Recherche — Mécanismes du contrôle spontané de la réplication virale

Les individus qui parviennent à contrôler spontanément la réplication du VIH en absence de thérapie représentent moins de 1 % des séropositifs. Ces rares sujets, dénommés «HIV Controllers» ou encore « Elite Controllers » par certains groupes américains, maintiennent des charges virales inférieures à 50 copies/ml sur le long terme et présentent un risque très faible de progression vers la maladie. L’étude des HIV Controllers est importante pour essayer de déterminer ce que constitue une réponse immunitaire naturellement efficace contre le VIH, ce qui sera informatif pour le développement de vaccins anti-VIH.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.

Il faut souligner qu’il n’est pas exclu qu’une part du contrôle viral provienne de l’atténuation du virus plutôt que de la réponse efficace de l’hôte. Quelques cas d’infection par des virus clairement atténués par des mutations dans le gène nef ont été rapportés dans le passé.

Capacité réplicative réduite des virus des « Controllers »

A Mexico a été rapporté un phénomène plus général de capacité réplicative relativement limitée des séquences VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. amplifiées chez les patients Controllers. Eric Arts (Case Western Reserve U., Cleveland) a montré que les gènes d’enveloppe gp160 amplifiés chez des Controllers conféraient une cinétique de fusion lente aux virus pseudotypés avec ces enveloppes1Arts E et al., « Replicative fitness in elite HIV-1 supressors is significantly lower than HIV-1 during acute disease or from chronic infections », THAA0303. Cette capacité de fusion limitée est associée à une utilisation moins efficace des corécepteurs, ce qui se traduit par une sensibilité accrue aux inhibiteurs de CCR5. Eric Arts conclut qu’une part du contrôle viral pourrait s’expliquer par l’infection avec des souches VIH peu efficaces pour l’entrée.

Il faut toutefois noter qu’une explication alternative peut-être proposée : en présence d’une réponse immunitaire efficace, l’enveloppe du VIH ne peut évoluer vers des formes « ouvertes » où le site de liaison au corécepteur est plus accessible et donc plus efficace pour lier CCR5, mais aussi plus exposé aux anticorps neutralisants. La pression immunitaire peut donc aussi expliquer le maintien d’enveloppes virales peu efficaces.

Toshiyuki Miura (Partners AIDS Research Center, Boston) a lui amplifié les gènes gag et pro des virus de Controllers2Miura T et al., « Reduced in vitro replication capacity by chimeric NL4-3 viruses encoding gag-protease from HIV-1 elite controllers », THAA0202. Les virus chimériques exprimant ces gènes ont montré une capacité réplicative réduite, ce qui suggère que les protéines Gag et Protéase des virus de Controllers sont également peu efficaces.

Remarquablement, la capacité de réplication des virus dérivés de patients portant la molécule du Complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I B57 est réduite par rapport à celle de patients ayant un CMH I différent. Au sein du groupe B57+, on retrouve le différentiel entre patients progresseurs et Controllers, ceux-ci ayant des virus avec une capacité réplicative encore plus réduite.

Selon T. Miura, la pression de sélection exercée par la réponse T CD8 médiée par B57 induit des mutations d’échappement dans Gag, ce qui atténue la capacité réplicative du virus. On a là un cas d’atténuation virale résultant clairement de la pression de sélection imposée par une réponse immunitaire efficace.

Caractéristiques des réponses T CD8

Mathias Lichterfeld (Partners AIDS Research Center) a rappelé que les T CD8 spécifiques du VIH ont chez les Controllers des propriétés particulières, et maintiennent en particulier une forte capacité proliférative. Cette propriété peut s’expliquer par le maintien d’une forte activité de la télomérase, une enzyme cellulaire nécessaire pour réparer l’extrémité des chromosomes dans les cellules qui se divisent activement3Lichterfeld M et al., « Distinct expression pattern of telomere maintenance and shelterin genes in HIV-1-specific CD8 + T cells from HIV-1 “elite” controllers », THAA0201. Au contraire, les patients progresseurs ont une activité télomérase plus basse que la normale, ce qui mène à la sénescence des cellules T. 

Jose Miguel Benito (Hosp. Carlos III, Madrid) a montré que les réponses T CD8 chez des non-progresseurs à long terme peuvent être stables sur une période de quatre ans en termes d’intensité, même si le nombre de cytokines produites par cellule T CD8 peut varier au cours du temps4Benito JM et al., « Evolution of the functional profile of HIV-specific CD8 + T cells in a cohort of long term nonprogressors », THAA0203.

Molécules immunorégulatrices et cellules dendritiques

Jinghe Huang (Partners AIDS Research Center) a présenté de nouveaux résultats sur l’expression des molécules immunorégulatrices de la famille ILT à la surface des cellules dendritiques5Huang J et al., « Immunoregulatory properties of myelomonocytic MHC class I receptors in HIV-1 infection », TUAA0105.

Les ILT (pour Immunoglobulin-Like Transcripts) sont des molécules soit activatrices (ILT1), soit inhibitrices (ILT2, ILT3, ILT4, ILT5) des cellules présentatrices d’antigènes. Elles sont exprimées à la surface des monocytes et des cellules dendritiques (DC), et dans le cas d’ILT2 également dans les lymphocytes T et B. Certaines des ILT lient les molécules du CMH de classe I, mais tous leurs ligands n’ont pas été encore identifiés. L’expression des ILT est altérée au cours de l’infection par le VIH. Les DC et les monocytes des patients virémiques expriment moins d’ILT1 activatrices et plus d’ILT inhibitrices, ce qui pourrait contribuer à l’atténuation des réponses immunitaires.

Remarquablement, les patients HIV Controllers montrent des changements d’expression des ILT qui ne sont retrouvés ni dans les autres groupes de patients, ni chez les donneurs sains. Les molécules inhibitrices ILT2 et ILT3 sont augmentées à la surface des DC et des monocytes de patients Controllers, ce qui pourrait contribuer à limiter l’activation immune anormale qui caractérise la progression vers la maladie.

Ces nouvelles données suggèrent donc que dans les cas d’infections bien contrôlées, les cellules présentatrices de l’antigène mettent un frein à l’activation immune, et évitent l’emballement du système immunitaire. Reste toutefois à comprendre comment les Controllers maintiennent des réponses T anti-VIH très efficaces malgré ces mécanismes d’atténuation.