (Asian Epidemic Model)11Pour plus de détails sur ce modèle, voir le site web d’Onusida (www.unaids.org). Certains résultats sont repris par Wilson (cf note 5). montrent que la part des HSH dans les nouvelles infections est en pleine croissance, et pourrait atteindre 50% d’ici à 2020.

Faible prise en compte

Malgré leur place prépondérante dans l’épidémie mondiale, les HSH restent souvent les oubliés des programmes de prévention. En 2007, seuls 27 pays sur 86 (soit 31%) avaient inclus cette population dans leur rapport national de surveillance du VIH12Saavedra J et al., « Jonathan Mann Memorial Lecture : Sex between men in the context of HIV », TUPL0104.

Lorsqu’ils sont pris en compte, la part des fonds alloués aux actions de prévention qui leur est destinée reste dans la majorité des cas inférieure à la place qu’ils occupent dans l’épidémie, comme le montre la figure 1 pour l’Amérique latine. Selon un rapport de l’Ungass sur 38 pays, seules 1,2% des dépenses de prévention sont allouées aux HSH (1% pour les travailleuses du sexe et 2% pour les usagers de drogues par voie intraveineuse). Ces 38 pays dépensent 3 millions de dollars pour des services de prévention en direction des HSH quand 29 millions de dollars seraient nécessaires.

Selon le rapport mondial 2008 d’Onusida, dans 27 pays prenant en compte les HSH, seuls 40% des hommes concernés seraient couverts par les programmes de prévention13HSH connaissant un lieu où il lui est possible de bénéficier d’un test de dépistage du VIH et de recevoir des préservatifs. Données rapportées par Saavedra (voir note 2).. Cette proportion atteint presque 60% dans les pays disposant de lois antidiscriminatoires protégeant les HSH, pour seulement 35% dans les pays sans arsenal protecteur.

Une criminalisation de l’homosexualité toujours importante

Depuis de nombreuses années, il a été mis en évidence que les violations des droits humains, la criminalisation de l’orientation sexuelle, la stigmatisation, la discrimination et l’homophobie constituaient des facteurs de risque et une source de vulnérabilité face au VIH. Ce constat a été rappelé à maintes reprises dans divers rapports de l’Onusida, de l’OMS ou encore de l’Usaid.

Encore aujourd’hui, dans plusieurs pays, des militants de la lutte contre le sida et de la défense des droits des personnes LGBTIQ (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe, queer ou questionning) sont arrêtés voire torturés, comme ce fut le cas d’un militant gay en Ouganda, le 25 juillet dernier.

Quatre-vingt-six pays dans le monde, dont plus de la moitié des pays africains, criminalisent les rapports sexuels entre deux hommes adultes consentants14Ottosson D, « Homophobie d’Etat », disponible en ligne sur www.ilga.org. Sept Etats punissent de mort les relations homosexuelles entre adultes consentants : Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Iran, Mauritanie, Nigeria, Soudan et Yémen.

Tout reste à faire

La conférence de Mexico a été précédée de la première Marche internationale contre la stigmatisation, la discrimination et l’homophobie. Avant cette marche, des activistes ont alerté le gouvernement du Panama pour souligner qu’il était le seul pays en Amérique latine qui criminalisait l’homosexualité. La loi panaméenne fut changée deux jours avant la marche.

En 1966, l’ensemble des pays africains avaient signé le Pacte international sur les droits civils et politiques. En mars 1994, le comité des droits de l’homme de l’ONU a confirmé que l’orientation sexuelle devait être protégée de toute discrimination en vertu des articles 17 et 26 de ce pacte, la référence au «sexe» incluant «l’orientation sexuelle». Plusieurs intervenants ont donc appelé à ce que les dirigeants de la lutte contre le sida fassent pression sur les gouvernements criminalisant l’homosexualité pour qu’ils changent leur loi. Nicolas Sarkozy, dans son discours pour la conférence, disponible sur le site de la conférence mais non prononcé, s’est d’ailleurs engagé à faire respecter les droits des minorités sexuelles.

Plus de 25 ans après le début de l’épidémie, il apparaît donc que la place des homosexuels masculins est encore sous-estimée dans l’épidémie mondiale. Il reste beaucoup à faire dans nombre de domaines, que ce soit la recherche, la prévention, la prise en charge et l’accès aux soins ou la reconnaissance des droits des minorités sexuelles.